Afghanistan rétrospectif

Photo de Finbarr O'Rielly Reuters RTR1RERL

Des soldats canadaiens fatigués fonr une pause pour fumer une cigarette, le 3 juillet 2007

« Le jeu en valait-il la chandelle? » L’intervention du Canada en Afghanistan et les perceptions de succès et d’échec

par Sean Maloney

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Introduction

En 2012, la direction de l’Université du Manitoba m’a invité à donner une conférence sur les opérations canadiennes en Afghanistan, en particulier du point de vue des grands enjeux de l’intervention canadienne et occidentale dans ce pays au cours des 20 dernières années. J’ai donc préparé une présentation fondée sur mes travaux préliminaires touchant l’histoire de l’Armée canadienne en Afghanistan entre 2001 et 2011, c’est-à-dire le projet dont je m’occupe actuellement pour l’Armée canadienne. J’ai cependant réalisé, au cours de cette présentation et par la suite, que la conférence que j’avais préparée était trop détaillée et présumait une trop grande connaissance du sujet de la part des membres d’un public diversifié. Le temps me manquait pour définir un terrain commun pour moi et le public. De plus, durant des conversations informelles à l’occasion de mes rencontres dans divers lieux avant et après ma conférence, il m’est apparu clairement que beaucoup des gens que je rencontrais s’intéressaient avant tout à un complexe politico-médiatique particulier, et ce, sans égard à toute nouvelle information ou à toutes pistes que j’étais en mesure de fournir en raison de mon niveau d’accès à l’information sur la guerre en Afghanistan, tant sur le plan de la documentation que sur le plan de l’expérience personnelle que j’ai acquise à l’occasion des dix déploiements en opération auxquels j’ai participé entre 2003 et 2011.
J’ai évidemment été surpris qu’un mème1 des médias puisse dominer à ce point au sein d’un groupe d’universitaires et de spécialistes. J’ai été formé selon une tradition universitaire où les idées sont débattues et la quête de points de vue différents, de nouvelles informations et de perspectives inédites est au cœur de la profession. Habituellement, il s’agit d’un processus litigieux, mais professionnel. Généralement, le mélange de ces éléments confirme nos préjugés ou crée un genre de nouvelle synthèse qui lance une autre ronde de discussions. Je n’ai pas constaté ce même processus à l’occasion de ma présentation sur l’Afghanistan. J’ai plutôt vu des opinions fermement arrêtées sur l’implication du Canada en Afghanistan, des opinions qui faisaient abstraction des faits présentés par une personne chargée de comprendre notre implication dans un pays démographiquement endommagé et presque postapocalyptique. Ces opinions étaient conditionnées par les modèles de recherche existants sur la manière dont le Canada se comporte habituellement ou s’est comporté par le passé ou devrait se comporter sur la scène internationale, ainsi que par l’information diffusée par les médias. Cependant, aucun de ces modèles n’explique adéquatement ou plus que très superficiellement la raison pour laquelle le Canada est allé en Afghanistan et ce que les Canadiens y ont fait. Certainement aucune mesure de « valeur » n’a été présentée jusqu’à maintenant qui soit susceptible de faire consensus.

 

Un monument commémorant la tragique perte de 55 573 hommes du Bomber Command provenant du Commonwealth et de pays alliés pendant la Deuxième Guerre mondiale a été inauguré dans Green Park, à Londres, le 28 juin 2012. Sa Majesté la Reine Elizabeth II a dévoilé une statue de bronze représentant sept membres d’équipage du Bomber Command debout au milieu d’une structure. Le toit est fabriqué d’aluminium récupéré d’un bombardier Handley Page Halifax III canadien du 426e</sup> Escadron abattu au-dessus de la Belgique le 12 mai 1944. Ses huit membres d’équipage y ont perdu la vie et figurent parmi les 10 659 aviateurs canadiens qui ont péri en servant au sein du Bomber Command pendant la guerre. Le monument rend également hommage aux gens de tous les pays qui ont succombé pendant les campagnes de bombardement de 1939 à 1945.

