AvertissementCette information est archivée à des fins de consultation ou de recherche.

Information archivée dans le Web

Information identifiée comme étant archivée dans le Web à des fins de consultation, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’a pas été modifiée ni mise à jour depuis la date de son archivage. Les pages Web qui sont archivées dans le Web ne sont pas assujetties aux normes applicables au Web du gouvernement du Canada. Conformément à la Politique de communication du gouvernement du Canada, vous pouvez la demander sous d’autres formes. Ses coordonnées figurent à la page « Contactez-nous »

Histoire

Québec en 1759

Affaires publiques, E00094311

Une vue de la prise de Québec, le 13 septembre 1759.

Le marquis de Montcalm et la bataille de Québec, Septembre 1759 : une réévaluation

par le major Michael Boire

Imprimer PDF

Pour plus d'information sur comment accéder ce fichier, veuillez consulter notre page d'aide.

In Memoriam

MONTCALM – À la mémoire de Louis-Joseph de Montcalm-Gozon, marquis de Montcalm de Saint-Servan [sic], héros mort à Québec le 14 septembre 1759 des blessures qu’il avait subies lors de la défense héroïque de la Nouvelle-France. Vive le Québec!1

Introduction

Depuis la mort du marquis de Montcalm, survenue au plus fort de la bataille de Québec en septembre 1759, de nombreux ouvrages se sont intéressés à ses qualités de général. Son rôle comme commandant des troupes françaises régulières en Amérique du Nord pendant la majeure partie de la guerre de Sept Ans a souvent été examiné à travers des prismes déformants. L’insistance résolue avec laquelle de nombreux critiques l’ont tenu responsable de la détérioration de ses rapports avec Vaudreuil, son supérieur, en est peut-être la parfaite illustration. Les dimensions à la fois professionnelles et personnelles de leurs différends sont bien documentées, comme le sont d’ailleurs les effets désastreux que cela a eu sur les opérations de défense de la Nouvelle-France. On retrouve néanmoins des éléments positifs d’interprétation dans l’historio graphie de ce grand personnage. L’abbé Casgrain, chroniqueur prolifique qui prenait le parti des défenseurs de la colonie, propose une justification impartiale des actions du marquis pour défendre la colonie2. À bien des égards, les points de vue divergents quant au rôle de Montcalm avant l’effondrement de la Nouvelle-France sont représentatifs du clivage entre le point de vue des métropolitains et celui des coloniaux au sujet de la conduite de la guerre dans les forêts de l’Amérique du Nord3.

Le présent article explore certains aspects du rôle que Montcalm a joué dans la défense de Québec, en 1759. Nous cherchons ici à mettre en parallèle les facteurs déterminants des décisions de Montcalm et les modalités de la conduite de la guerre telle qu’elle se pratiquait au XVIIIe siècle. À prime abord, il s’agit d’une approche sensée. Toutefois, il est décevant de constater que bien peu d’historiens par ailleurs éminents ont pris la peine d’évaluer les options qui s’offraient au marquis à la lumière du contexte militaire de l’époque. Nous réexaminerons certains faits rapportés par les sources primaires pour décrire des aspects de la position de Montcalm qui ont été omis dans sa biographie ou qui n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritent. À dire vrai, un personnage historique de cette envergure est digne d’une analyse plus équitable que celle que proposent certains commentateurs.

Louis-Joseph de Montcalm

AP, C-027665

Le marquis Louis-Joseph de Montcalm.

Historiographie

Décrivant l’évolution de l’historiographie du Canada français, Ramsay Cook conclut qu’« aucune question n’a autant retenu l’attention des historiens, intellectuels, hommes politiques, spécialistes en sciences sociales, prêtres, romanciers et journalistes canadiens-français que la signification de l’année 1759 [...]. Chaque génération de Canadiens français semble, à son tour, livrer intellectuellement la bataille des Plaines d’Abraham4 » [TCO]. On ne s’étonnera pas de constater que la controverse entourant le rôle de Montcalm dans la chute de la Nouvelle-France occupe une place importante dans l’historio graphie de la colonie. Eccles et Frégault, représentants éminents des deux courants linguistiques de cette historiographie, tiennent le pôle négatif du continuum. Compte tenu de l’influence écrasante qu’ils exercent, c’est à leurs critiques véhémentes que nous nous intéresserons tout d’abord.

Dans sa dernière réévaluation de la campagne, W. J. Eccles, le doyen des historiens canadiens anglais de la Nouvelle-France, ne cache pas son admiration pour la valeur et le potentiel militaires de Québec à ses débuts. « S’il était possible d’avoir un bilan exact [...], on se rendrait probablement compte que les militaires se classaient au deuxième rang dans l’économie de la colonie, juste derrière la traite des fourrures [...]. La société canadienne dans son ensemble était imprégnée des valeurs militaires [...] [et], en 1753, le corps des officiers au Canada était devenu une caste5. » [TCO] Lorsque le roi confie à Vaudreuil la charge de gouverneur général au début de la guerre de Sept Ans, ce dernier s’impose comme le chef spirituel de cette nouvelle classe militaire. À bien des égards, le roi avait fait un excellent choix. Vaudreuil était né et avait été élevé dans la colonie. Puisqu’il a servi comme officier dans les forces militaires presque toute sa vie, son expérience et son engagement lui donnaient de la crédibilité. Sa direction stratégique avait beaucoup de poids tant auprès des officiers de la force régulière de la colonie qu’auprès des miliciens des districts militaires de la Nouvelle-France. Vaudreuil était doué d’un esprit militaire bien adapté au contexte stratégique et il pouvait compter sur un bassin de compétences guerrières non exploitées dans les rangs de la milice et de la force coloniale régulière. Eccles soutient que les rapports difficiles que Montcalm entretenait avec Vaudreuil, de même que ses critiques publiques des aptitudes des miliciens, démontrent les faiblesses du marquis dans l’exercice de ses fonctions de commandant. Par ailleurs, Eccles déplore le fait que Montcalm n’a pas cru bon de défendre la Nouvelle-France plus vigoureusement, la colonie étant alors un investissement stratégique extrêmement judicieux, malgré ses déficiences sur le plan économique6.

