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Histoire

Henri Bourassa

Affaires publiques, photo C-009092

Portrait d’Henri Bourassa en juillet 1917.

Henri Bourassa et la conscription : traître ou sauveur1?

par Béatrice Richard, Ph.D.

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La question de la conscription a déchiré le Canada entre 1916 et 1918. À cette époque, Henri Bourassa s’impose comme le chef naturel de tous les Canadiens français qui s’opposent au service militaire obligatoire. Fondateur et directeur de l’organe indépendant Le Devoir, ex-député et journaliste à la plume acérée, le petit-fils du patriote Louis-Joseph Papineau considère la militarisation forcée du dominion comme la première étape d’une révolution impérialiste apocalyptique. Alors que les Canadiens meurent par milliers sur les champs de bataille du front occidental, ses exhortations contre la « soldatesque » finissent par irriter ses adversaires. La presse à grand tirage ne manque jamais de rappeler la félonie de « Bourassa the Dirty, fomentor of strife, breeder of rebellion, hater of all things British, cowardly misrepresenter of facts, journalistic snake in the grass »2 [que l’on peut traduire comme suit : ce vilain de Bourassa, fomenteur de trouble, réactionnaire, qui a de l’aversion pour tout ce qui est britannique, qui détourne lâchement la réalité, qui se cache sous sa couverture de journaliste comme un serpent sous l’herbe]. Pour sa part, Sir Wilfrid Laurier3, chef du Parti libéral et ancien ami de Henri Bourassa, semble avoir toujours considéré ce dernier comme « un fanatique et un déséquilibré mental à la solde de l’Église catholique romaine4 ». L’homme était-il alors le traître et le désaxé que suggèrent ces jugements ex cathedra? Nous tenterons de démontrer ici que, au-delà des apparences et malgré un tempérament assurément exalté, il a plutôt joué un rôle de temporisateur au cœur d’une crise nationale gravissime.

Les Prussiens de l’Ontario

Résumons les faits. Dès 1916, le recrutement volontaire s’essouffle. Le Canada anglais, qui a fourni jusque-là le plus gros du contingent, a l’impression de se saigner aux quatre veines, tandis que le Canada français épargne ses fils. Du point de vue de ceux qui la réclament, la conscription permettrait de réguler les mécanismes de recrutement et de rétablir une certaine égalité en la matière5. Le 17 mai 1917, le premier ministre Robert Borden annonce « la conscription sélective, c’est-à-dire graduelle. Les hommes seraient répartis en un certain nombre de classes, appelées au fur et à mesure des besoins6. » La nouvelle provoque des manifestations regroupant des milliers de personnes dans les rues de Montréal. Le projet de loi sur le service militaire (Military Service Bill) de 1917 n’en est pas moins adopté à la troisième lecture, le 24 juillet, avec une majorité de 58 voix.

La plupart des libéraux des provinces anglaises ont rallié les conservateurs, faisant ainsi voler en éclats le parti de Laurier. Laurier n’abandonne pas pour autant l’idée de constituer un gouvernement de coalition. Profitant de l’isolement politique de son adversaire, Borden déclenche les élections en prenant soin de faire adopter une série de lois qui lui assureront la victoire. Le 29 août, les Communes adoptent la Loi des électeurs militaires, donnant le droit de vote à tous les sujets anglais qui sont enrôlés dans les forces armées du Canada ou qui sont membres de certains éléments des forces armées anglaises en séjour au Canada. La Loi autorise également les militaires à voter outre-mer. Deux semaines plus tard, la Loi des élections en temps de guerre accorde le droit de vote aux femmes ayant un lien de parenté avec des soldats, mais le retire aux immigrants canadiens qui sont originaires de pays ennemis ainsi qu’aux objecteurs de conscience7. Dernière pièce au dispositif, Borden forme un cabinet d’union avec des libéraux dissidents, le 12 octobre 1917. Laurier ne pourra compter que sur le seul soutien des Canadiens français dans la bataille électorale qui s’engage. La lutte se polarise naturellement autour de la question de la conscription, le chef de l’opposition prônant un volontariat mieux organisé et le recours à un référendum pour tester la légitimité du service militaire obligatoire. Le vote du 17 décembre 1917 consacre la division du pays. Le gouvernement unioniste obtient 153 sièges et les libéraux en remportent 82, dont 62 au Québec.

Pour Henri Bourassa, ces manœuvres exécutées en vue d’imposer la conscription instaurent un régime autocratique et militaire illégitime qui divise le pays, menace la paix sociale et viole le principe d’autonomie militaire de la Confédération8. Ce genre d’intrigue s’avère d’autant plus inacceptable que les Canadiens français voient leurs droits bafoués dans leur propre pays. Le Règlement XVII, qui abolit depuis 1912 l’usage du français dans les écoles catholiques de l’Ontario, en est la preuve. Pourquoi dès lors ses compatriotes iraient-ils défendre ailleurs les libertés d’autrui? « Au nom de la religion, de la liberté, de la fidélité au drapeau britannique, on adjure les Canadiens français d’aller combattre les Prussiens d’Europe. Laisserons-nous les Prussiens de l’Ontario imposer en maîtres leur domination en plein cœur de la Confédération canadienne, à l’abri du drapeau et des institutions britanniques9? », fait observer le leader charismatique des Canadiens français en 1915, sur un ton rhétorique. Son ami et député libéral de Montmagny, Armand Lavergne, offre pour sa part cette formule lapidaire : « Si nous devons conquérir nos libertés, c’est ici que nous devons rester. Ce n’est pas dans les tranchées des Flandres que nous irons conquérir le droit de parler français en Ontario10. » La grande majorité des Canadiens français, est-il besoin de le préciser, partage ce point de vue.