Photo de Finbarr O'Reilly, Reuters RTR1RC4Y

Un soldat canadien tourne le dos à un hélicoptère Blackhawk qui décolle de la base d’opérations avancée de Ma’sum Ghar, le 1er juillet 2007.

 

Le mème

Le mème « Le jeu en valait-il la chandelle? » est apparu en juillet 2011 au moment où le Canada mettait fin à ses opérations dans le sud de l’Afghanistan. L’idée de se questionner sur la valeur des opérations du Canada en Afghanistan n’était pas nouvelle : les critiques de la mission, en particulier ceux appartenant au Nouveau parti démocratique (NPD) et ceux sensibles aux pertes, posaient les mêmes questions à l’automne 2006 et à nouveau au printemps 2007. La différence, en 2011, était que l’opération Athena était terminée et qu’il était naturel de regarder en arrière pour voir le chemin parcouru par le Canada après de si nombreuses années. Aucun commentaire détaillé n’a été diffusé sur ces questions par le gouvernement Harper, pas plus que par les bureaucrates non élus. Le mème « Le jeu en valait-il la chandelle? » est, essentiellement, une création des médias et de leurs compagnons d’armes, les sondeurs.

La fin de la mission à Kandahar en Afghanistan et l’annonce publique que la fin de cette mission mettait un terme aux opérations de combat du Canada en Afghanistan ont amené la Canadian Broadcasting Corporation à poser la question « Le jeu en valait-il la chandelle? » durant son programme intitulé Cross-Country Checkup du 10 juillet 20112. Le Ottawa Sun a commandité un sondage à la firme Léger Marketing et l’a publié dans son édition du 4 août 2011; 30 % des personnes interrogées pensaient que oui, le jeu en valait la chandelle, tandis que 58 % étaient d’avis que nos objectifs n’étaient pas atteints au moment où nous avons « quitté » l’Afghanistan à l’été 20113. Le National Post a ensuite publié un long article à ce sujet le 8 août 2011, à l’instar d’autres publications moins importantes comme le Socialist Worker4. En l’espace d’environ quatre semaines, la majorité des médias canadiens ont posé la même question, de la même manière, mais seulement quelques-uns d’entre eux y ont répondu, et ce, en se référant à eux-mêmes.

Ensuite, ce mème a amorcé une phase de dormance avant de refaire surface dans la couverture médiatique précédant le jour du Souvenir en novembre 2011. Comme il s’agissait du premier jour du Souvenir depuis la fin des opérations de combat en Afghanistan, presque tous les médias ont jugé pertinent de reposer la même question. Après une autre période de dormance, Paul Koring, du Globe and Mail, a réactivé le mème dans son article du 6 février 2012 exposant l’opinion de l’ex-ambassadeur Chris Alexander, de l’ancien commandant du Commandement de la Force expéditionnaire canadienne (COMFEC), le lieutenant-général Michel Gauthier, du détenu et critique Amir Attaran, de l’ancien chef de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), Nipa Bannerjee, de l’activiste antiguerre Raymond Legault et du colonel à la retraite Pat Stogran, commandant du contingent canadien de l’opération Apollo en 20025.

Les divers médias, à l’unisson, posaient la même question encore et encore : « Le jeu en valait-il la chandelle? ». Aucun ne fournissait d’explications supplémentaires sur ce qu’ils entendaient par « valeur ». Tous sous-entendaient, sans le dire clairement au départ, que ce qu’ils entendaient par « valeur » était le nombre de Canadiens ayant perdu la vie. Certains avançaient le coût estimatif de notre implication, mais il était évident qu’ils voulaient vraiment utiliser le nombre de morts comme critère d’efficacité.
Tout au long du conflit, les médias canadiens sont restés obnubilés par les cérémonies de débarquement des dépouilles et par les morts et blessés canadiens, à l’exclusion presque totale de tout autre sujet concernant l’Afghanistan. Cette couverture médiatique des morts canadiens a eu un effet direct sur le chef de l’opposition et sur ses demandes répétées de retrait du Canada en 2006, puis à nouveau en 2007. M. Layton a expressément mentionné les pertes canadiennes comme principal motif de son opposition à la poursuite des opérations de combat6. Il n’est pas surprenant que les médias, et les critiques de l’implication canadienne, souhaitent utiliser leurs propres critères d’efficacité lorsqu’ils analysent la « valeur » de la participation du Canada à la guerre en Afghanistan.
Ce mème se définit donc comme suit :

  • L’implication du Canada en Afghanistan a entraîné des pertes chez les Canadiens et la dépense de beaucoup d’argent des contribuables.
  • Aucun progrès réel n’a été accompli.
  • Le Canada s’est retiré en 2011.
  • Le jeu en valait-il la chandelle?

