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Commentaire

La stratégie de défense le Canada d’abord

par Martin Shadwick

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La stratégie tant attendue du gouvernement Harper, appelée Le Canada d’abord, a été présentée officiellement le 12 mai 2008 – avec précipitation si l’on se fie à certains pontes de la presse, comme Don Martin du National Post. Dans un discours prononcé à Halifax ce jour-là, le Premier ministre a souligné les implications, pour les Forces canadiennes, de la « décennie de noirceur » qui a succédé à la guerre froide, faisant remarquer que « lors de l’émergence de conflits en Afrique, dans les Balkans ou ailleurs, nos Forces armées ont été sous-financées et négligées. Elles se voyaient confier de nouvelles responsabilités sans avoir les outils nécessaires pour les assumer. L’équipement devenait vétuste, l’effectif déclinait et le moral flanchait. Nous n’avons pratiquement rien fait pour affirmer notre souveraineté dans le Nord, dans l’Arctique. Nous avons même dû faire appel aux Américains afin de déployer des troupes lorsqu’une catastrophe s’est produite dans notre propre pays. Nos capacités en matière de maintien de la paix, d’aide humanitaire et de combat ont commencé à s’effriter considérablement. »

« [S]i un pays veut être pris au sérieux par le reste du monde, il doit avoir la capacité d’agir », a ajouté le premier ministre Harper. À cette fin, la stratégie de défense Le Canada d’abord – « un plan exhaustif et à long terme du gouvernement qui vise à fournir aux Forces canadiennes les effectifs, l’équipement et le soutien dont elles ont besoin pour accomplir ce que nous leur demandons » – aura pour effet de « renforcer notre souveraineté et notre sécurité au pays et [de] soutenir notre capacité de défendre nos valeurs et nos intérêts à l’étranger. ». Les trois grandes priorités de la stratégie Le Canada d’abord sont la défense du pays, la protection de ses citoyens et le respect des engagements envers la sécurité continentale en faisant du Canada « un participant robuste et fiable en ce qui a trait à la sécurité internationale et aux missions humanitaires ».

Pour sa part, le ministre de la Défense nationale, Peter MacKay, a fait remarquer que la stratégie Le Canada d’abord assure aux Forces canadiennes « un financement régulier, stable et durable », des améliorations au chapitre des infrastructures et de l’état de préparation, une augmentation des effectifs (visant un objectif de 70 000 membres de la force régulière et 30 000 réservistes) et la poursuite du renouvellement des équipements des Forces canadiennes. Outre les projets de dotation déjà achevés, souscrits ou projetés (soit 4 C-17A Globemaster, 17 C-130J Hercule, 16 CH-47F Chinook [ainsi que, à titre de mesure temporaire, 6 CH-47D Chinook], 100 chars de combat principaux Leopard 2, divers camions, de 6 à 8 navires de patrouille de l’Arctique et hauturiers, 3 navires de soutien interarmées et la modernisation des frégates de classe Halifax), le programme d’acquisition devrait comprendre « 15 nouveaux navires de combat de surface qui remplaceront les vieux destroyers et les vieilles frégates, de 10 à 12 nouveaux aéronefs de patrouille maritime qui remplaceront la flotte des Aurora, 17 nouveaux aéronefs à voilure fixe de recherche et sauvetage [soit deux de plus que le nombre indiqué dans le Rapport sur les plans et les priorités de 2008-2009, ce qui sera sans doute suffisant pour pouvoir – enfin – maintenir en permanence une capacité de recherche et sauvetage dans l’Arctique], 65 chasseurs de nouvelle génération qui remplaceront les CF-18 et une nouvelle famille de véhicules et de systèmes de combat terrestre ».

