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Forces d’opérations spéciales

Des soldats

Photo du MDN DH03-117-184A

Des membres de la Deuxième Force opérationnelle interarmées en exercice.

Un plan pour l’avenir des forces d’opÉrations spÉciales du canada

par le major Bernard J. Brister

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« Si vous ne pouvez pas attaquer votre ennemi, attaquez l’ami de votre ennemi1. »

En matière de sécurité, le Canada sera soumis, dans un avenir prévisible, à la domination mondiale qu’exercent les États-Unis2. Il est néanmoins probable que des groupes transnationaux et des intérêts non étatiques contesteront périodiquement cette domination. Ils emploieront des tactiques et des stratégies asymétriques pour atteindre leurs objectifs, ils ne seront pas forcément limités sur les plans financier ou technique et ils ne s’embarrasseront peut-être pas de scrupules.

Sur la scène mondiale, le Canada se considère généralement comme le défenseur de la sécurité des êtres humains, des droits de la personne et du maintien de la paix. Toutefois, c’est un pays riche, une démocratie occidentale assimilée aux États-Unis sur les plans géographique, culturel et social. Comme les Canadiens sont proches des Américains, ils risquent d’être menacés par des groupes et des factions déterminés à instaurer un nouvel ordre mondial ou à bouleverser l’ordre établi. Si nous refusons de regarder cette réalité en face et de prendre les mesures qui s’imposent, nous pourrions fort bien constituer une cible. Les faits montrent malheureusement que le refus de reconnaître une menace ou de se protéger adéquatement ne dissuade pas ceux qui veulent attaquer; il les attire.

Le Canada poursuit depuis longtemps une politique étrangère multilatérale qui inclut le concours de son armée à la sécurité mondiale. L’un des principes fondamentaux de sa politique de défense est d’assurer la sécurité internationale aux côtés de ses amis et alliés en participant aux opérations expéditionnaires des coalitions. Dans le Livre blanc sur la défense de 1994, le Canada s’est engagé à maintenir une force militaire polyvalente capable d’accomplir toute une gamme de tâches et de missions pour défendre le pays et ses intérêts dans le monde. Au cours des dernières années, cela a été interprété comme un engagement à se doter de forces interopérables avec le pays le plus susceptible d’être notre allié, les États-Unis. Cependant, en ce qui concerne la sécurité, l’une des dures réalités actuelles est le coût prohibitif du personnel et du matériel militaires. En dépit d’une planification et d’une gestion rigoureuses des dépenses, il est peu probable que le Canada parvienne mieux que ses alliés habituels, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, à mettre sur pied des forces polyvalentes dotées de technologies et de capacités équivalentes ou semblables à celles des États-Unis.

La marine américaine

Photo de la US Navy 031023-N-3953L-172

Des membres de l’équipe 22 d’embarcations spéciales de la marine américaine s’entraînent à exfiltrer la rive d’un petit cours d’eau sous le feu de l’ennemi. Les opérations riveraines constituent la mission prioritaire de l’équipe.

Ainsi, le Canada devrait peut-être envisager un « créneau » de capacités, qui devrait bien entendu refléter sa conception des opérations intérieures et lui permettre de jouer un rôle actif dans une coalition utilisant des tactiques et un équipement ultraperfectionnés. Si l’on accepte le bien-fondé de ce point de vue, il faut se demander quel serait le meilleur créneau. L’analyse approfondie d’une réponse à cette question déborde le cadre du présent article. Cependant, il n’est peut-être pas inutile de rappeler les résultats d’une étude antérieure réalisée par l’auteur3 et l’importance que les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle- Zélande ont accordée aux forces spéciales4 et aux forces d’opérations spéciales5 lors des dernières campagnes en Afghanistan et en Irak.

Si les forces d’opérations spéciales constituent une contribution viable du Canada aux opérations des coalitions, quels devraient être leur type, leur nature et leurs capacités? C’est le sujet du présent article. Il sera d’abord question des opérations menées récemment en Afghanistan et en Irak afin de déterminer les capacités requises par les coalitions. À la lumière des modèles australien et britannique, on montrera ensuite quelles pourraient être l’organisation et la composition, ainsi que le commandement et le contrôle, d’une force d’opérations spéciales canadienne. Enfin, on examinera quelles capacités celle-ci exigerait et on proposera une méthode pour les acquérir, propositions sur lesquelles pourrait se baser la contribution du Canada à la sécurité internationale.