Wilfred Laurier

Affaires publiques, photo C-001971

Le très honorable Sir Wilfred Laurier, premier ministre du Canada de 1896 à 1911.

L’impôt du sang

Le bras de fer qui oppose les deux peuples fondateurs du Canada pendant la Grande Guerre a inspiré plusieurs études historiques11. Rares sont celles qui ont souligné son enjeu sous-jacent, quasi existentiel : « l’impôt du sang12 » doit-il être le prix de l’émancipation nationale13? Cette question est pourtant citée dans tous les écrits de Bourassa sur la conscription. Sa réponse apparaît sans équivoque : le sacrifice des Canadiens n’est envisageable que dans la mesure où le Canada agirait comme pays déjà indépendant, délivré de la tutelle coloniale.

« Sans doute, le Canada pouvait intervenir dans la guerre actuelle comme nation, sans se lier à l’Angleterre plus qu’à la France ou à la Belgique et en réservant expressément toute sa liberté d’action future. Il aurait même pu faire tourner cette intervention au profit de ses libertés. Il n’aurait eu qu’à faire reconnaître par l’Angleterre et ses alliés la pleine indépendance de son intervention14. »

Aux yeux de Henri Bourassa, l’indépendance nationale doit donc avoir préséance sur le sacrifice humain. Et il ne s’agit pas là d’un simple caprice de sa part, mais plutôt de la seule voie qui lui apparaît envisageable pour planifier la guerre en fonction des intérêts du Canada. Dans la société anglo-canadienne, les termes du marché semblent inversés, particulièrement dans les milieux impérialistes. Comme l’explique l’historien Ian Hugh Maclean Miller dans une étude sur la société torontoise de l’époque, les habitants de la Ville reine sont convaincus que leur engagement militaire leur vaudra des dividendes, que leur sacrifice en hommes constitue un rite expiatoire, une épreuve eschatologique dont l’Empire sortira épuré et grandi, une ordalie qui pourrait valoir au Canada le droit à l’émancipation15. Henri Bourassa considère au contraire cette guerre comme un châtiment divin imposé à la chrétienté pour lui faire expier ses « trois grands crimes » contre l’Église catholique : le schisme grec, l’anarchie protestante et la Révolution française16. Cependant, à la différence de ses compatriotes anglo- canadiens, il ne croit pas qu’un monde régénéré puisse émerger de cette épreuve. Seul l’arrêt immédiat de la guerre sous l’arbitrage suprême du pape permettra à la chrétienté de retrouver son unité et d’éviter le chaos de l’« internationalisme sans religion, sans morale, sans principe directeur17 ». Bref, la guerre n’a ni le même sens ni les mêmes dimensions politiques et religieuses pour les deux communautés, et le recours à la conscription ne peut qu’exacerber les ressentiments de part et d’autre. À cet égard, les événements de 1917-1918 constituent une rude mise à l’épreuve des idéaux de Henri Bourassa. Il le sait, la lutte à la conscription dans laquelle il s’engage met en jeu la nation biethnique et bilingue qu’il défend depuis toujours : « la libre et volontaire association de deux peuples jouissant de droits égaux en toutes matières18 ».

Dès l’annonce du projet de loi sur le service militaire, le chef nationaliste pourfend celui-ci dans une série d’articles qui paraissent dans Le Devoir entre le 28 mai et le 6 juin 191719. « C’était déjà un abus de pouvoir que de décider, sans le consentement de la nation, de la participation du Canada aux opérations de guerre en Europe, en août 1914, écrit-il. Rendre obligatoire le service militaire outre-mer serait un autre abus de pouvoir [c’est nous qui soulignons]20. » La conscription, ou l’impôt du sang, lui apparaît l’expression ultime du militarisme et de l’impérialisme britannique, termes indissociables dans son discours, conséquence inéluctable du resserrement des liens militaires entre l’Empire britannique et ses colonies depuis la guerre des Boers. Une telle évolution trahit les objectifs de la Confédération, lesquels visaient, selon lui, une autonomie politique et militaire accrue du dominion. Pire, cette situation ne peut qu’engendrer le désordre social. En effet, la coalition des partis politiques en faveur du projet, parce qu’elle bloque tout débat parlementaire, constitue une « invite formelle et définitive à l’insurrection21 ». À cet égard, ses avertissements à l’endroit du gouvernement fédéral apparaissent sans équivoque – conscription égale révolution :

« Que l’on pèse bien ces paroles : la conscription marquerait, pour les Canadiens français, le commencement d’une évolution qui ne tarderait pas à transformer en peuple révolutionnaire la population la plus paisible, la mieux ordonnée peut-être des deux Amériques. Une fois déchaîné, cet esprit révolutionnaire ne s’arrêterait pas en route; il ne s’attaquerait pas qu’au régime militaire : il se manifesterait à l’usine, dans les champs, partout, dans toutes les sphères de la vie industrielle, sociale et politique22. »

Borden et Churchill

Collection de la Revue militaire canadienne

Sir Robert Borden et Winston Churchill, 1913.