L’historien semble pourtant passer sous silence la réalité de la guerre coloniale à la fin de la guerre de Sept Ans en Amérique du Nord. Le potentiel qu’avait la colonie de mener la « petite guerre » était, sans aucun doute, un atout au début des hostilités. Lorsque les forces européennes de métier entrent en campagne, l’aptitude à prendre des décisions sur le terrain devient une condition sine qua non de la victoire. La capacité des miliciens de résister, de combattre et d’absorber les inévi tables pertes faisait défaut pour des raisons culturelles évidentes. Ces miliciens n’avaient pas été formés dans la tradition européenne classique. Il était illusoire de penser que cette capacité pouvait émerger de sorte que ces combattants occasionnels puissent être intégrés au plan de campagne français. Dans son évaluation de la campagne de 1759, Eccles ne semble pas prêt à se mettre dans la peau de Montcalm. Ses critiques des motivations de ce dernier sont acerbes. « Tout au long de la guerre, il s’est montré défaitiste7 » [TCO], affirme-t-il. Cependant, les journaux et les lettres de Montcalm ne contiennent aucune trace de défaitisme persistant tout au long de la campagne. Que Montcalm ait connu des moments de noirceur, cela ne fait pas de doute; que ces moments témoignent d’un trait caractéristique du personnage est une affirmation que ne viennent pas étayer les propres écrits de Montcalm8.

En plus d’être qualifié de défaitiste, Montcalm est dépeint comme un homme d’inaction, incapable de tirer parti de la santé chancelante de Wolfe et de l’état misérable de l’armée anglaise, qui se dégradait davantage à mesure que l’été 1759 avançait. Selon Eccles, comme près de la moitié de la force d’invasion, malade ou blessée, était hors de combat, Montcalm aurait pu attaquer dans des conditions favorables, d’autant plus que l’appui des alliés amérindiens aurait conféré aux troupes françaises un avantage, sinon une supériorité, sur le champ de bataille. En outre, le retrait de Wolfe des opérations offensives dirigées contre les défenses de Beauport ainsi que la campagne de fer et de feu qu’il livrait contre les établis sements en aval de Québec auraient dû être perçus comme des signes de faiblesse. Dans l’esprit de Eccles, c’était là l’occasion pour Montcalm d’exploiter le talon d’Achille des Britanniques, vraisemblablement par une contre-attaque des troupes de terre ou par des opérations de harcèlement menées par les miliciens et les Amérindiens.

James Wolfe

www.uppercanadahistory.ca

Un portrait de James Wolfe par le brigadier Townshend, 1759.

Ce raisonnement repose sur une vision déformée de ces prétendues possibilités. Dans une guerre qui en est à sa cinquième saison de campagne, l’éventualité d’une défaite française se dessine de plus en plus clairement en 1759, et Montcalm est sensible à cette réalité. Les ambitions stratégiques de la cour de Versailles demeurent résolument continentales plutôt que coloniales, ou même équilibrées. En revanche, les investissements militaires des Britanniques dans les opérations nord-américaines sont alors considérables. Montcalm ne peut se permettre d’engager les quelques unités de métier dont il dispose encore à l’été de 1759 dans des incursions qui ne présentent aucune garantie de résultats décisifs. Les risques auraient été trop grands pour ses troupes affaiblies. De surcroît, il a reçu de Versailles des ordres extrêmement précis. Sa mission consiste à prendre pied dans la colonie pour se ménager ultérieurement une position avantageuse en prévision des négociations diplomatiques qui mettront inévitablement fin au conflit. Dans la mesure où Montcalm est appelé à perdre le moins de terrain possible et non à tenter de remporter une victoire décisive sur les Britanniques, pourquoi voudrait-il mettre en péril le noyau de sa force de combat en l’exposant à des missions hors de ses positions de défense? Par ailleurs, qu’a-t-il à gagner à lancer des incursions contre l’ennemi dont le départ est inéluc table, puisque, à l’approche de l’hiver, toute navi gation sera impossible sur le Saint-Laurent?

Une dernière critique de Eccles démontre un parti pris dans son évaluation de la réaction de Montcalm à la présence de Wolfe sur les Plaines d’Abraham le matin du 13 septembre 1759. « Montcalm n’avait qu’une chose à faire : éviter tout engagement majeur pendant quelques jours. Wolfe aurait alors été forcé de tenter une retraite par la falaise abrupte pour accéder à la grève étroite et ainsi regagner ses navires. Compte tenu des forces mises à la disposition de Montcalm, ce retrait aurait été une opération coûteuse9. » [TCO] Cette logique fait fi de la réalité. Quand les Anglais apparaissent sous les murs de Québec, ils sont à cheval sur la principale voie de ravitaillement de la colonie, et Montcalm n’a pas le loisir de s’interroger sur leurs intentions. Bien qu’on ait souvent évoqué sa nature impulsive, Montcalm ne peut se payer le luxe de méditer sur ses prochaines manœuvres. Il semble en être venu à la conclusion que les forces anglaises se retrancheraient sur leurs positions en prévision d’une opération de siège classique, un plan d’action plausible dans les circonstances. Montcalm peut difficilement se permettre de laisser les Anglais prendre la situation en main et leur procurer par la même occasion un avantage tactique. Surtout, le marquis ne peut savoir s’il s’agit là de l’attaque prin cipale ou si c’est une simple manœuvre de diversion précédant une véritable opération qui mettrait à partie le gros des troupes anglaises contre les défenses de Beauport. D’où la nécessité d’attaquer rapidement les « habits rouges » qui se trouvent devant lui et de rétablir l’équilibre défensif de ce qui est en voie de devenir un déploiement français vulnérable et allongé.