Cinq fiches d’information succinctes, plus ou moins complètes et utiles, accompagnaient les discours de Harper et de MacKay. La première, qui constituait essentiellement un survol de la stratégie, présentait les quatre piliers sur lesquels se fondent les capacités militaires du Canada (c’est-à-dire l’état de préparation, l’infrastructure, l’équipement et l’effectif). Ce document faisait aussi un parallèle entre la stratégie Le Canada d’abord et la souveraineté territoriale dans l’Arctique et examinait les « avantages économiques importants » que ce nouveau cadre de financement procurera à l’industrie canadienne à long terme. Les autres fiches d’information étaient consacrées aux sujets suivants : la souveraineté et la sécurité dans l’Arctique; l’état de préparation, l’infrastructure (le gouvernement s’engageant à remplacer ou à restaurer « environ 25 % des biens d’infrastructure du MDN au cours d’une période de dix ans, dont environ 50 % seront remplacés ou remis à neuf sur une période de 20 ans »), l’équipement et l’effectif; le cadre de financement à long terme; et enfin la liste des acquisitions effectuées depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Harper, en 2006.

L’accueil réservé à la stratégie de défense Le Canada d’abord, dans les médias et ailleurs, s’est avéré très tiède, non pas à cause de désaccords fondamentaux quant aux principes de base qui y sont énoncés, mais plutôt parce que l’information était insuffisante et qu’aucun document officiel n’était présenté – ce qui n’est pas sans rappeler certaines critiques formulées en 1969 et 1975 à propos des énoncés de politique de défense du gouvernement Trudeau. À cela s’ajoute la perception que quelques déclarations et annonces faites avant l’ère Harper ont été, jusqu’à un certain point, remballées et régurgitées dans les discours, documents et séances d’information de mai 2008. Par exemple, Don Martin rapporte que les Conservateurs ont confirmé leur intention « d’aller constamment de l’avant en promettant des hausses annuelles de financement, un accroissement important de la main-d’œuvre et une modernisation méthodique de l’équipement ». Du même souffle, le journaliste fustige le gouvernement pour avoir offert « un aperçu de l’avenir des Forces canadiennes sur vingt ans » sans proposer de réelle stratégie. Il trouve « vraiment présomptueux d’envisager la place du Canada dans le monde deux décennies à l’avance sans mettre clairement l’accent sur les défis intérieurs, continentaux ou internationaux [que le pays aura à relever] et sans préciser une orientation à privilégier ». Il ajoute que « le but réel de cette stratégie était de fournir au Premier ministre des plans de bataille militaires pour une campagne électorale. »

Un éditorial du Toronto Star a pour sa part émis l’opinion que la stratégie de défense Le Canada d’abord « du Premier ministre Harper se révèle être davantage un programme d’entretien de parc de véhicules motorisés qu’une nouvelle vision audacieuse des forces armées au XXIe siècle. » De l’avis de l’éditorialiste, il s’agit là d’une stratégie « sans vision, simplement basée sur une question d’argent ». Pour être juste, il aurait néanmoins pu reconnaître le profond changement que cette stratégie propose par rapport au dilemme habituel de la défense canadienne : une vision, mais sans argent. Sur une note plus positive, le Winnipeg Free Press a accueilli favorablement « l’argument du gouvernement à l’effet que le Canada a l’obligation morale de participer aux expéditions militaires pour soulager la souffrance et accroître la sécurité dans le monde ».

Une analyse particulièrement utile a été présentée par Dave Perry, de la Canadian Naval Review. Tout en reconnaissant la forte dose de déjà vu que comportaient les discours et documents d’information de mai – comme la reformulation des mesures visant à rehausser la sécurité et la souveraineté dans l’Arctique, à acquérir du nouveau matériel de défense (soit les C-17A, les Leopard 2 et les navires de soutien interarmées) et à assurer l’expansion réduite de la main-d’œuvre militaire –, il fait remarquer avec justesse que la liste d’approvisionnement de MacKay, soit les 15 navires de combat de surface (qui permettraient, si cela se réalisait, le remplacement un par un des destroyers et des frégates existants), les navires de patrouille maritime, les chasseurs, les avions de recherche et sauvetage ainsi que les véhicules et systèmes de combat terrestre, apporte véritablement de la nouveauté. Plus révélateurs sont ses commentaires à l’effet que « les Conservateurs ont mis de l’avant ce qu’on pourrait largement qualifier d’ordre du jour modeste, apparemment plus préoccupé de pragmatisme et de réélection que de faire progresser quelque important programme conservateur », et que « la stratégie de défense représente une planification à long terme compétente, dépourvue de toute nouvelle promesse emballante qui pourrait susciter la critique à cause de promesses de dépenses astronomiques et d’équipements superflus. »