Une invite à la révolution

La loi adoptée, Henri Bourassa ne peut que réitérer ses dénonciations contre cette invite à la révolution et contre le « régime de terrorisation [sic] par la soldatesque23 » qui la soutient. Le soulèvement du peuple floué, prophétise-t-il, amènera « un branle-bas qui menace de dépasser, à certains égards, les excès de la Révolution française24 ». Plus profondément, la conscription annonce pour lui le retour de la « levée en masse » des guerres révolutionnaires responsables de la chute ultime des États pontificaux en 1870. La terreur qu’inspire cette mesure à Henri Bourassa l’amène d’ailleurs à tenir des propos parfois délirants. N’ira-t-il pas jusqu’à insinuer que les impérialistes, en plus d’être les instigateurs de la révolution russe, complotent pour faire triompher leur « révolution » en renversant toutes les monarchies européennes, monarchie britannique incluse25? À défaut de congédier les profiteurs de guerre et de conclure une paix sans victoire, alerte-t-il, « la guerre internationale succéderait partout à l’universelle guerre civile26 ». Aussi, tout au long du conflit armé, ne cesse-t-il pas d’interpeller les chefs d’État belligérants pour qu’ils soumettent leurs différends à l’arbitrage du pape. Son message apparaît clair : « [C]e sera la paix chrétienne ou la révolution sociale27. »

Précisons que Henri Bourassa n’a pas toujours été aussi catégoriquement opposé au service militaire obligatoire, du moins en apparence. En juillet 1915, il exprime l’avis que le gouvernement devrait adopter, à l’instar du Congrès américain, une loi de conscription sélective28. Deux ans plus tard, il maintient : « C’était la seule méthode rationnelle pour assurer l’effort maximal du pays, dans l’ordre militaire et dans l’ordre économique, et pour recruter une nombreuse armée sans désorganiser l’agriculture et les industries essentielles29 », allusion à peine voilée au gâchis engendré par le système de volontariat débridé de l’ex-ministre de la Milice, Sam Hughes30. En réalité, un service sélectif avantagerait le Québec dans la mesure où la main-d’œuvre agricole et les soutiens de famille seraient exemptés. Or, Henri Bourassa le sait, les Canadiens français comptent « une plus grande proportion de fermiers, pères de grande famille31 », car leur population est majoritairement rurale. Cependant, lorsque le Parlement procède au débat concernant le projet de loi, le directeur du Devoir estime qu’il est trop tard pour réorganiser l’enrôlement. Le salut du pays exige que l’on ferme le robinet : comptant près d’un demi-million d’effectifs, soit six pour cent de la population, l’effort militaire du pays dépasse déjà en proportion celui de l’Angleterre, de la France et des États-Unis32.

Pour sortir de l’impasse, Henri Bourassa préconise la tenue d’un plébiscite sur la conscription. Cette mesure permettrait aux électeurs de voter en dehors des lignes traditionnelles de partis qu’il estime largement corrompus33. Oubliant sa brouille avec Laurier, il soutient activement le programme électoral des libéraux à cet égard. L’appel direct au suffrage populaire constitue selon lui la meilleure stratégie pour assurer l’ordre et la paix sociale et surtout reconstruire l’unité nationale sur une nouvelle base. Il en fait le pari : « [S]i la conscription est acceptée sans réserve par une majorité absolue du corps électoral, les Canadiens français s’y soumettront34. » En contrepartie, un vote solide du Québec contre la conscription permettrait aux Anglo-Canadiens les plus tièdes de se décharger à bon compte du « cauchemar de la conscription ». La mesure, plaide-t-il, permettra de faire le plein des voix anticonscription au Canada – des voix antimilitaristes se lèvent dans le reste du pays, en particulier parmi les fermiers, les ouvriers et les groupes pacifistes – et ainsi d’éviter de creuser « davantage le fossé qui sépare les deux races35 ». Mais ces espoirs s’évaporent rapidement à mesure que la situation évolue.

Le général Huges

Affaires publiques, photo C-020240

Le général Sir Sam Hughes, ministre de la Milice et de la Défense. Ses initiatives en matière de recrutement tendaient plutôt à écarter les Canadiens-français.

Résister sans violence

À partir d’août 1917, alors que Montréal et plusieurs villes du Québec sont secouées par des agitations populaires, Henri Bourassa se retrouve de nouveau sur la défensive. Il doit multiplier les mises en garde dans son propre camp contre les conséquences désastreuses du recours à la violence et des excès d’un nationalisme ethnique :

« Conseiller la résistance violente au nom des seuls intérêts de la race française ou de la province de Québec, c’est décupler la force des sectaires haineux qui veulent la conscription surtout pour foncer sur les “d....d Frenchmen”. Une foule d’adversaires de la conscription, de race et de langue anglaises, se joindront à nos ennemis pour écraser toute tentative d’insurrection ou du moins leur laisseront toute latitude de rétablir à leur manière l’ordre et la paix publique. Au premier acte de violence, la loi martiale sera proclamée et le régime militaire, substitué à l’autorité civile; comme bien l’on pense, le gouvernement ne remettra pas le commandement à des officiers trop enclins à la clémence36. »

Henri Bourassa atteint ici les limites de son militantisme : sa rhétorique prône la résistance à la conscription, mais interdit tout recours à la violence. Ses références religieuses ultramontaines l’empêchent de transformer sa révolte intérieure en radicalisme politique. À cet égard, il semble prendre modèle sur le pape Pie IX, qui, en 1848, a refusé de pactiser avec les principes « sataniques » de la révolution italienne même s’il réprouvait l’occupation autrichienne37. En 1917, Henri Bourassa ne se retrouve-t-il pas confronté à un dilemme identique entre ses valeurs réactionnaires et sa sympathie à une cause potentiellement « révolutionnaire »? Aussi la voie qu’il préconise s’avère-t-elle bien étroite.