De plus, Montcalm ne peut compter sur une forteresse assez solide pour résister à un siège des forces britanniques. Les défenses de Québec vers l’intérieur des terres sont largement faites de bois, quoique bien équipées en canons. Presque tous les observateurs ont aussi passé sous silence l’avantage que procuraient à l’attaquant les Buttes-à-Neveu, un groupe de petites collines situées à 200 mètres à l’ouest des fortifications de Québec. Si les Britanniques avaient réussi à prendre cette position, ils auraient complètement dominé les défenses de la ville, bâtie en contrebas des Buttes. Il est raisonnable de présumer que Montcalm était conscient de cette faiblesse dans les défenses de Québec. Une attaque préventive rapide, menée pendant que les Anglais consolidaient leur tête de pont après un débarquement sans opposition, présentait moins de risques que d’attendre que Bougainville prenne les Britanniques par l’arrière. Malheureusement pour Montcalm, son attaque improvisée est bloquée par des « habits rouges » prêts à repousser les troupes françaises à partir de leur position avantageuse. C’était là un autre résultat inopiné des frictions de la guerre.

Frégault reprend bon nombre des critiques formulées par Eccles, bien qu’avec plus de nuances. Selon lui, la querelle entre Vaudreuil et Montcalm au sujet de la stratégie idéale à adopter pour défendre la Nouvelle-France en 1759 était un conflit de principes fondé sur des visions divergentes de l’avenir de la colonie. À la question « Que doit-on défendre? », Vaudreuil répond en termes essentiellement éco no miques. Les ressources de la colonie s’étendent loin vers l’ouest, au-delà du Niagara, et loin vers le sud, jusqu’en Louisiane en passant par les bassins de l’Ohio et du Mississippi. Le fait de céder ces territoires sans combat aurait enlevé toute valeur économique à la colonie pour le roi de France.

Par conséquent, au début de 1759, Vaudreuil adopte une stratégie en faveur d’un vaste déploiement des forces métropolitaines régulières de Montcalm, qui recevraient le renfort de milices, de troupes régulières de la colonie et d’alliés amérindiens10. L’effort principal devait être dirigé vers le corridor Richelieu-Albany, qui constituait, selon Vaudreuil, l’axe de progression le plus plausible des Anglais vers Québec. Les forces françaises postées dans ce secteur central pourraient engager le combat contre l’avancée des forces britanniques et retarder la progression de l’ennemi à partir des fortifications de Carillon et du fort Frédéric. Elles pourraient ainsi remporter une victoire décisive dans cette ceinture fortifiée ou en amont du Richelieu vers Montréal, advenant que les Anglais s’aventurent aussi loin vers le nord. On présumait alors que la progression des Anglais s’essoufflerait. Initialement, à tout le moins, Vaudreuil n’accorde pas foi aux rumeurs voulant que les Anglais s’apprêtent à lancer, à partir de Louisbourg, une expédition qui aboutirait à Québec par l’estuaire du Saint-Laurent. Si ce devait néanmoins être le cas, affirme-t-il, les mêmes forces qui devaient retarder l’ennemi au nord, dans la vallée du Richelieu, pourraient rompre le combat, des cen dre vers l’estuaire et affronter cette nouvelle menace11.

Montcalm, moribond, est entouré de gens en pleurs

www.uppercandahistory.ca

La mort de Montcalm.

La vision stratégique de Vaudreuil s’appuie sur plusieurs hypothèses assez naïves qu’il aurait été particu lièrement difficile de concrétiser sur le terrain. Si les forces britanniques avaient remonté le Saint-Laurent, un redéploiement de l’effort principal des Français à partir du corridor du Richelieu vers Québec n’aurait pas été une mince affaire. Une fois engagées au centre, les forces régulières de Montcalm n’auraient pas forcément eu la marge de manœuvre nécessaire pour rompre simplement le combat et se déplacer vers le nord. Les forces britanniques en position de supériorité auraient pu les immobiliser : c’était là une possibilité bien réelle. Comme les troupes régulières comptaient moins de 4 000 hommes en état de combattre et que 1 500 d’entre eux avaient été déployés à l’ouest au début de 1759, on ne disposait pas d’effectifs très impressionnants pour un déploiement vers le sud dans le corridor central. Même si l’on admet que la rupture des combats contre l’avancée des forces britanniques avait été possible en chargeant les miliciens et les Amérindiens de harceler les arrières de l’ennemi, les Français auraient essuyé des pertes considérables, ce qui aurait contribué à affaiblir leur situation déjà peu enviable.

