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Lettre à la rédaction

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RMC Vol. 10, No. 3

Je souhaite commenter certains points soulevés par Andrew Godefroy dans son récent article intitulé « Oubliez Clausewitz : la leçon que l’Armée canadienne doit tirer de l’Afghanistan » publié dans la Revue militaire canadienne ,vol. 10, no 3, été 2010. Au début de l’article, Andrew Godefroy fait l’affirmation suivante : « Près de deux décennies de conflit dans les Balkans et en Asie du Sud-Ouest nous ont montré, à maintes reprises et assez clairement, que peu importe la force avec laquelle nous frottons la lampe magique que constitue la pensée de Clausewitz (il fait référence à De la guerre), il n’y a, en réalité, que bien peu d’avantages à tenter de refaire de nous-mêmes des philosophes et des officiers d’état‑major prussiens du 19e siècle. » En fait, l’œuvre de Carl von Clausewitz peut encore aujourd’hui nous en apprendre beaucoup au sujet de la guerre et du conflit à tous les niveaux, c’est‑à‑dire tactique, opérationnel, stratégique et politique si l’on prend le temps de la lire attentivement, de l’étudier et de bien la comprendre.

En 1995, dans son livre Philosophers of Peace and War, le politologue britannique (et major de l’infanterie lors de la Seconde Guerre mondiale) W. Gallie écrivait que De la guerre était le premier, et à ce jour le seul, livre d’envergure intellectuelle exceptionnelle au sujet de la guerre. Le célèbre théoricien américain des relations internationales Richard Lebow commente dans le livre The Tragic Vision of Politics que certaines des questions soulevées par Clausewitz sont les mêmes que celles de son illustre prédécesseur Thucydide et que son point de vue est intéressant et original. Il poursuit en affirmant que bon nombre de ses arguments sont significatifs et épistémologiques et qu’ils demeurent pertinents dans le contexte actuel. De plus, dans Fighting Talk: Forty Maxims on War, Peace and Strategy, 2007, le théoricien de la stratégie bien connu Colin S. Gray affirme qu’en ce qui a trait à la stratégie, les sujets qui n’ont pas été abordés par Thucydide, Sun Szu et Clausewitz n’étaient probablement pas dignes de mention. Les auteurs montrent par ces témoignages qu’ils étaient convaincus que De la guerre dressait un brillant portrait de la nature de toute guerre et présentait de précieux points de vue sur les relations entre la politique, la stratégie, l’art opérationnel et la tactique. Ils sont tous d’accord avec Clausewitz qui affirme que même si le caractère spécifique de la guerre peut changer, sa nature demeure la même.

Clausewitz avise ses lecteurs à plusieurs reprises, entre autres dans De la guerre, qu’il ne rédige pas un traité normatif ou prédictif qui pourrait être utilisé en tant que doctrine militaire, mais qu’il cherche plutôt à encourager les gens à réfléchir et à bien comprendre le phénomène de la guerre. Il espérait avoir créé une œuvre qui, dans une certaine mesure, serait intemporelle. À cet égard, selon moi, Clausewitz a réussi. Ses observations pénétrantes et percutantes concernant la guerre et le conflit égalent souvent ou même surpassent celles de nombreux théoriciens militaires et des relations internationales actuels et de la plupart des rédacteurs de doctrine.