Les capacitÉs des forces spÉciales

De nos jours, lors des guerres de coalition menées par les forces d’opérations spéciales, un pays est nommé chef de file d’une opération ou d’une campagne. Ce pays fournit un effectif militaire considérable et le noyau de l’infrastructure du commandement et du contrôle, du personnel et du soutien. Il est également censé procurer aux coalisés (ou les aider à se procurer) des capacités clés, dénommées « outils de facilitation », comme le transport aérien stratégique et tactique ou le soutien logistique. La nature interalliée (collaboration des nations) et interarmées (collaboration de plusieurs services ou composantes) des coalitions se répercute jusque sur le groupe opérationnel national. En deçà de cet échelon, les forces ou les composantes nationales ne sont pas intégrées et le principe directeur est celui de « l’unité du commandement à l’échelle nationale6 ».

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Bien que le chef de file soit tenu de fournir aux autres participants des outils de facilitation stratégiques et opérationnels, l’aide qu’il peut offrir est naturellement limitée par les budgets militaires, même dans les pays susceptibles de diriger une coalition. La contribution d’un pays aux objectifs de la coalition dépendra donc de l’autonomie de ses forces d’opérations spéciales sur les plans stratégique et opérationnel. Les pays dont les forces d’opérations spéciales seront les plus efficaces jouiront de capacités stratégiques et opérationnelles qui leur permettront d’exercer une influence importante sur le déroulement des opérations ainsi que sur les mesures politiques et diplomatiques liées à ces opérations.

Les forces d’opérations spéciales sont classées en fonction de la qualité et de la portée de leurs capacités. Celles qui présentent le plus de compétences, d’expertise et de professionnalisme et qui possèdent la plus grande gamme de capacités ont un « calibre international » ou se classent dans la « première catégorie », termes utilisés officiellement et officieusement7. Les principales caractéristiques de la première catégorie sont les suivantes :

  • La projection de puissance. L’organisation doit pouvoir se déployer dans un théâtre d’opérations sans compter sur l’aide ou sur les ressources du chef de file. Sur le plan opérationnel, elle doit également disposer des ressources nationales aériennes, terrestres ou maritimes nécessaires à son déplacement dans le théâtre d’opérations de façon à n’être tributaire des ressources du chef de file que dans des situations ou pour des missions exceptionnelles.

    L’acquisition et le maintien de capacités de transport stratégique coûtent très cher, et les pays qui déploient des forces dans le monde ou pour des raisons stratégiques font régulièrement face à des pénuries. Si une crise nécessitait la formation d’une coalition, chaque pays mobiliserait sans doute toute sa capacité de transport pour déployer ou rapatrier ses forces. Par conséquent, un pays doit absolument assurer par lui-même ou par sous-traitance le transport stratégique de ses forces d’opérations spéciales pour qu’elles aient un calibre international8.

    L’efficacité des forces d’opérations spéciales dépend également de leur mobilité tactique ou opérationnelle dans un théâtre d’opérations. Comme c’est le cas pour le transport stratégique, peu de pays possèdent des capacités de transport opérationnel et tactique suffisantes pour répondre aux besoins de leurs forces. Une nation capable de déployer et de ravitailler en vol des appareils à voilure fixe dotés de fonctions spécialisées de navigation et de défense fournit à ses forces le soutien dont elles ont besoin pour accomplir leurs missions. Il est pour le moins hasardeux de dépendre des coalisés, car il y a de fortes chances qu’ils comblent leurs besoins avant de fournir l’aide demandée. De même, posséder des hélicoptères munis d’un matériel spécialisé et pouvant être ravitaillés en vol donne une flexibilité beaucoup plus grande.

    Les pays qui assureront le transport stratégique, opérationnel et tactique de leurs forces d’opérations spéciales permettront à celles-ci de se classer dans la première catégorie et figureront sur la liste des membres privilégiés de la coalition9. En revanche, sans mobilité stratégique, opérationnelle et tactique, les forces d’opérations spéciales ne présenteront pas beaucoup d’intérêt pour la plupart des coalitions, quelle que soit la qualité de leurs effectifs et de leur équipement10.

  • Le commandement et le contrôle. Ce secteur devrait englober les communications stratégiques, opérationnelles et tactiques et une capacité de renseignement autonome comprenant des sources de renseignements humaines, électromagnétiques, électroniques et par imagerie ainsi que des liens avec d’autres organismes gouvernementaux. Le commandement et le contrôle doivent aussi inclure la planification et des ressources suffisantes pour maximiser leur efficacité durant toutes les opérations. Les forces d’opérations spéciales doivent disposer des ressources nécessaires pour planifier et mener des opérations tout en tenant la chaîne de commandement nationale et la coalition au courant de leurs activités. Celles qui ont des compétences spécialisées, telles que la collecte et l’analyse des renseignements, valorisent la participation de leur pays à la coalition11.