Bien que le territoire à protéger ait fait l’objet d’un important échange de lettres entre Vaudreuil, Montcalm et la cour, la stratégie de « défense universelle » du gouverneur général est éclipsée par les événements. Au printemps 1759, la cour de Versailles profite de la visite de Bougainville pour lui adresser de nouvelles instructions et pour gratifier son supérieur d’une promotion. Influencé par les événements qui ont cours en Europe, le roi perçoit autrement les intérêts impériaux de la France dans le Nouveau Monde. Les ordres que Montcalm reçoit de son souverain sont maintenant typiquement métropolitains. Montcalm doit sauvegarder une présence importante en Nouvelle-France, présence qui servira de monnaie d’échange lorsque la diplomatie prendra le relais à la fin de la guerre. C’est la vision de Montcalm, et non celle de Vaudreuil, qui prévaudra. L’affaiblissement des troupes françaises devant des forces britanniques déterminées, qui consolident leur position à mesure que l’année avance, oblige Montcalm à des opérations stricte ment défensives sur des fronts intérieurs rapprochés. Son centre de gravité doit se limiter à la forteresse et à la partie de l’estuaire qu’elle domine à la hauteur de Québec. La conclusion de Frégault selon laquelle les stratégies de Vaudreuil et de Montcalm se valent compte tenu de la situation de la Nouvelle-France en 1759 démontre que l’historien ne comprend pas les réper cussions stratégiques de ces deux visions pas plus qu’il n’a remarqué l’apparition d’une nouvelle politique royale12.

À l’autre extrémité du continuum se trouvent les commen tateurs qui vantent les qualités de commandant de Montcalm. Gustave Lanctot, un fervent admirateur du marquis, saisit l’essence du problème stratégique qui se pose à Montcalm en 1759, lorsque Bougainville revient de Versailles et rapporte que la colonie menacée est désormais laissée à elle-même. Malgré le renfort de troupes métropolitaines et un ravitaillement partiel en vivres, les signes de désintéressement sont manifestes. « Après étude de multiples mémoires sur la défense du Canada, Versailles se range à une décision qui se résume pratiquement à un abandon du pays à ses propres forces et à l’habileté de Montcalm13. » Versailles semble vouloir jouer sur les deux tableaux : Québec ne doit pas être sacrifiée, mais elle ne bénéficiera pas d’un renfort important. Bien que Vaudreuil se plie aux instructions royales qu’il a reçues au printemps 1759 et reconnaisse à Montcalm le rôle de chef militaire de la colonie, il n’échappera pas à la tentation de reprocher au défunt marquis de Montcalm la chute de Québec. À cet égard, Lanctot redore la réputation du marquis en replaçant dans son contexte l’hypocrisie de Vaudreuil. En outre, l’historien passe sous silence la décision du marquis d’avancer en colonnes contre les Britanniques lorsque les combats décisifs sur les Plaines d’Abraham sont sur le point de s’engager. Même si une formation en ligne aurait pu permettre aux troupes régulières françaises de faire feu plus rapidement une fois rendues à quelques mètres des Britanniques, Montcalm opte pour la formation en colonnes, qui se déplace plus vite. C’est là une décision raisonnable, compte tenu des tirs en grappe meurtriers qui proviennent du flanc britannique. Malheureusement, la décision d’organiser les troupes en colonnes n’est pas sans conséquence. Les deuxième et troisième rangs de chacune des colonnes françaises sont formés d’une combinaison éclectique de miliciens et de militaires des forces coloniales régulières. Ces soldats tirent d’abord trop tôt, puis se jettent au sol pour recharger leurs armes à la manière de la « petite guerre », de sorte que la formation en colonnes perd sa configuration aussi bien que son élan. « Les Français ripostent par un feu spasmodique, auquel répondent les ennemis par une fusillade méthodique, de front et de flanc14 », ce qui intensifie l’effet destructeur des salves britanniques.

À bien des égards, Parkman reste le commentateur le plus éclairé au sujet du commandement de Montcalm. L’historien comprend le contexte militaire et propose une analyse nuancée et impartiale des erreurs du marquis. Si Parkman admet que Wolfe prend Montcalm par surprise lorsqu’il se pointe sur les Plaines d’Abraham, l’endroit le plus inattendu, le marquis réagit néanmoins rapidement et avec détermination en se lançant au combat « les yeux braqués, sans un mot [...]. Il est évident que son impé tuosité a eu raison de son jugement [...]. Et il est difficile de l’absoudre de cette faute15 ». L’évaluation que fait Parkman de la situation désastreuse de Montcalm semble pertinente. Il est évident que Montcalm avait le temps de coordonner une manœuvre avec Bougainville, mais « il croyait qu’il n’y avait pas de temps à perdre parce que Wolfe recevrait bientôt des renforts, ce qui était impossible, et que les Anglais consolidaient leurs positions, ce qui était une autre erreur. On l’a blâmé non seulement de s’être lancé au combat trop tôt mais d’avoir même engagé le combat. Toutefois, cette dernière cri ti que ne tient pas. Montcalm était forcé au combat, car Wolfe était en mesure de lui couper toutes les voies de ravitail lement16 » [TCO] Montcalm n’avait pas devant lui le vaste éventail de possibilités que ses critiques s’acharnent à lui reconnaître.

Montcalm, moribond, est entouré de gens en pleurs

Tableau de Benjamin West, Musée des beaux-arts du Canada

La mort de Wolfe.

Observations

Le journal de Montcalm est une mine d’information qui permet de mieux comprendre la personnalité complexe du marquis. Dans la mesure où les historiens ne lui ont pas accordé autant d’attention qu’à Wolfe, Montcalm, l’homme, reste un inconnu. Voici quelques observations qui laissent entrevoir son univers psychique.