Le livre De la guerre de Clausewitz montre que l’auteur a bien compris que la guerre est en soi un phénomène non linéaire et complexe. Ce livre illustre clairement que l’auteur est conscient qu’il n’est pas réaliste de chercher à trouver des solutions d’analyse précises pour régler les problèmes posés par la guerre. Contrairement à bon nombre de ses contemporains, influencés par le rationalisme desséchant souvent présent dans la philosophie de la fin des Lumières, Clausewitz ne cherche pas à trouver les « lois » qui régissent la guerre. Il s’oppose directement, par exemple, au point de vue du baron de Jomini selon lequel toute stratégie est régie par des principes invariables en attente d’être découverts par des esprits positifs. Clausewitz affirme : « Ils recherchent des grandeurs déterminées, tandis que tout est indéterminé à la guerre, et que le calcul n’y peut porter que sur des grandeurs variables. Ils ne concentrent leur attention que sur des grandeurs matérielles, tandis que l’acte de guerre est incessamment soumis à des forces morales et produit incessamment des effets moraux. Ils n’ont en vue, enfin, qu’une activité unique, tandis que la guerre est l’effet réciproque constant de deux activités opposées. » Cette affirmation prend tout son sens à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie du système général de la guerre et du conflit, du niveau tactique au niveau politique. Aujourd’hui, ce jugement s’applique davantage qu’à l’époque de Clausewitz étant donné la complexité des opérations tactiques dans les conflits qui ont lieu par exemple en Irak et en Afghanistan.

Plus loin dans son article, Andrew Godefroy soutient que Clausewitz préfère les combats décisifs susceptibles de mettre un terme à toute guerre, des combats d’annihilation – stratégie politiquement inacceptable et opérationnellement inutile pour les gouvernements démocratiques et leurs armées. En fait, Clausewitz identifie clairement deux types de guerre et les stratégies logiques qui sont y associées, dépendamment de l’objectif politique établi. Si l’objectif est extrême ou très ambitieux, il préconise en effet la stratégie de l’annihilation pour arriver à l’état final désiré. Par contre, si l’objectif est plus limité ou nuancé, Clausewitz recommande plutôt une stratégie bipolaire, qui combine des stratégies avec et sans combats, y compris la diplomatie, les moyens économiques et les dialogues politiques. Ce paradigme à deux pôles a été développé à la fin du 19e siècle par l’historien militaire allemand Hans Delbruk. De plus, il a directement inspiré à la suite de la Seconde Guerre mondiale des érudits tels que Bernard Brodie (Strategy in the Missile Age), Charles Osgood (Limited War), et Hans Morgenthau (Politics among Nations). Une lecture attentive de cet aspect abordé dans De la guerre aurait probablement permis à Donald Rumsfeld et à Tommy Franks d’être mieux informés pendant la « deuxième guerre du Golfe » et a certainement façonné la mentalité de l’OTAN en ce qui concerne les opérations en Afghanistan. Une description et une explication exactes et succinctes de ces deux « genres » de stratégies peuvent être trouvées dans un livre rédigé en 2009 par deux professeurs grecs : Thucydides On Strategy: Grand Strategies in the Peloponnesian War and Their Relevance Today.

Vers la fin de l’article, M. Godefroy, Ph.D., cite un passage tiré du livre Carl von Clausewitz’s On War: A Biography de l’historien britannique Hew Strachan. Il est important de noter que ce livre fait partie d’une courte liste de livres qui font partie d’une collection de livres marquants tels que La république de Platon, l’Origine des espèces de Darwin, La richesse des nations d’Adam Smith et Le prince de Machiavel. Le fait que le livre De la guerre de Clausewitz soit inclus dans cette collection en dit long sur sa pertinence.

Contrairement à Andrew Godefroy, après 44 ans de travail pour les FC et le MDN, je n’ai rencontré que très peu d’officiers qui ont lu l’œuvre de Clausewitz et encore moins d’officiers qui l’ont étudiée. Depuis que nous avons commencé à envoyer des stagiaires à la School of Advanced Military Studies des Forces terrestres et du Corps des Marines des États-Unis, la situation a légèrement changé. Cependant, l’étude véritable de l’œuvre de Clausewitz n’a pas été introduite adéquatement dans le Système de perfectionnement professionnel des FC. Je conclus en affirmant que le problème n’est pas que l’on s’inspire trop de Clausewitz, mais qu’on néglige trop son œuvre.

~L. William Bentley, Ph.D

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Le Lieutenant-colonel (retraité) Bill Bentley, MSM, CD, Ph.D., est le directeur de l’Institut de leadership des Forces canadiennes de l’Académie canadienne de la Défense, à Kingston.

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