Récapitulons. Les propositions de Henri Bourassa sont restées lettre morte, et le rouleau compresseur de la conscription a poursuivi son chemin sans égard aux voix dissidentes. La consultation populaire qui aurait permis d’« éviter une dangereuse explosion38 » n’aura pas lieu. Les suggestions de Henri Bourassa visant à créer un mouvement d’opinion assez puissant, à contrer la conscription et à fortifier l’opposition parlementaire n’ont rien donné : la loi a été adoptée en quelques semaines. Dura lex, sed lex – la loi est sévère, mais elle reste la loi. Devant le fait accompli, il ne reste à Henri Bourassa que le vœu pieux de faire élire le plus grand nombre possible de candidats anticonscription en vue de faire abroger la loi. On connaît la suite. Il adopte alors une position des plus ambiguës sur la résistance passive à la conscription. S’il admet qu’il pourrait s’agir d’un « devoir » en certaines occasions, c’est pour restreindre aussitôt son application aux seules consciences éclairées :

« La loi de conscription entre-t-elle dans la catégorie des mesures tyranniques qui justifient la résistance passive? Pour ceux qui jugent la guerre un crime et un mal en soi, oui; pour les autres, il serait téméraire de l’affirmer. Il ne suffit pas qu’une loi paraisse odieuse ou vexatoire pour justifier la résistance passive. Toute loi paraît à quelques-uns odieuse, vexatoire ou injuste. Que deviendrait l’ordre public si chacun avait le droit de résister à chaque loi qui lui déplaît39? »

Le leader nationaliste trace ainsi une ligne entre les « bons » et les « mauvais » résistants dans l’espoir de dissocier la cause des Canadiens français de celle de la « révolution ». En l’occurrence, il redoute l’emprise du mouvement ouvrier, qui dresse la population contre l’impôt du sang40, et il craint plus encore les incitations à l’émeute d’« agents provocateurs » toujours susceptibles de conduire les Canadiens français au désastre.

Une manifestation

Affaires publiques, photo C-006859

Manifestation contre la conscription sur la Place Victoria, à Montréal, le 24 mai 1917.

La marge de manœuvre de Henri Bourassa se révèle d’autant plus étroite qu’il doit éviter de froisser les libéraux modérés restés fidèles à Laurier et défenseurs du volontariat. Il lui faut également ménager un épiscopat et certains nationalistes partisans de l’effort de guerre41. C’est le cas entre autres de Ferdinand Roy, avocat prestigieux de la ville de Québec qui, en 1917, publie un pamphlet en faveur de la conscription42. À ces écueils s’ajoutent les escarmouches qui opposent Le Devoir à une presse de masse gagnée à l’effort de guerre. Selon le Mail and Empire de Toronto du 10 décembre 1917, « un vote pour Laurier et ses partisans serait un vote pour Bourassa, contre les combattants au front, contre le lien avec la Grande-Bretagne et l’Empire, mais un vote pour l’Allemagne43. » Pour des groupes unionistes extrémistes, « un vote pour Laurier, c’est un vote pour Bourassa, c’est un vote pour le Kaiser44. » Or, ces remous dérangent les cercles francophones soucieux de préserver la bonne entente entre les deux « races ». C’est le cas de l’abbé D’Amours, rédacteur en chef de L’Action catholique, qui condamnera vertement la doctrine nationaliste du « Castor rouge45 » dans une série de lettres publiées dans La Presse. Cette position est dangereuse, argumente-t-il, car elle repose sur une théorie des races destructrice pour l’unité du pays. Si les Canadiens français veulent faire respecter les droits, ils n’ont qu’à accepter le patriotisme britannique.

Résistance politique ou culturelle?

Pourtant, au fur et à mesure que la conscription s’organise, les passions autour de l’impôt du sang semblent s’apaiser. Le paradoxe s’explique par les possibilités d’exemption qu’offre la loi aux réfractaires, ce qui a l’effet d’une soupape. Est-ce le fruit du compromis ou de la sagesse du législateur? Plusieurs mois durant s’installe une certaine forme d’« insoumission46 » légale avec la complicité d’élites locales, du moins au Québec, où les tribunaux accordent proportionnellement plus d’exemptions que ceux des autres provinces47. Par conséquent, même si les Canadiens français n’ont pu empêcher l’adoption de la loi sur le service militaire, ils semblent en voie de créer un réseau de résistance souterrain mais efficace à la conscription. Dans ce sens, leur attitude offre des similarités frappantes avec une « culture » de l’insoumission diffuse mais très prononcée que l’on a pu observer dans certaines régions reculées de la France à la même époque. Réfractaires à la pénétration de la souveraineté nationale et traditionnellement hostiles à toute forme de pénétration de l’extérieur, les populations en cause défendent jalousement leurs particularismes par « une forme de résistance culturelle globale [à la conscription] plutôt que par [...] un simple rejet du service militaire48 ». Si l’on admet la comparaison, cela signifierait que les élites québécoises ont composé avec une insoumission culturellement et historiquement très enracinée49.