Louis XV avait terriblement besoin des services de Montcalm; c’est du moins ce que le marquis veut faire croire. C’est là la première impression que l’on a à la lecture du rituel qui entoure le rappel au service du marquis. Même si Montcalm affirme préférer la vie pastorale dans son comté ancestral de Candiac, au cœur de la Provence, il prétend, avec raison, ne pas avoir le choix d’accepter sa nouvelle nomination. Bien qu’il aurait préféré rester auprès de sa famille, jeune et nombreuse, il doit obtempérer lorsqu’il est sommé par le roi de paraître à la cour et qu’il apprend sa nouvelle charge de commandant. Ce soldat chevronné doit tout de même avoir eu un pressentiment. Il a survécu à deux guerres sanglantes, toujours au front, dans le feu de l’action, et sa bravoure comme sa loyauté à l’égard des intérêts de son roi ne font pas de doute. Il a mérité ce répit loin du danger. Il allait encore une fois narguer le destin en retournant au combat, et ses chances de survie devaient sûrement le préoccuper. De plus, si les graves blessures qu’il a subies lors des campagnes passées sont guéries, elles ont néanmoins laissé des séquelles17. L’humidité et la fatigue font souffrir le marquis.

Le futur commandant des troupes de Sa Majesté très chrétienne au Canada décrit en détail l’accueil chaleureux que d’Argenson, le ministre de la Guerre, lui réserve à Versailles. Sa nomination n’est en fait que le premier versement d’un marché à six volets, qui comprend une promotion au rang de major-général, une importante somme forfaitaire et un généreux traitement annuel pour le commandement des troupes du roi au Canada, sans compter une pension pour la marquise, si Montcalm devait y rester. Au terme de la campagne, le marquis aurait droit à une pension, au remboursement de l’argent ayant servi à payer les uniformes, les armes et les montures dont avait besoin le Régiment de Montcalm dans le théâtre d’opérations européen ainsi qu’à des promotions dans le régiment familial pour ses fils18.

Montcalm a noirci des pages et des pages pour décrire ce qu’il a obtenu du roi et ce qu’en retirera sa noble lignée, qu’il sorte vivant ou non de cette aventure nord-américaine. S’il est à l’abri du besoin, bien marié et bien en vue à la cour grâce aux relations de sa femme, le marquis évoque cependant la précarité de sa situation sociale avant sa nomination comme commandant au Canada. En assurant la stabilité financière de ses descendants, il répond à un impératif de survie. Au milieu du siècle, les vieilles familles appartenant à la noblesse d’épée, ces guerriers anoblis par les rois de France, connaissent des temps difficiles, principalement en raison des dettes contractées afin de lever des régiments pour le service en temps de guerre. Pour un noble provincial comme Montcalm, assez peu connu et certainement pas un habitué de la cour, les risques de pénurie pouvaient mettre en péril la pérennité de sa lignée. Tirer le meilleur parti possible de cette nouvelle charge de commandant allait lui permettre d’éviter la catastrophe. Le titre héréditaire et les privilèges spéciaux qui en découlaient constituaient les traits distinctifs de la noblesse française19. Le sacrifice du marquis et son dévouement assureraient la continuité de la lignée des Montcalm.

Malgré ses réticences, Montcalm reconnaît qu’il a obtenu une nomination idéale. Pour assurer la défense du Canada contre les Anglais, il a à sa disposition six régiments de ligne, aguerris au combat et dirigés par des officiers qui ont fait leurs preuves. Le ministre de la Guerre est cependant bien clair : ces régiments ne resteront peut-être pas longtemps sous les ordres de Montcalm et peuvent être rappelés en France très rapidement. Cette contrainte doit sans doute inquiéter sérieusement Montcalm, dans la mesure où ces régiments sont indispensables à toute victoire militaire dans la colonie. De bonnes nouvelles font toutefois contrepoids à ces restrictions. Le marquis pourra compter sur l’appui et les talents de militaires parmi les plus brillants de la France. Le chevalier de Lévis est rappelé de son poste de fidèle serviteur auprès de la famille royale du Danemark. Ses compétences dans le domaine politique se confirmeront plus tard pendant la campagne au Canada, lorsqu’il faudra garder la tête froide. Montcalm et le chevalier de Lévis se lient immédiatement d’amitié, et cette complicité survivra aux nombreux déboires de la campagne. Bourlamaque est nommé aide de camp après sa mutation du Régiment du Dauphin. Et Bougainville, déjà reconnu pour son intelligence et ses idées novatrices, est rappelé de l’ambassade de Londres pour assister Montcalm.

Le journal de Montcalm permet de pénétrer l’âme du person nage. Malgré son impétuosité toute provençale, le marquis arrive au Canada bien déterminé à faire preuve de circonspec tion, voire de détachement, dans ses rapports avec les autorités coloniales. Il semble vraiment avoir donné le bénéfice du doute à Vaudreuil20. Cela dit, après un an au Canada, Montcalm en a assez de la malhonnêteté et de la corruption qui sévissent au sein de l’aristocratie coloniale, et la mauvaise grâce avec laquelle Vaudreuil assume ses responsabilités l’irrite au plus haut point. Il semble que leurs différends relèvent davantage du désappointement que ressent Montcalm à l’égard d’un noble comme Vaudreuil plutôt que d’un conflit de personnalité.

Montcalm connaît tout de la « petite guerre », car il en a fait l’expérience. Cette forme de guerre ne l’impressionne pas et il y fait à peine référence dans son journal. Il reste convaincu que les combats sporadiques ne peuvent produire les résultats décisifs que l’on attend de ses engagements contre les forces britanniques21. Peut-être le marquis a-t-il perdu son ardeur au combat ou peut-être a-t-il oublié à quel point les raids nocturnes avaient été efficaces pendant ses campagnes italiennes des années 1740. Une attaque coordonnée contre les arrières britanniques en juillet et en août à Québec aurait pu changer le cours de l’histoire!