Lors des discours ministériels prononcés à Halifax, on a fait clairement comprendre aux journalistes qu’aucun document public décrivant en détail la « nouvelle » stratégie n’était prévu. Quelle ne fut donc pas notre surprise de voir apparaître discrètement une version de 21 pages de la stratégie de défense Le Canada d’abord sur le site Web du ministère de la Défense nationale le jeudi 19 juin 2008. L’étrange décision de présenter le document à ce moment-là a suscité des spéculations quant à une tentative délibérée d’éviter d’attirer l’attention des médias et d’autres intéressés – voir, par exemple, le blogue de Paul Wells du magazine Maclean’s. Comme l’a fait remarquer Brian MacDonald, principal analyste de la défense à la Conférence des associations de la défense, la parution du document « a suivi le dévoilement, plus tôt ce jour-là, du plan libéral de taxe sur le carbone, Le Tournant vert, et a précédé de près la clôture de la session parlementaire, fixée au lendemain ». L’amirauté avait mis au point ce petit stratagème pour éviter la controverse bien avant l’ère de l’Internet.

Dans ce document de 21 pages, le Ministère réaffirme les priorités énoncées dans les discours de Halifax, soit la défense du territoire canadien, la défense continentale et la sécurité internationale, et y ajoute six « missions essentielles ». À cet effet, les Forces canadiennes « pourraient : [a] mener des opérations quotidiennes nationales et continentales, y compris dans l’Arctique et par l’entremise du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD); [b] offrir leur soutien dans le cadre d’un événement international majeur au Canada, comme les Jeux olympiques de 2010 [ce qui est crucial, avouons-le, mais est-ce là une mission essentielle?]; « [c] répondre à une attaque terroriste importante; [d] appuyer les autorités civiles en cas de crise au Canada, par exemple en cas de catastrophe naturelle; [e] diriger et/ou mener une opération internationale importante durant une période prolongée; [f] déployer des forces en cas de crise à l’étranger pour une période de plus courte durée ». Le document précise également que « les Forces canadiennes devront être entièrement intégrées, souples, polyvalentes et aptes au combat » (le concept de « créneau » est évidemment dépassé, pour l’instant du moins). Qui plus est, il insiste sur la nécessité de renforcer les quatre piliers susmentionnés et souligne, à juste titre, l’importance d’« une approche pangouvernementale visant à répondre aux besoins en matière de sécurité, tant au pays qu’à l’échelle internationale ». On y accorde aussi une attention particulière à l’industrie de la défense, Ottawa s’engageant à poursuivre « l’amélioration de son mode d’acquisition des nouveaux équipements de façon à se montrer plus transparent et à engager l’industrie plus tôt dans le processus ». Tout cela est très bien, mais l’industrie aurait sans doute préféré être rassurée sur l’ampleur des risques qu’on lui demandera d’assumer sur les plans financier, administratif et technique.