Dans ce contexte, le génie de Henri Bourassa consistera moins à soulever des foules déjà convaincues qu’à contenir la marmite anticonscription en protégeant les Canadiens français de la « contamination » révolutionnaire et des provocations tous azimuts. Bien sûr, on peut douter que le petit-fils de Louis-Joseph Papineau a su influencer directement la population. Cet intellectuel aux accents aristocratiques reste certes fort éloigné d’un peuple illettré dont il redoute les sursauts. En revanche, la rhétorique du directeur du Devoir trouve largement écho au sein d’un bas clergé qui vit en symbiose avec la population50 et constitue de ce fait un réseau de résistance anticonscription et antirévolutionnaire influent et bien ancré dans les zones rurales. C’est d’ailleurs à ces mêmes élites que Henri Bourassa s’adresse au lendemain des émeutes sanglantes du printemps 1918 à Québec : « Le Devoir ne pénètre guère dans les milieux où opèrent les fauteurs d’émeutes, écrit-il; cependant, il a quelques chances d’atteindre les chefs d’opinion qui peuvent restreindre et isoler les foyers d’incendie51. » Renouvelant ses mises en garde contre les « agents provocateurs », Henri Bourassa redoute que ces violences urbaines ne rompent le fragile équilibre du système des exemptions. Les émeutes n’ont-elles pas éclaté parce que des agents fédéraux ont refusé de considérer le certificat d’exemption d’un jeune homme52? Aussi ne manque-t-il pas de rappeler aux pouvoirs publics « le danger de pousser le recrutement de l’armée au détriment de la production agricole et de la construction maritime53 », allusion encore une fois très claire à des secteurs économiques largement occupés par des Canadiens français.

Borden et Currie

Collection de la Revue militaire canadienne

Sir Robert Borden et Sir Arthur Currie saluent l’infanterie de la 4e Division du Canada alors qu’elle défile le long d’un chemin poussiéreux en France.

Le salut de l’âme anglaise

L’éditorial traduit surtout le désarroi du chef nationaliste. Le ton est à l’apaisement, très loin des envolées exaltées du printemps 1917 contre la « conjuration impérialiste ». Hélas! le pire des scénarios s’est concrétisé : des troupes de Toronto ont tiré sur le peuple de Québec. L’affrontement tant redouté entre les deux « peuples fondateurs » a eu lieu, et quatre Canadiens français y ont laissé leur vie. Le désaveu de son idéal national ne pouvait être plus cruel. L’année 1918 est d’ailleurs pour lui une année de lassitude et de dépression54. Certes, les malheurs ne l’épargnent guère. À commencer par la censure qui resserre son étau sur Le Devoir et le réduit au silence. Plus cruel est le décès de son épouse, Joséphine Papineau, emportée par une longue maladie en 1919. Quelques mois plus tard, Laurier, auquel il est resté attaché malgré les discordes, le quittera à son tour. Au lendemain de la guerre, le leader nationaliste se retrouve donc veuf, à la tête d’une jeune famille de huit enfants, isolé et épuisé par des années de lutte contre la guerre et contre la conscription. Sa désillusion est d’autant plus profonde que l’histoire lui donne tort sur un point fondamental : loin d’avoir ravalé le dominion au rang de colonie comme il le craignait, le sacrifice ultime des Canadiens est en train de paver la voie de l’indépendance nationale55. L’autonomie que Henri Bourassa appelait de tous ses vœux se réalise sous ses yeux par la guerre et non contre la guerre.

Dès lors, le directeur du Devoir prend ses distances par rapport au nationalisme et fait preuve d’une évasion mystique qui déconcerte ses admirateurs. Réélu en 1925, au terme d’un congé politique de 18 ans, il n’hésitera pas à glorifier le pape devant une Chambre des communes ébahie et tentera même de convertir à la foi catholique son ami, le député socialiste James Woodsworth56. Lionel Groulx, illustre disciple de Henri Bourassa, mettra ces excentricités sur le compte d’une « maladie morale » héréditaire, mélange de scrupule religieux et de neurasthénie, récurrente selon lui dans la lignée des Papineau57. La fragilité mentale de Bourassa, réelle ou supposée, n’explique cependant pas tout. En fait, l’homme poursuit son combat sur un autre terrain, le seul qu’il lui reste : celui de la religion. Il a perdu sa bataille contre les seigneurs de la guerre? Qu’à cela ne tienne, il partira en croisade pour sauver leurs âmes. « Lutter contre l’impérialisme anglais, affirme-t-il en 1920, c’est [...] soustraire la nation anglaise, la pensée anglaise, la civilisation anglaise, l’âme anglaise au règne de Satan pour les rendre à Dieu58. »

Des officiers

Affaires publiques, photo PA-022751

Des officiers canadiens-français, membres du premier bataillon canadien-français formé pendant la conscription. La quasi-totalité s’est retrouvée dans le 22e Bataillon.

Même s’il continue de prôner la résistance pour briser la chaîne de l’impérialisme, Henri Bourassa n’envisagera jamais d’autre arme que celle de l’analyse et de la prédication. En cela, le leader nationaliste pourrait facilement endosser l’habit du « colonisé », désarmé par définition, retranché dans la religion et tenu par ce que Albert Memmi appelle « l’insuffisance et l’ambiguïté d’une agressivité de vaincu qui, malgré soi, admire son vainqueur, l’espoir longtemps tenace que la toute- puissance du colonisateur accoucherait d’une toute bonté59 ». Cette attitude lui a probablement été reprochée, mais, indépendant d’esprit comme toujours, Henri Bourassa n’en a cure, comme le suggèrent ces lignes extraites de l’un de ses derniers actes de bravoure anti-impérialistes : « Je risque, il est vrai [au moyen de cette étude] de fortifier ma réputation de pourfendeur de moulins à vent, bien établie dans l’esprit des gens pratiques. Bah! j’y suis fait. Du reste, j’écris pour les gens qui se donnent la peine de réfléchir60. »