  • La souplesse opérationnelle. Les forces d’opérations spéciales d’un pays doivent avoir les ressources et les capacités requises pour exécuter leurs missions de manière autonome. Elles doivent également pouvoir intégrer avec bonheur des éléments terrestres, maritimes ou aériens de l’armée nationale et participer activement à des opérations conjointes, soit dans le cadre d’un groupe opérationnel national, comme lors de la campagne britannique aux îles Malouines, soit dans le cadre d’une coalition de forces interalliées, comme en Afghanistan et en Irak.

  • Les capacités tactiques. Les forces d’opérations spéciales d’un pays doivent pouvoir exécuter un large éventail de missions pointues, telles que la reconnaissance stratégique, à pied ou à bord de véhicules, les assauts directs contre les centres de résistance ennemis, l’exploitation de sites sensibles nécessitant des capacités d’entrée et de tir de précision, la recherche et la récupération d’objectifs importants pour les forces ou les régimes antagonistes. La plupart de ces missions comportent des opérations soutenues et prolongées (peu intenses et de longue durée), suivies, sans préavis ou presque, d’interventions ou de manœuvres musclées (très intenses et de courte durée)12.

  • Le soutien spécialisé. La nation doit pouvoir soutenir les opérations de ses forces spéciales. Des effectifs de soutien ayant suivi un entraînement spécialisé, comme les unités aéroportées, les commandos et les unités de type Ranger, doivent être disponibles en cas de besoin. Ils pourraient aider la force principale en s’occupant de questions de sécurité ou constituer une force d’intervention rapide pour aider à rapatrier des membres des forces d’opérations spéciales. Un autre type de soutien spécialisé devrait être apporté par une équipe d’intervention chimique, biologique, radiologique et nucléaire, si celle-ci n’existe pas déjà au sein des forces d’opérations spéciales. Les campagnes menées en Afghanistan et en Irak ont montré l’importance d’une telle équipe pour les opérations de reconnaissance, de détection, d’analyse et d’exploitation dans des situations où des armes ou des menaces de cette nature sont susceptibles d’être utilisées13.

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La marine américaine

Photo de la US Navy 030312-–7590-030

Saut en chute libre de la 1ère équipe des Seals de la marine américaine, à partir d’un Black Hawk de l’armée américaine.

Ce qui vient d’être présenté repose sur la thèse suivante : la meilleure contribution qu’un pays puisse faire à une coalition est une force de haut calibre, autonome sur les plans stratégique, opérationnel et tactique. Cela coûte cher et ne s’obtient pas rapidement en cas de besoin. Une force d’opérations spéciales de calibre international doit être financée à long terme. L’efficacité et donc la contribution des forces d’opérations spéciales seront réduites si ces dernières ne sont pas dotées de toutes les capacités fondamentales de la première catégorie.

Les modÈles structuraux

La structure d’une organisation de la première catégorie s’inspire généralement d’un des deux modèles suivants. Le premier repose sur ce qu’on peut appeler la « centralisation » : toutes les unités ou sous-unités, tout l’équipement, toutes les capacités et tous les regroupements sont des éléments structurels qui constituent en fait une composante à part, une force autonome qui jouit d’une indépendance appréciable et reçoit un financement à part. Toutefois, elle doit rivaliser avec les autres composantes pour obtenir des fonds, ce qui risque d’être malsain.

Le modèle australien

Divers pays, dont l’Australie, ont adopté le modèle centralisé. Lorsque les objectifs de la politique étrangère australienne comportent une dimension militaire, le premier ministre, John Howard, fait appel au Special Air Service Regiment14. Depuis la fin de la guerre froide, le rôle de plus en plus important que jouent, en matière de sécurité, les forces spéciales et les forces d’opérations spéciales, par opposition aux forces classiques, a incité l’Australie à revoir la structure de son armée et sa capacité à contrer les menaces. Cet examen a abouti à la création, au début de 2003, du commandement australien des opérations spéciales, qui regroupera quelque 2 000 soldats et sera considéré comme la cinquième composante des forces du pays (les autres étant l’armée de terre, la marine, l’armée de l’air et la logistique)15.

Le Special Air Service Regiment, le noyau de la nouvelle composante, sera capable d’exécuter toutes les missions des forces d’opérations spéciales de la première catégorie, notamment la reconnaissance à longue portée, la reconnaissance spéciale et l’intervention directe, ainsi que les opérations de récupération liées au contre-terrorisme et au sauvetage d’otages.