Toutefois, le talon d’Achille du document est son manque de détails et d’analyse. Le chapitre sur l’équipement, par exemple, ne fait guère plus que reformuler la liste des acquisitions projetées : bâtiments de combat de surface, chasseurs, « avions de patrouille maritime » (retour déconcertant, et possiblement de mauvais augure, à cette ancienne expression), aéronefs de recherche et sauvetage, véhicules et systèmes de combat terrestre. Des raisons parfaitement valables peuvent être avancées pour justifier chacun de ces systèmes, mais on ne les trouve pas dans le document de juin. Le projet d’acquisition de 15 nouveaux navires de combat de surface semble particulièrement vulnérable, en partie à cause des coûts élevés et des délais exceptionnellement longs – ce qui le met à la merci des prochains gouvernements –, mais aussi parce que, à force de s’en tenir aux destroyers et aux frégates, la marine pourrait se retrouver à court de capacités et de navires potentiellement plus pertinents.

Ces mêmes lacunes se remarquent dans l’évaluation de l’environnement stratégique actuel et futur, dans l’analyse des tendances technologiques et doctrinales, dans l’examen de la structure des forces et des problèmes d’effectif et, en dernier lieu, mais tout aussi important, dans l’étude de la place que les grandes politiques canadiennes en matière d’affaires étrangères et de sécurité internationale accordent à la défense et aux Forces canadiennes. Certaines de ces questions sont évidemment abordées dans d’autres documents – par exemple, le Rapport sur les plans et les priorités de 2008-2009 donne un aperçu intéressant de l’incidence des changements démographiques sur le recrutement militaire –, mais elles auraient mérité qu’on s’y attarde davantage dans le document de juin. La Foire aux questions, qui accompagne en ligne le document de 21 pages, fournit certes quelques précisions supplémentaires, mais se retranche trop souvent derrière des formules du genre : « Il reste encore beaucoup de travail à faire pour continuer la mise en œuvre de la stratégie de défense Le Canada d’abord, et d’autres détails sur les principaux projets seront annoncés en temps et lieu. » Même certains projets relativement inoffensifs, comme celui de l’aéronef polyvalent pour le Nord dont on parle depuis si longtemps, ont droit à ce traitement évasif.

Par contre, comme le signale Brian MacDonald dans le Commentaire (no 4-2008) qu’il a rédigé pour le compte de la Conférence des associations de la défense, la stratégie de défense Le Canada d’abord « présente une innovation intéressante et utile en proposant un “nouveau cadre de financement à long terme” de vingt ans pour le [ministère de la Défense nationale], un élément qui ne figurait pas dans les livres blancs et autres énoncés de politiques qui ont précédé ». Ce qui distingue ce cadre de financement à long terme, dont certains éléments étaient connus avant la publication du document de juin, c’est notamment (a) la « promesse d’une “croissance” annuelle “réelle” de 0,6 p. cent du budget de la défense à partir d’un montant de référence estimé à “18 milliards de dollars” [en 2008-2009] », (b) la « promesse que tout déploiement opérationnel, comme celui en Afghanistan, sera financé séparément [plutôt qu’à partir] du budget de base de la défense », et (c) « l’incidence, sur le budget d’équipement, de l’adoption d’une comptabilité d’exercice et de l’établissement des budgets selon cette méthode de comptabilité ».

Dans son analyse, MacDonald exprime certaines « réserves et mises en garde » à propos de ce nouveau cadre de financement. Ses réticences concernent, entre autres, les effets de l’inflation à venir, la question « de savoir si le calcul du coût différentiel tient compte de la réduction de la durée de vie utile des véhicules et de l’équipement soumis à une utilisation intensive et aux conditions extrêmes de la mission en Afghanistan », les avantages et les inconvénients de la comptabilité d’exercice et les ramifications d’un système d’approvisionnement défectueux. Il conclut toutefois que les nouvelles attitudes et approches politiques au chapitre du financement de la défense au Canada (dont peuvent s’enorgueillir tant les Libéraux que les Conservateurs, fait-il remarquer) donnent au moins « l’espoir que nous avons fait les premiers pas pour éviter que le Canada se retrouve sans forces armées, une éventualité angoissante qui avait déjà fait naître bien des appréhensions. »

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Martin Shadwick enseigne la politique de défense canadienne à l’Université York. Il a été rédacteur en chef de la Revue canadienne de défense.


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