Église

AP, C-000357

Les ruines de l’Église Notre-Dame-de-la-Victoire de Québec.

Conclusion

En 1759, Montcalm est à la tête d’une force éclectique, composée de milices coloniales, d’effectifs des forces métropolitaines régulières, de compagnies franches indépendantes et d’Amérindiens de diverses tribus. Il se peut que, compte tenu de cette diversité de cultures et d’intérêts, ces troupes disparates auraient été mieux dirigées par un commandant de tempérament agréable, qui aurait été plus sensible aux impératifs du leadership colonial communicatif qu’à la rigoureuse discipline européenne. Le marquis avait déjà participé à deux guerres, qui l’avaient familiarisé avec les grands progrès militaires du XVIIIe siècle. Entré en service à l’âge de 12 ans, il a grandi en s’imprégnant de cette discipline qui caractérisait les combats du Vieux Monde. Dans le Nouveau Monde, 35 ans plus tard, il observe qu’« une stratégie agressive, mobile et combative a remplacé la lente méthode du siège22 ». [TCO] Combattant dans les guerres dynastiques du XVIIIe siècle, Montcalm croit fermement que « l’armée est le reflet de l’État. Elle est subdivisée en classes et n’a pas de valeurs communes : les officiers sont mus par l’honneur, la conscience de classe, la gloire ou l’ambition; quant aux soldats, ils sont engagés pour de longues périodes et se battent pour gagner leur vie; on les juge incapables de nobles sentiments, et leur sens d’appartenance prend généralement la forme d’une fierté naïve à l’égard de leur régiment23 ». [TCO] La pensée du marquis et sa façon d’assumer sa charge de général sont façonnées par ses origines, son éducation et son expérience; Montcalm en est le reflet fidèle. Ses décisions stratégiques, dans la mesure où Vaudreuil lui permet d’en prendre, mettent en lumière les grandes qualités et les principaux défauts de la noblesse française du XVIIIe siècle, qui représentait la haute direction de l’armée de Louis XV24.

Ses actions, parce que la spontanéité de Montcalm est incompatible avec l’inaction, résultent d’une analyse et d’une prise de décisions cohérentes. Ses décisions sont fondées sur son interprétation des directives politiques et stratégiques imposées par la cour de Versailles, aussi changeantes et contradictoires qu’elles aient pu être tout au long de la guerre de Sept Ans. En effet, la compréhension qu’a Montcalm des intentions de ses maîtres politiques est toujours aussi directe que la formulation de ces intentions. En revanche, il doit faire preuve d’acuité intel lectuelle pour deviner les intentions de Wolfe. Malheureusement, en 1759, Montcalm semble peu disposé à reconnaître à son adversaire l’adresse et la ruse qui seront si manifestes dans les manœuvres dirigées par les Britanniques dans l’estuaire du Saint-Laurent. Bien que Montcalm arrive à dénouer les problèmes militaires de temps et d’espace, principaux déterminants stratégiques du théâtre nord-américain, il sous-estime l’avantage que procurent à l’ennemi les opérations amphibies menées dans la vallée du Saint-Laurent. Il s’agit peut-être là de son manquement le plus grave en tant que commandant.

Pour Montcalm, le général européen du XVIIIe siècle engagé dans la défense des intérêts dynastiques périphériques aux intérêts impériaux de la France, la guerre est « formelle, professionnelle et mercenaire25 ». Pour Vaudreuil, le défenseur de la patrie, la guerre n’est pas soumise aux normes de conduite propres à l’armée royale. Bien que la défense de la Nouvelle-France ait été assurée, dans une large mesure, par les soldats citoyens amateurs de la milice de Québec, elle a certainement été le fait de ceux qui étaient les plus concernés par l’issue des combats : les Canadiens eux-mêmes. La solde n’était pas leur seule motivation; c’est leur survie qui était en jeu. Si la « petite guerre » et la guerre classique étaient menées de front, leur coexistence se traduisait par une combinaison fragile d’armes, de tactiques et, surtout, d’intentions. Comment les adversaires jugeraient-ils l’avantage découlant d’un raid, d’un siège ou d’une attaque? Quelles règles s’appliqueraient durant une confrontation particulière mettant en présence des forces, tant anglaises que françaises, qui regrouperaient des effectifs métropolitains et coloniaux, des miliciens, volontaires ou non, ainsi que des Amérindiens omniprésents « en quête de scalps »? La guerre des bois et des rivières, celle des embuscades et des champs de bataille, et la possibilité constante de la mort soudaine font peser une menace tant sur les combattants que sur les civils. La guerre de Sept Ans qui s’est déroulée dans les forêts de l’Amérique du Nord annonce la guerre moderne telle qu’elle se présentera aux générations qui suivront.

Peut-être le dernier mot sur les qualités de commandant de Montcalm devrait-il revenir à W. J. Eccles, le critique le plus virulent du marquis :

« Montcalm ne porte pas seul la responsabilité de la défaite et de la perte subséquente de l’empire colonial de la France en Amérique du Nord. Il a simplement été le produit d’un système militaire désuet, qui sera réformé peu de temps après. Jacques-Antoine-Hippolyte de Guibert, spécialiste militaire contemporain, tient ces propos en parlant de l’armée française qui a combattu pendant la guerre de Sept Ans : “La machine est usée à un point tel que même un homme de génie ne peut s’en servir sans appréhension. Son génie ne pourrait suffire à garantir la victoire.” Montcalm était le produit de ce système; il en était même l’incarnation26. » [TCO]

Nous tenons à remercier tout particulièrement Ronald Haycock et Roman Jarymowycz, professeurs au Collège militaire royal du Canada, ainsi que Terry Copp, professeur à l’université Wilfrid-Laurier, de leurs conseils et de leurs encouragements.