Le quatrième bataillon du Régiment royal australien (commandos) soutient et renforce le Special Air Service Regiment. Il assume les fonctions caractéristiques des unités de parachutistes, de commandos ou de type Ranger : raids et missions de saisie au « point d’entrée ». Il lutte aussi contre le terrorisme sur le territoire national, ce qui était l’apanage du Special Air Service Regiment. À la suite des événements du 11 septembre 2001, le gouvernement a jugé que, pour réagir rapidement à des attentats terroristes perpétrés en Australie, il devait doter les côtes ouest et est du pays de capacités en matière de contre-terrorisme et de sauvetage d’otages. Il a chargé le quatrième bataillon de constituer un groupe d’assaut tactique (côte est), ce qui cadre bien avec les opérations très intenses et de courte durée de ce bataillon. En plus de lutter contre le terrorisme, ce bataillon continuera de servir, aux côtés du Special Air Service Regiment, de force d’intervention rapide ou de cordon extérieur lors du déploiement des forces d’opérations spéciales nationales. Il constituera également un excellent bassin de recrutement pour ce régiment16.

Parmi les autres éléments importants du modèle australien figure l’Incident Response Regiment, une organisation de génie formée de groupes d’intervention spécialisés par exemple dans la neutralisation des munitions explosives et dans l’analyse, la reconnaissance et la gestion des incidences chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires. Un groupe chargé d’appuyer chacune des missions des opérations spéciales fournit des services de soutien logistique au combat à tous les éléments du commandement. Un centre de formation des forces spéciales, qui répondra directement aux besoins en matière de formation et de doctrine, coordonnera le recrutement et l’instruction préparatoire des candidats à toutes ces unités17.

Une solution hybride a été retenue pour le transport aérien stratégique, opérationnel et tactique. L’Aviation royale australienne effectuera en priorité les déplacements stratégiques des ressources des forces d’opérations spéciales. Dans le théâtre d’opérations, des Hercules C-130 dotés d’équipages ayant reçu une formation spéciale et munis de systèmes spécialisés d’autodéfense, de navigation à basse altitude et d’évitement du sol fourniront un soutien opérationnel ou à l’échelle du théâtre d’opérations. L’Aviation royale australienne et le commandement des opérations spéciales mettront au point et maintiendront ces capacités.

L’armée australienne soutiendra le transport tactique par l’entremise d’un escadron de Black Hawks SA-70, dont les équipages seront formés pour les opérations spéciales. Les autres services de soutien aérien seront sans doute assurés par des hélicoptères Chinook CH-47, dont plusieurs ont été équipés, lors des opérations du golfe Persique, de systèmes améliorés d’autodéfense, de navigation à basse altitude et d’évitement du sol semblables à ceux de l’Aviation royale australienne18.

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Certes, les capacités prévues pour le commandement des opérations spéciales ne sont pas encore entièrement financées, mises au point ou en service. Cela prendra sans doute plusieurs années. Malgré tout, grâce à leurs réalisations antérieures et à leurs futures capacités, les forces australiennes font partie du groupe très restreint d’organisations de calibre international. Lors des opérations coalisées Enduring Freedom, en Afghanistan, et Iraqi Freedom, la détermination du gouvernement, qui a tenu à faire appel à ses forces d’opérations spéciales, et les réalisations de ces dernières ont eu des retombées politiques et économiques très avantageuses en dépit de leurs capacités encore embryonnaires.

La Deuxième Forces opérationnelle interarmées

Photo du MDN DHD01-053-02

Exercice de sauvetage d’otages effectué par la Deuxième Force opérationnelle interarmées.

Le modèle britannique

Le deuxième modèle est celui des forces spéciales britanniques, qui sont « décentralisées ». Commandées et contrôlées à l’échelle nationale par la Direction des forces spéciales, qui relève du ministère de la Défense, toutes les organisations des forces spéciales britanniques relèvent de la première catégorie. Les commandements de première ligne des forces classiques fournissent toutes les organisations et tous les effectifs de soutien requis, qui, conjugués à l’unité de la première catégorie, constituent les forces d’opérations spéciales nationales. Les tâches que les commandements confient aux organismes et aux effectifs de soutien varient en fonction des missions et des besoins des forces spéciales.

L’équipage d’un avion

Photo de la US Air Force 040913-F-0000C-006

L’équipage d’un C-130 Hercules du 746e escadron d’aérotransport expéditionnaire passe la liste de vérification en revue après avoir décollé de son lieu de déploiement en Afghanistan.

Les commandements de première ligne fournissent aux forces spéciales un personnel trié sur le volet et des fonds considérables. Ils ont donc tout intérêt à ce qu’on en tire le meilleur parti. Des membres des forces spéciales occupent des postes clés au ministère de la Défense, ce qui facilite le soutien aux opérations. Cette politique permet aux commandements de première ligne de retirer des bénéfices de l’affectation de leur personnel aux forces spéciales. Elle permet aussi à la communauté militaire de mieux comprendre et de mieux accepter le rôle et le mandat de ces forces.