Henri Bourassa fut-il un traître à la patrie? Rien n’est moins sûr. Ses valeurs ultramontaines et contre- révolutionnaires l’amènent à temporiser la crise de la conscription en dénonçant les excès d’une agitation populaire qu’il a pourtant lui-même alimentée. Tout en signifiant son refus de l’impôt du sang, il rassure les élites conservatrices canadiennes-françaises par sa stigmatisation de tout recours au désordre et à la violence. Sa rhétorique conforte donc les Canadiens français dans leur identité en justifiant leur insoumission culturelle, mais leur interdit du même souffle de céder à l’insoumission politique, c’est-à-dire en affirmant leur différence par la force. Cette ambivalence montre que, loin d’être l’agitateur dangereux dénoncé sur toutes les tribunes, Henri Bourassa joue plutôt un rôle de directeur de conscience et de pacificateur au sein de sa propre communauté en canalisant le ressentiment collectif dans un projet de restauration sociale chrétienne. Par conséquent, ses détracteurs ont eu tort de réduire Bourassa à un déséquilibré ou à un fomenteur de rébellion. Bien au contraire, compte tenu de l’ampleur et de l’enracinement du phénomène de l’insoumission au Québec, le chef nationaliste a probablement constitué la meilleure assurance possible contre les débordements populaires et un garde-fou appréciable contre la guerre civile. Ironiquement, l’ennemi public numéro un de la nation anglo-canadienne de l’époque aura sans doute été le meilleur défenseur de son front intérieur!

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Béatrice Richard est titulaire d’un doctorat en histoire de l’Université du Québec à Montréal; elle est professeure adjointe d’histoire militaire au Département d’histoire et au Département des études permanentes du Collège militaire royal du Canada.