Logo RMC

Le major Michael Boire, officier du corps blindé, enseigne l’histoire canadienne au Collège militaire royal du Canada.

Notes

  1. Anonyme, The Montreal Gazette, du 14 septembre 1974, dans C. P. Stacey, Quebec, 1759: The Siege and the Battle, Toronto, McMillan Limited, 1959, réimpr. 1982, p. ii. [REMARQUE : le nom exact du domaine du marquis est Montcalm de Saint-Véran. L’orthographe erronée « de Saint-Servan » apparaît dans le texte cité.]
  2. François Gaston, duc de Lévis, Journal du marquis de Montcalm durant ses campagnes en Canada, 1756 à 1759, dans Abbé H. R. Casgrain (dir.), Collection des manuscrits du Maréchal de Lévis, 12 volumes, Québec, Demers et Frères, 1895, vol. VI, p. 23. Dans l’introduction de cette version révisée du journal personnel de Montcalm, Casgrain expose clairement sa vision des dilemmes moraux et personnels qui se posent aux officiers de l’armée royale dans le cadre de la défense de la colonie. « Il est juste de signaler aussi l’exagération évidente des récits de Montcalm et de ses officiers. On peut les excuser sans doute, on peut pardonner à des gens qui voient leur bravoure et leurs efforts inutiles, par suite du désordre qui règne dans l’administration et du manque de probité chez ceux qui assurent la gestion des finances; on peut leur pardonner, disons-nous, leurs plaintes amères contre ceux qu’ils regardent à juste titre comme la cause première de leurs défaites et de la ruine du pays qu’ils sont chargés de défendre. » (vol. VI, p. 26).
  3. C’est là un thème récurrent dans l’histoire militaire canadienne. On peut imaginer Isaac Brock reprenant les propos de Casgrain pour décrire la négligence dont les autorités civiles du Haut-Canada ont fait preuve au moment d’assurer la défense de la province durant la campagne de 1813. De même, les conversations des officiers britanniques envoyés dans les garnisons fortifiées du Canada au XIXe siècle auraient été imprégnées de ces frustrations.
  4. Ramsay Cook, « Some French Canadian Interpretations of the British Conquest: une quatrième dominante de la pensée canadienne-française », Rapport annuel de la Société historique du Canada, 1966-1967, p. 70.
  5. William J. Eccles, Essays on New France, Toronto, Oxford University Press, 1987, p. 110-115.
  6. Ibid., p. 110.
  7. Ibid., p. 127.
  8. Le journal personnel de Montcalm se caractérise à la fois par la lucidité et le découragement. « La paix ou tout ira mal. 1759 sera pis que 1758. Je ne sais pas comment nous ferons. Ah! que je vois noir. M. de Vaudreuil et l’intendant [Bigot] attendent des miracles. » (Casgrain, op. cit., vol. VI, p. 242-243). « Le désordre s’accroît à mesure que le dénouement s’approche. Quel sujet pour une pièce de théâtre qui réuniroit tant de gens et des situations bien neuves pour l’Ancien Monde. » (Casgrain, op. cit., vol. VI, p. 552). Pourtant, le retour de Bougainville, qui rapporte les directives royales, lui donne un regain de vitalité.
  9. William J. Eccles, « Montcalm », dans Mary McDonald Maude et al. (dir.), Dictionary of Canadian Biography, Toronto, University of Toronto Press, 1974, p. 469. Contrairement aux critiques voulant que Montcalm ait été pris au dépourvu le matin du 13 septembre 1759, les discussions tenues en avril au conseil de guerre de la colonie démontrent clairement la solide compréhension qu’a Montcalm des options d’attaque des Britanniques. Montcalm ajoute donc à son plan de déploiement une stratégie d’équilibre pour défendre le cap Diamant, son centre de gravité, ainsi que les battures de Beauport, qu’il considère comme la voie d’approche la plus plausible des forces britanniques. Le cas échéant, il pourra déplacer son effort défensif vers son flanc droit (vers le fleuve), advenant que l’attaque anglaise vienne de cette direction (Casgrain, op. cit., vol. VI, p. 552).
  10. Casgrain, op. cit., vol. VI, p. 66. Selon une entrée dans le journal de Montcalm, datée du 30 mai 1756, il est très clair que Vaudreuil avait établi une stratégie pour protéger la colonie : défendre tous les fronts. Il la maintiendra systématiquement tout au long de la guerre de Sept Ans. Lors d’une première rencontre, le 30 mai 1756, Vaudreuil donne à Montcalm des directives stratégiques claires et ambitieuses, définies de façon précise en fonction des tâches opérationnelles et fondées sur les principales forces de la colonie, soit les lignes d’opération intérieures et un système élaboré de fortifications qui domine les principaux réseaux fluviaux de la colonie ou qui y conduit. Incertains de la tactique mise au point par les Britanniques pour la campagne à venir, les défenseurs de la colonie, sous les ordres du gouverneur général, effectuent un vaste déploie ment en arc, prêts à affronter quelque opération que l’ennemi choisira d’entreprendre. Par conséquent, malgré ses apparences de force, le déploiement effectué par Vaudreuil reste fragile en tous points. Huit tâches distinctes sont attribuées aux forces régulières, aux troupes