Grâce à cette organisation, les forces spéciales britanniques sont considérées comme le « joyau » des capacités militaires du pays et non comme une entité distincte et potentiellement menaçante pour les autres composantes. Toutes les composantes contribuent à la qualité et aux capacités de ces forces et profitent du renforcement de ces capacités. Contrôlées à l’échelle stratégique nationale, les forces spéciales exécutent des missions autonomes d’intérêt national ou participent à des opérations interarmées avec une ou plusieurs composantes en vue d’atteindre un objectif précis. Elles peuvent mener des missions de concert avec un ou plusieurs autres services pour accroître et renforcer leurs capacités. L’intervention des forces spéciales dans des opérations interarmées de cette nature fait partie des avantages que les composantes retirent de leur contribution à l’expansion et au maintien de ces capacités.

Le commandement et le contrÔle

La mise sur pied d’une force d’opérations spéciales est un processus qui exige du temps. Que l’on opte pour un organe de commandement centralisé s’inspirant du modèle australien ou pour une structure décentralisée de type britannique, on ne peut créer une organisation de calibre international au Canada ou ailleurs en misant uniquement sur des effectifs, des fonds, des ressources et du temps; il faut aussi beaucoup d’expérience opérationnelle et de jugement. Par conséquent, pour réaliser son potentiel le plus rapidement et le plus efficacement possible, une force de calibre international doit travailler avec des organismes étrangers du même calibre, qui ont des rôles, des responsabilités et des capacités semblables.

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Les forces d’opérations spéciales de calibre international mènent des missions tactiques visant des objectifs stratégiques. Cela ne signifie pas qu’elles ne joueront pas ou ne devraient pas jouer un rôle opérationnel ou tactique à l’occasion; elles devraient en fait être déployées à l’endroit et au moment où leurs compétences et leurs capacités peuvent le mieux servir l’intérêt national. Toutefois, grâce à la centralisation des opérations stratégiques nationales, les dirigeants disposent d’un mécanisme permettant de déterminer où et quand le recours aux forces d’opérations spéciales sert le mieux l’intérêt national, ce qui est sans doute la dimension la plus importante du commandement et du contrôle des ressources de ces forces19.

Les opérations menées en Afghanistan montrent que les efforts déployés pour garder le contrôle des opérations des forces spéciales sur le plan stratégique n’ont pas toujours été fructueux. Un certain nombre de pays ont intégré à leurs formations traditionnelles des forces d’opérations spéciales auxquelles ils ont confié des missions de reconnaissance, à savoir des missions tactiques à effets tactiques. Cela montre qu’ils étaient incapables de faire jouer à ces forces un autre rôle que celui qui avait été le leur pendant la guerre froide. La plupart des nations n’ont pas les moyens de se doter de forces d’opérations spéciales importantes; si elles les intègrent à des commandements de composantes, elles n’emploient pas ces forces là où elles sont le plus efficaces : à l’échelle nationale en vue d’obtenir des effets stratégiques20.

Le cas des États-Unis est légèrement différent, car les forces d’opérations spéciales de ce pays sont suffisamment importantes et diversifiées pour intervenir sur plusieurs fronts en même temps. Il montre néanmoins que l’utilisation et le rôle de ces forces sont fonction des priorités militaires. Les États- Unis déploient leurs forces d’opérations spéciales dans le monde. En cas de besoin, ils les regroupent sous le contrôle opérationnel de l’un des cinq quartiers généraux de commandement régionaux ou de théâtres d’opérations21. En même temps, ils maintiennent des forces d’opérations spéciales pour atteindre des objectifs stratégiques à l’échelle nationale. L’importance de leurs ressources militaires leur permet donc d’utiliser leurs forces spécialisées dans plusieurs théâtres d’opérations aux fins de stratégie nationale et à des fins opérationnelles.

Toutefois, on sait que la plupart des pays subissent des contraintes budgétaires et ne peuvent maintenir que des forces spécialisées relativement réduites comparées à celles des Américains. Dans ce cas, il vaut probablement mieux conserver le commandement et le contrôle à l’échelle nationale ou stratégique. Si ces forces constituent un apport de contingents aux composantes terrestre, aérienne et maritime des ressources militaires nationales, elles peuvent être employées dans ces trois services, le cas échéant. Cela permet d’évaluer leur utilisation optimale et de s’assurer qu’elles serviront toujours les priorités et les intérêts stratégiques nationaux.