Notes

  1. Le présent article a bénéficié d’une bourse de recherche de la Chaire Hector-Fabre de l’Université du Québec à Montréal.
  2. François-Albert Angers, « La pensée de Henri Bourassa : Le problème de la paix », L’Action nationale, Montréal, 1954, p. 92.
  3. Henri Bourassa se brouille avec Sir Wilfrid Laurier, alors premier ministre, au sujet de la guerre des Boers et démissionne de son poste de député afin de protester contre l’envoi d’un contingent canadien en Afrique du Sud sans l’avis du Parlement. Dans sa lettre de démission, il souligne notamment qu’« il s’agit de savoir si le Canada est prêt à renoncer à ses prérogatives de colonie constitutionnelle, à sa liberté parlementaire et au pacte conclu avec la métropole après 75 ans de lutte pour retourner à l’état primitif de colonie de la Couronne. » Cet extrait préfigure ce que sera la doctrine de Henri Bourassa concernant la participation du Canada aux guerres extérieures du XXe siècle. (Hommage à Henri Bourassa : Lettre de M. Henri Bourassa à Sir Wilfrid Laurier, Montréal, Éditions du Devoir, 1952, p. 50)
  4. En décembre 1916, Mackenzie King rapporte : « Sir W. regards B. as a fanatic and ill-mentally balanced, and of course swayed by the R. C. Church. » (Le journal personnel de William Lyon Mackenzie King, ArchiviaNet, le 12 décembre 1916, [en ligne]. <http://king.collectionscanada.ca>
  5. Le ministre de la Milice, Sam Hughes, a organisé le recrutement sur une base entièrement volontaire, et l’enrôlement des forces expéditionnaires, du moins au début de la guerre, ne relève pas directement du gouvernement. Ce sont les élites économiques, sociales et intellectuelles, relayées par la presse, qui organisent le recrutement par l’entremise d’associations patriotiques indé-pendantes. Autrement dit, le recrutement dépend de l’initiative privée. Le bilan de cet étonnant système pourrait se résumer en trois mots : fouillis, favori-tisme et improvisation. Dans ce contexte, le recours à la conscription apparaît comme une tentative – certes vaine – de l’État pour reprendre le contrôle d’un système qui lui a complètement échappé.
  6. Robert Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome XXII, Montréal, Montréal Éditions, 1951, p. 74.
  7. Mason Wade, Les Canadiens français de 1760 à nos jours, tome II (1911-1963), Ottawa, Le Cercle du Livre de France, 1963, p. 160.
  8. Henri Bourassa, Le Pape, arbitre de la paix, Montréal, Éditions du Devoir, 1918, p. 119. Article paru dans Le Devoir du 31 août 1917.
  9. Le Devoir du 20 avril de cette année (1915), cité dans Wade, p. 64.
  10. Armand Lavergne, cité dans Wade, p. 92-93.
  11. Citons notamment Elizabeth H. Armstrong, Le Québec et la crise de la conscription 1917-1918, Montréal, VLB éditeur, 1998, 293 p.; le document original est paru en anglais sous le titre The Crisis of Quebec, 1914-1918, New York, Columbia University Press, 1937, 270 p. Voir également J. L. Granatstein et al., Broken Promises: A History of Conscription in Canada, Toronto, Copp Clark Pitman, 1985, 281 p.
  12. Cette expression apparaît pour la première fois en France sous la Restauration et a alors valeur de cri de ralliement. Cependant, elle prend le sens péjoratif que l’on connaît au cours de la Première Guerre mondiale. Pour plusieurs, elle signifie alors le dernier impôt redevable à l’État, qui comporte encore la contrainte par le corps. Dans l’Hexagone, la principale forme de résistance à cette exigence citoyenne est l’insoumission, le refus de se présenter à l’appel, phénomène dont l’ampleur différera selon les régions. (Philippe Boulanger, « Le refus de l’impôt du sang. Géographie de l’insoumission en France de 1914 à 1922 », Guerres mondiales et conflits contemporains, nº 188, 1997, p. 3-25)
  13. On a tendance à oublier en effet que le dominion du Canada est techniquement, à l’époque, une colonie de l’Empire britannique. Dans ce contexte, la conscription prend un sens très particulier, comme l’a démontré la littérature portant sur la mobilisation des colonies des empires français et britannique pendant les deux guerres mondiales. En France, la conscription apparaît, entre autres, comme un vecteur d’assimilation et d’intégration à la citoyenneté; aussi devient-elle l’objet d’un marchandage relativement explicite dans les colonies et qui pourrait se traduire ainsi : « mon sang contre la citoyenneté française ». Dans l’Empire britannique, où la conscription n’est pas autant ancrée dans la culture politique et militaire et prend la forme d’un recours circonstanciel, cette négociation entre la métropole et les coloniaux n’est pas toujours aussi explicite. D’autant plus que le Canada est une colonie de peuplement de Blancs où les conscrits potentiels partagent le même type de culture politique et bénéficient de droits équivalents. À ce sujet, consulter Marc Michel, Les Africains et la Grande Guerre. L’Appel à l’Afrique 1914-1918, Paris, Karthala, 2003, p. 193 et Gilbert Meynier, L’Algérie révélée, Genève-Paris, Librairie Droz, 1981, 793 p.
  14. Henri Bourassa, Hier, aujourd’hui, demain, Montréal, Éditions du Devoir, 1916, p. 67.
  15. Ian Hugh Maclean Miller, Our Glory and Our Grief: Torontonians and the Great War, Toronto, University of Toronto Press, 2002, p. 38. On notera au passage que cette mystique du sacrifice sanglant imprègne toute la littérature européenne de l’avant-guerre. Par exemple, Georges Sorel, Charles Péguy, Rupert Brooke et Thomas Hardy défendaient, du moins jusqu’en 1914, la thèse de l’inéluctabilité de la guerre rédemptrice et purificatrice dans un monde trop vieux et décadent.
  16. Bourassa (1918), Le Pape, arbitre de la paix, p. 146.
  17. Ibid.
  18. Henri Bourassa, La conscription, Montréal, Éditions du Devoir, 1917, p. 20. Cette brochure rassemble neuf articles parus dans Le Devoir du 28 mai au 6 juin 1917 inclusivement; elle a été envoyée à l’imprimerie le 9 juin de la même année. La lutte de Bourassa contre la conscription a été exposée notamment dans la biographie que lui consacre Robert Rumilly (Henri Bourassa : La vie publique d’un grand Canadien, Montréal, Chantecler, 1953, p. 570-593). Warren Alexander Chubb consacre également un chapitre à cette question dans Henri Bourassa and the First World War (mémoire de maîtrise, Université de la Saskatchewan, 1974, p. 47-67). Voir aussi Wade, p. 116-194.
  19. Bourassa (1917), p. 47.
  20. Ibid., p. 38.
  21. Ibid., p. 40. Propos parus dans Le Devoir du 6 juin 1917.
  22. Ibid., p. 26.
  23. Bourassa (1918), Le Pape, arbitre de la paix, section « Lubie démocratique : Invite à la révolution », p. 117-119. Propos parus dans Le Devoir du 31 août 1917.
  24. Ibid., p. 96. Propos parus dans Le Devoir du 24 avril 1917.
  25. Ibid., voir la section « Après la guerre, la révolution », p. 97 et p. 102. Propos parus dans Le Devoir des 24 et 25 avril 1917.