de marine et aux miliciens chargés de la défense de la Nouvelle-France. Au sud-ouest : I- Une force combinée de miliciens, d’Amérindiens et de troupes maritimes doit tenir le fort Duquesne et être prête à se déplacer vers le Niagara, advenant l’arrivée des Britanniques à cet endroit. II- À partir du fort Chouagen (Oswego), une force combinée assurera la surveillance des garnisons anglaises et américaines au sud du lac Ontario. III- Des garnisons du régiment du Béarn seront postées au fort Frontenac jusqu’à l’arrivée du régiment de Guyenne. Le régiment du Béarn sera ensuite déployé au fort Niagara. Le régiment de La Sarre viendra prêter assistance au fort Frontenac. Selon Vaudreuil, il s’agit là du maillon le plus faible des défenses de la colonie. Au sud : IV- Le fort Edward (Lydius) se verra doté de garnisons d’une force combinée. V- Des garnisons des régiments de la Reine et du Languedoc seront postées au fort Carillon (Ticonderoga). À l’est : VI- Une force combinée prendra position sur la rivière Saint-Jean. Vaudreuil ne voit pas grand danger sur ce flanc. En réserve : le régiment Royal-Roussillon. La force navale sur le lac Ontario compte quatre trois-mâts dotés de deux canons de 18 livres (8 kilogrammes).
  11. Guy Frégault, La guerre de la conquête, Montréal, Fides, 1975, p. 250. [Version anglaise de l’ouvrage : Canada: the War of the Conquest, Toronto, Oxford University Press, 1969, p. 250].
  12. Guy Frégault, « Le régime militaire et la disparition de la Nouvelle France », dans Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle France, Québec, Fides, vol. X, 1999, p. 325. « Sans se contredire, on l’aura noté, sur tous les points – tous deux reconnaissent la nécessité “de donner la bonne fortune” sur le front de Québec –, ils se heurtent sur le terrain des principes. Qui a raison? Vaudreuil, avec sa théorie des lignes étendues mais susceptibles d’être contractées le cas échéant, ou Montcalm, avec son idée d’un périmètre restreint au contour rigide? »
  13. Gustave Lanctot, Histoire du Canada du Traité d’Utrecht au Traité de Paris, 1713-1763, Montréal, Beauchemin, 1964, p. 228. Lanctot formule avec vigueur sa vision de Montcalm. « Quoique mortellement blessé, Montcalm n’oublie pas le sort de ses soldats. Il trouve la force d’écrire au nouveau général anglais, Townshend, recommandant “à ses bontés” ses “malades et blessés”, tombés aux mains de ses ennemis. Mal soigné, il meurt le lendemain, regretté de l’armée, du peuple et des Sauvages. Ainsi disparaît par la guerre, “tombeau de Montcalm”, une des figures les plus attachantes de l’histoire canadienne, remarquable par la lucidité de son esprit, l’étendue de ses conceptions et son sentiment du devoir. Chef d’une minime armée, il accomplit l’exploit unique de battre quatre fois les Anglais en quatre campagnes : Chouagen, William-Henry, Carillon et Montmorency, éclatants témoi gnages de ses talents militaires. » (Lanctot, op. cit., p. 238).
  14. Ibid., p. 236.
  15. Samuel Eliot Morison (dir.), The Parkman Reader, Boston, Little, Brown and Company, 1955, p. 500.
  16. Ibid. Toutefois, Eccles rejette complètement l’idée que Montcalm devait attaquer parce que ses voies de ravitaillement étaient menacées. Il restait, soutient-il, la voie de l’ouest passant par Loretteville. Le fait que cette route était à distance de marche des plaines, donc vulnérable à l’interdiction britannique, semble lui avoir échappé.
  17. Quiconque a vu la dépouille de Montcalm, lorsqu’elle était exposée dans la chapelle des Ursulines de Québec avant qu’elle ne soit déplacée récemment (2000) au couvent de la Congrégation de Notre-Dame, a dû se demander comment le marquis a survécu à des blessures aussi graves à la tête. Deux grands coups d’épée lui avaient profondément entaillé le crâne.
  18. Casgrain, op. cit., vol. VI, p. 19-20.
  19. Cook, op. cit., p. 7.
  20. Casgrain, op. cit., vol. VI, p. 66.
  21. Eccles (1987), op. cit., p. 469.
  22. R. R. Palmer, « Frederick the Great, Guibert, Bülow: From Dynastic to National War », dans Peter Paret (dir.), Makers of Modern Strategy from Machiavelli to the Nuclear Age, Oxford, Clarendon Press, 1986, p. 92.
  23. Ibid.
  24. Pour une analyse des opérations de l’armée française pendant la guerre de Sept Ans, voir Susan W. Hendersen, The French Regular Officer Corps in Canada, 1755-1760: A Group Portrait, University of Maine, mémoire de doctorat non publié, 1975; Lee Kennett, The French Armies in the Seven Years War: A Study in Military Organization and Administration, Durham, Duke University Press, 1967; Robert S. Quimby, The Background of Napoleonic Warfare: The Theory of Military Tactics in Eighteenth-Century France, New York, Columbia University Press, 1957; Christopher Duffy, The Military Experience in the Age of Reason, New York, Routledge & Regan, 1987.
  25. I. K. Steele, Guerrillas and Grenadiers: The Struggle for Canada, 1689-1760, Toronto, Ryerson Press, 1969, p. 6.
  26. Eccles, « Montcalm », p. 469.