Le modèle britannique illustre les avantages que procure le maintien du commandement et du contrôle à l’échelle nationale. Les forces d’opérations spéciales britanniques peuvent mener des opérations stratégiques en tant que forces distinctes ou elles peuvent faire partie d’une force interarmées avec les autres composantes. Comme elles sont contrôlées à l’échelle nationale, elles seront généralement utilisées à des fins stratégiques, mais resteront disponibles pour mener des opérations avec d’autres composantes, le cas échéant. Leur utilisation optimale sur les plans stratégique, opérationnel et tactique est toujours déterminée à l’échelon stratégique et d’un point de vue stratégique22.

Un soldat

Photo du MDN DHD02-289-01

Soldat de la Deuxième Force opérationnelle interarmées à la radio pendant un exercice d’hiver.

Les Australiens traversent une période de transition. Actuellement, le commandement des opérations spéciales est subordonné aux forces terrestres. Cependant, au cours des prochaines années, les commandements des quatre composantes ainsi que le quartier général opérationnel des forces de la défense et le quartier général du commandement des opérations spéciales seront regroupés dans la capitale, Canberra, de sorte que tous les quartiers généraux opérationnels et de commandement soient voisins23. Le commandement des opérations spéciales deviendra alors la cinquième composante des forces armées, même s’il n’est pas catégorisé comme tel. Au reste, il a un rang équivalent à celui des dirigeants des autres composantes et est déjà considéré comme un membre clé de la plupart, sinon de l’ensemble, des forums militaires et gouvernementaux au sein desquels sont prises des décisions importantes. Afin de maximiser l’allocation et l’utilisation de ses forces d’opérations spéciales, l’Australie a tendance à les rattacher à des intérêts stratégiques nationaux et non plus à la composante terrestre. Cette tendance amènera ces forces à s’aligner sur le modèle de commandement et de contrôle adopté par les principaux alliés du Canada : les Américains et les Britanniques.

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Un programme pour le canada

Vu l’expérience et les méthodes de quelques-uns de ses principaux alliés, quelle voie le Canada devrait-il suivre? Si l’on estime, comme on l’a dit dans l’introduction, qu’une force d’opérations spéciales pourrait être le moyen le plus efficace de contribuer à la sécurité internationale, quelle forme devraient prendre ces capacités? Ce qui suit présente un aperçu des capacités qui pourraient permettre au Canada de contribuer le plus efficacement possible à la sécurité internationale et de voir sa participation reconnue sur la scène internationale.

  • Les capacités et la structure des forces. Les priorités en matière de dépenses et les compressions budgétaires sont telles que la participation du Canada à une coalition devra être réduite mais efficace. Il faut donc choisir entre une « tranche verticale », c’est-à-dire des capacités intégrales, et une « tranche horizontale », c’est-à-dire des capacités partielles mais d’une puissance supérieure. La solution recommandée ci-dessous est d’opter pour des forces d’opérations spéciales autonomes dotées de pleines capacités, car cette option présente en général plus d’intérêt pour une coalition et affermirait la réputation du Canada.

    Les capacités de ces forces s’articuleraient autour d’une Deuxième Force opérationnelle interarmées, une unité de calibre international reconnue par le chef d’état-major de la Défense comme une unité de contre-terrorisme pouvant mener à l’étranger des opérations spéciales à l’appui des objectifs politiques et militaires nationaux24. Trois sous­ unités d’infanterie légère, de la taille d’une compagnie, comptant chacune quelque 180 personnes possédant les compétences des parachutistes, des commandos et des Rangers, fourniraient le soutien tactique essentiel à la Deuxième Force opérationnelle interarmées, au pays et à l’étranger. Ces sous-unités pourraient réduire la charge des effectifs de la Deuxième Force opérationnelle interarmées pour toutes les missions n’exigeant pas des forces de calibre international. Elles pourraient aussi constituer un bassin de personnel formé et expérimenté dans lequel l’unité principale puiserait des effectifs de remplacement et de renfort. Les groupes de soutien spécialisé comprendraient des éléments de la taille d’une compagnie maîtrisant les techniques de neutralisation des explosifs ainsi que les techniques de reconnaissance et d’exploitation chimique, biologique, radiologique et nucléaire. Une équipe de soutien aux unités de combat assurerait le soutien logistique.

    Les ressources existantes ou élargies des forces aériennes seraient affectées au transport stratégique en fonction des priorités. Des équipages des forces aériennes ayant suivi un entraînement spécial et des Hercules C-130 modifiés, munis de systèmes perfectionnés d’autodéfense, de navigation à basse altitude et d’évitement du sol, fourniraient l’appui aérien opérationnel ou à l’échelle du théâtre d’opérations. Des hélicoptères moyen-porteurs, achetés ou loués, qui seraientet dotés d’un équipage des forces aériennes et des mêmes capacités de défense, de navigation et d’évitement du sol que les Hercules, assureraient le transport tactique.