  26. Ibid., voir la section « Est-ce la paix? », p. 125. Propos parus dans Le Devoir du 1er décembre 1917.
  27. Ibid., p. 146. Propos parus dans Le Devoir du 12 janvier 1918.
  28. Bourassa (1917), p. 10.
  29. Ibid.
  30. Consulter à ce sujet Gérard Pinsonneault, La propagande de recrutement militaire au Canada, 1914-1917. Essai en histoire des mentalités, mémoire de maîtrise, Université de Sherbrooke, 1981, 183 p.
  31. Propos échangés à l’été 1916 avec son cousin, le capitaine Talbot Mercer Papineau; combattant dans la Princess Patricia Light Infantry en France, ce dernier l’enjoignait de soutenir l’effort de guerre. (Jean Pariseau et Serge Bernier, Les Canadiens français et le bilinguisme dans les Forces armées canadiennes, tome 1, Ottawa, Département d’histoire et du patrimoine, Défense nationale, 1987, p. 91)
  32. Bourassa (1917), p. 10-12. À titre de comparaison, les recrues coloniales de la France ne constituent alors que 1,5 p. 100 des populations des territoires extramétropolitains. (Michel, p. 193)
  33. Bourassa (1917), p. 27 et p. 39-41. Soulignons au passage que le recours au plébiscite fait partie intégrante de sa doctrine stratégique de défense nationale. Il préconise cette solution à au moins trois reprises : une fois au sujet de l’envoi d’un corps expéditionnaire en Afrique du Sud en 1900 et deux fois sur la question de la contribution canadienne à la défense navale de l’Empire en 1911.
  34. Ibid., p. 27.
  35. Ibid.
  36. Le Devoir du 11 août 1917. Notons que Bourassa a lui-même cautionné une sorte de barrière ethnique en présentant les Canadiens français comme le « seul groupe exclusivement canadien ». (Pariseau et Bernier, p. 91)
  37. Après avoir refusé de soutenir la guerre d’indépendance, il prendra la fuite pour ensuite être rétabli dans ses fonctions pontificales par les Français. Bourassa cite cet exemple dans un pamphlet portant sur la signature imminente des accords du Latran entre le Pape et Mussolini (La paix romaine, Montréal, Éditions du Devoir, 1929, p. 6).
  38. Bourassa (1917), p. 27.
  39. Le Devoir du 11 août 1917.
  40. Notons que le mouvement ouvrier maintient une position ambiguë face à la guerre, et ce, durant tout le conflit. Cette attitude semble largement dictée par la réaction du mouvement ouvrier américain. Lorsque les hostilités éclatent, les leaders ouvriers canadiens se retrouvent dans un pays en guerre, mais ils doivent aussi tenir compte de la position pacifiste de l’American Federation of Labor. Ce faisant, la centrale syndicale américaine ne fait que suivre la politique de son pays, les États-Unis ayant choisi la neutralité « armée ». Les syndicalistes canadiens sont placés devant un dilemme, car des liens très puissants les unissent à leurs homologues britanniques, emportés quant à eux par la vague patriotique antiprussienne. Un courant pacifiste se manifeste malgré tout au sein du mouvement ouvrier canadien. (Charles Lipton, Histoire du syndicalisme au Canada et au Québec, 1827-1959, Montréal, Éditions Parti pris, 1976, p. 252). Voir aussi Gregory Kealey, « State Repression of Labour and the Left in Canada, 1914-1920: The Impact of the First World War », Canadian Historical Review, vol. 73, no 3, 1994, p. 281-314.
  41. Lire à ce sujet René Durocher, « Henri Bourassa, les évêques et la guerre de 1914-1918 », dans Jean-Yves Gravel, Le Québec et la guerre, Montréal, Boréal Express, 1974, p. 47-75.
  42. Tout comme Bourassa, Roy dénonce le climat de gaspillage et la corruption qui ont entouré la mobilisation des troupes canadiennes. Mais, plaide-t-il, le mal étant fait, le temps n’est plus aux vaines récriminations, et les Canadiens français n’ont d’autre choix que de faire cause commune avec leurs compatriotes anglo-canadiens. (Ferdinand Roy, L’appel aux armes et la réponse canadienne-française : étude sur le conflit de races, Québec, J.-P. Garneau, 1917, p. 31 et p. 35)
  43. Wade, p. 162.
  44. Ibid.
  45. Un patriote (pseudonyme de l’abbé Joseph Prio Arthur D’Amours), Où allons-nous?, Montréal, Société d’éditions patriotiques, textes publiés entre juin et septembre 1916, 73 p. Castor rouge était le surnom donné à Henri Bourassa en raison de sa double appartenance, a priori paradoxale, à une idéologie conservatrice et au Parti libéral.
  46. Selon la définition communément admise, l’insoumis désigne quelqu’un qui reçoit une convocation des autorités militaires mais qui refuse de s’y rendre. Consulter à ce sujet Patrick Bouvier, Déserteurs et insoumis : les Canadiens français et la justice militaire, 1914-1918, Montréal, Éditions Athéna, 2003, p. 79.
  47. Ibid., p. 72-73.
  48. Boulanger, p. 24-25.
  49. Comme l’ont démontré plusieurs chercheurs français, la problématique de la conscription s’inscrit aussi dans le corps et dans la mémoire sociale. Lire à ce sujet Michel Auvray, L’âge des casernes. Histoires et mythes du service militaire, Paris, éditions de l’Aube, 1998, 326 p.; Annie Crépin, La conscription en débat ou le triple apprentissage de la nation, de la citoyenneté, de la République (1798-1889), Arras, Artois Presses Université, 1998, 258 p.; Philippe Boulanger, Géographie historique de la conscription et des conscrits en France de 1914 à 1922 d’après les comptes rendus sur le recrutement de l’armée, thèse de doctorat, Paris IV-Sorbonne, 2 volumes, 1998, 615 p.
  50. Wade, p. 157.
  51. Henri Bourassa, « L’ordre public doit être maintenu », Le Devoir, le 5 avril 1918, p. 1. Rappelons que le printemps 1918 a été particulièrement explosif au Québec. La crise de la conscription trouve sa conclusion tragique le 1er avril à Québec, au moment où une émeute tourne au bain de sang. Quatre manifestants sont abattus par des troupes dépêchées de l’Ontario.
  52. Jean Provencher, Québec sous la loi des mesures de guerre, 1918, Montréal, Boréal Express, 1971, p. 47.
  53. Bourassa (1918), « L’ordre public doit être maintenu ».
  54. André Bergevin, Anne Bourassa et Cameron Nish, « Henri Bourassa », L’Action nationale, 1966, p. LI.
  55. Desmond Morton et Jack L. Granatstein, Marching to Armageddon: Canadians and the Great War, 1914-1919, Toronto, Lester and Orphen Dennys, 1989, 288 p. Rappelons que le Canada gagne le droit de signer le traité de Versailles de 1919, en tant que pays ayant contribué à la victoire sur l’Allemagne. Il obtient aussi un siège indépendant à la Société des Nations. Puis, à l’instar des autres dominions, la signature du Traité de Westminster consacre son autonomie en matière de défense et de politique étrangère.
  56. Rumilly (1953), p. 723.
  57. Lionel Groulx, Mes Mémoires, tome 2, Montréal, Fides, 1971, p. 225-257.
  58. Henri Bourassa, La prochaine guerre impériale. En serons-nous?, Montréal, Éditions du Devoir, 1920, p. 31.
  59. Albert Memmi, Portrait du colonisé, Montréal, L’Étincelle, 1972, p. 114.
  60. Henri Bourassa, La Mission Jellicoe. Nouvelle poussée d’impérialisme, Montréal, Éditions du Devoir, 1919, p. 31.