    La mobilisation, la formation et le déploiement des forces d’opérations spéciales dépendraient des forces aériennes, terrestres et navales, comme en Grande- Bretagne. La Deuxième Force opérationnelle interarmées, en tant que noyau des forces d’opérations spéciales de calibre international, devrait être une force de combat autonome, pourvue d’une structure de commandement et de contrôle opérationnel et tactique et possédant des capacités internes de soutien logistique. Les groupes et les individus spécialisés dans le renseignement ou dans le commandement et le contrôle relèveraient de leur composante pour la formation et les opérations normales, mais seraient financés par les forces d’opérations spéciales afin de maintenir les capacités et l’expertise qu’exigent les missions et les responsabilités des forces spéciales. Ces groupes devraient s’entraîner régulièrement avec les forces d’opérations spéciales et se tenir constamment en état de préparation élevé pour d’éventuelles opérations.

    Les forces d’opérations spéciales financeraient les capacités de transport stratégique, opérationnel et tactique. Ces capacités seraient rattachées aux forces aériennes, mais ces dernières devraient suivre un certain nombre de séances de formation et d’entraînement avec les forces d’opérations spéciales et pourraient être rappelées pour des missions presque sans préavis. L’effectif de ces forces ne dépasserait probablement pas 2 000 personnes.

  • Le commandement et le contrôle. Comme dans le cas des forces australiennes et britanniques, on peut s’attendre à ce que les forces d’opérations spéciales du Canada soient très demandées pour tout l’éventail des missions militaires, surtout celles qui doivent être menées presque sans préavis. Par souci d’efficacité, le commandement et le contrôle devraient s’exercer au plus haut échelon, soit l’échelon stratégique, sinon on pourrait confier à ces forces des tâches pouvant être exécutées par d’autres éléments et négliger des objectifs nationaux plus prioritaires qui requièrent leur savoir-faire. Le chef d’état-major de la Défense doit donc continuer d’assumer le commandement par l’entremise de son sous-chef d’état-major.

RÉsumÉ

L’aménagement d’un créneau de capacités militaires est un moyen à la fois viable et économique de fournir une contribution appréciable à la sécurité internationale au moment et à l’endroit choisis. Parmi les capacités d’un tel créneau, le recours à des forces d’opérations spéciales présente l’avantage d’avoir des répercussions particulièrement intéressantes sur la réputation et l’influence d’une nation au sein de la communauté internationale. Devant toutes les options qui s’offrent à lui, le Canada doit manifestement s’intéresser aux capacités qui sont les plus avantageuses en ce qui concerne l’influence qu’il exerce sur ses alliés et ses partenaires. Des forces d’opérations spéciales de calibre international constituent, selon nous, un excellent moyen de contribuer aux opérations expéditionnaires dans l’intérêt de la sécurité internationale.

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Ces forces peuvent être de taille relativement réduite comparées à celles de nos amis et alliés. Il importe toutefois de former une composante autonome, capable de se déployer et de mener des opérations très pointues et de longue durée en faisant preuve d’un professionnalisme éprouvé et qui peut retourner au pays sans assistance après les missions. Cette composante devrait être mobilisée, formée et soutenue par des experts dans chacun des domaines spécialisés, mais elle devrait aussi pouvoir se regrouper et se déployer rapidement pour mener des opérations. Enfin, elle doit être contrôlée à l’échelon stratégique pour maximiser son efficacité dans l’intérêt national.

En conclusion, il importe de souligner que, pour garantir aux forces d’opérations spéciales la puissance et les capacités extraordinaires qu’on attend d’elles, il faut remplir un certain nombre de conditions. D’abord, le gouvernement doit être prêt à investir en temps opportun les fonds nécessaires à la création et au maintien de ces forces, car on ne peut mettre sur pied des forces spécialisées lorsqu’une crise est imminente. Ensuite, le financement doit permettre l’acquisition de l’équipement requis pour optimiser les résultats en utilisant l’effectif le plus restreint possible, puisqu’il est irréaliste, tant sur le plan financier que pratique, d’envisager des contingents importants de forces d’opérations spéciales. Enfin, les autorités gouvernementales et militaires doivent être prêtes à affecter le personnel le plus compétent à ces forces. Les situations et les circonstances dans lesquelles les forces d’opérations spéciales devront vraisemblablement intervenir exigent un personnel trié sur le volet.

Une fois les fonds investis, les dirigeants politiques et militaires doivent être disposés à faire appel aux forces d’opérations spéciales pour atteindre les objectifs politiques et militaires du pays. Ces forces doivent être considérées comme un outil de précision employé dans des circonstances particulières pour obtenir des résultats très ciblés et très précis dans toutes sortes de situations difficiles et exigeantes. Elles doivent être considérées comme un moyen de maîtriser des situations à haut risque pour obtenir des résultats et des avantages qui excèdent largement l’investissement en ressources. Mises sur pied et utilisées ainsi, ces forces seraient dotées de capacités considérables et très crédibles commandant le respect de la communauté internationale et elles pourraient être la clé du succès pour le Canada.

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Le major Bernard J. Brister est pilote d’hélicoptère tactique. Il poursuit actuellement des études de doctorat au Collège militaire royal du Canada.

Notes

  1. Propos de Ramzi Ahmed Yousef, terroriste condamné pour l’attentat perpétré au World Trade Centre en 1993. Benjamin Weiser, « Two Convicted in Plot to Blow up N.Y. World Trade Center ». The New York Times, le 13 novembre 1997.
  2. Direction de l’analyse stratégique, Évaluation stratégique 2002, ministère de la Défense nationale, Ottawa, 2002, p. 11.
  3. Bernard J. Brister, The Role of Special Forces in the Execution of Canadian Foreign Policy, document présenté lors du deuxième symposium sur les opérations spéciales, qui s’est tenu au Collège militaire royal du Canada, à Kingston, en Ontario, le 7 mars 2002.
  4. Le terme forces spéciales désigne ici les forces spécialement constituées, entraînées, équipées et mandatées pour un éventail de missions ne faisant pas partie des opérations militaires classiques. Cette définition s’inspire de Thomas K. Adams, US Special Operations Forces in Action: The Challenge of Unconventional Warfare, Frank Cass, Londres, 1998, p. xxiv, p. xxv et p. 5-7.
  5. Le terme forces d’opérations spéciales désigne ici les éléments militaires, paramilitaires et civils d’un groupe opérationnel ayant pour mandat de soutenir un groupe opérationnel de forces spéciales dans l’exécution d’une mission ne faisant pas partie des opérations militaires classiques. Cette définition s’inspire de Adams, op. cit., p. xxiv, p. xxv et p. 5-7.
  6. Entrevue avec un officier supérieur des forces spéciales britanniques, le 25 avril 2003.
  7. Entrevue avec un officier supérieur de l’Australian Special Air Service Regiment, le 27 mars 2003.
  8. Entrevue avec un officier supérieur des forces spéciales britanniques, le 25 avril 2003.
  9. Ces capacités et l’extrême compétence des effectifs accroîtront la portée stratégique du pays et donc son influence, ce qui aura des retombées politiques et diplomatiques considérables mais discrètes. Une projection de puissance rapide à l’appui des pays alliés, grands et petits, voisins ou distants, suscite beaucoup de reconnaissance et de coopération.

    Entrevue avec un officier supérieur de l’Australian Special Air Service Regiment, le 27 mars 2003.
  10. ibid.
  11. Les domaines dans lesquels un pays aura acquis des capacités de renseignement supérieures à celles des autres participants peuvent comprendre, entre autres, l’analyse des images, le renseignement sur la transmission et la collecte de renseignements auprès de sources humaines. Entrevue avec un officier supérieur des forces spéciales britanniques, le 25 avril 2003, et avec un officier supérieur de l’Australian Special Air Service Regiment, le 27 mars 2003.
  12. Entrevue avec un officier supérieur des forces spéciales britanniques, le 25 avril 2003, et avec un officier supérieur de l’Australian Special Air Service Regiment, le 27 mars 2003.
  13. Entrevue avec un officier supérieur de l’Australian Special Air Service Regiment, le 27 mars 2003.
  14. ibid.
  15. Discussion avec un officier supérieur de l’Australian Special Air Service Regiment, le 9 juillet 2004.
  16. ibid.
  17. ibid.
  18. ibid.
  19. Entrevue avec un officier supérieur des forces spéciales britanniques, le 25 avril 2003.
  20. Entrevue avec un officier supérieur de l’Australian Special Air Service Regiment, le 27 mars 2003.
  21. Adams, op.cit., p. 7.
  22. Entrevue avec un officier supérieur des forces spéciales britanniques, le 25 avril 2003.
  23. Discussion avec un officier supérieur du quartier général de l’Australian Theatre à Sydney, en Australie, le 8 août 2003.
  24. Ministère de la Défense nationale, À l’heure de la transformation : Rapport annuel du chef d’état-major de la Défense, 2002-2003, Ottawa, 2003, p. 5.
Des Rangers

Photo du MDN IS2004-2126a par le sergent Frank Hudec

Des Rangers canadiens à Pangnirtung s’apprêtent à participer à une patrouille interarmées durant l’exercice Narwhal dans la péninsule Cumberland de la terre de Baffin, en août 2002.