Ce mème ressort clairement de l’échantillonnage de médias suivant : CBC, The Sun, The National Post, The Globe and Mail, et est exprimé ouvertement dans The Socialist Worker.
C’est donc ce mème qui constitue notre point de départ commun. Il existe certaines divergences d’opinions ici et là (p. ex., Rosie Dimanno dans le The Toronto Star7) et les opinions minoritaires exprimées dans l’article de Koring8) mais, en grande partie, c’est ce mème qui a été diffusé abondamment et largement dans les médias canadiens entre juillet 2011 et février 2012. De plus, il tendait à dominer le système de croyances d’une majorité du large éventail de personnes que j’ai rencontrées à l’occasion de cette conférence, qu’elles soient en faveur ou contre la participation canadienne.

 

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo de Jorge Sila, Reuters RTX1YA6

Des soldats canadiens dorment alors qu’une fusée éclairante brûle dans le ciel pendant une opération spéciale à Sanjaray, dans la province de Kandahar, le 18 mai 2009.

Critères d’efficacité (CE)

Les CE de la guerre en Afghanistan ont tourmenté presque tous les quartiers généraux de la Force opérationnelle interarmées Afghanistan que j’ai visités à compter de 2006 et par la suite, en particulier lorsque nous avons entrepris la phase de contre-insurrection au niveau des provinces et des districts en 2007. Une combinaison de bureaucrates d’Ottawa et de représentants des médias a relié l’idée « d’efficacité » au concept de « progrès ». Si nous « progressions », nous étions « efficaces ». La question était de choisir quels aspects examiner : développement et reconstruction, détenus, etc. Je ne veux pas ici examiner en détail la propension historique en faveur du « progrès » en Occident au XIXe siècle, même si elle a certainement exercé une influence, au même titre que la méthode scientifique et la prouvabilité. L’idée que l’insurrection s’aggravait parce qu’il n’y avait pas assez de développement était en faveur chez un certain nombre de commentateurs, mais peu d’entre eux étaient en mesure d’apporter des données à l’appui de leur opinion.

J’avancerais également que la culture nord-américaine largement tributaire du sport a un besoin très profondément ancré de tenir le pointage pour savoir qui gagne et qui perd. Beaucoup frissonnent, à juste titre, à l’idée d’utiliser le décompte des cadavres comme mesure des progrès accomplis durant la phase américaine de la guerre du Viêt-nam. C’est pourtant ce décompte qu’utilise le mème comme CE – en l’occurrence un décompte des victimes du côté du Canada seulement. Non pas un décompte comparatif des victimes canadiennes et des victimes ennemies. Uniquement les victimes canadiennes… L’idée que le Canada pouvait livrer une guerre sans effusion de sang dépasse l’entendement. Devant l’horreur de certains Canadiens face au nombre relativement peu élevé de morts canadiens, il est probable que certains ont peut-être même commencé à éprouver de la pitié pour l’ennemi dans la mesure où le rapport des morts canadiens aux morts insurgés est peut-être de 1/20 à 1/50, ou même plus.

Le mème n’aime pas utiliser le nombre d’écoles construites et occupées comme critère d’efficacité, mais ceux qui sont contre le projet canadien en Afghanistan aiment mentionner le nombre de champs de pavot destinés à la fabrication d’opium. Mais encore là, ils n’aiment ce critère que si la discussion repose sur les chiffres de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), pris hors contexte, pour s’assurer que ces chiffres montrent une croissance exponentielle chaque année. Année après année, les journaux et autres médias utilisent sans s’en rendre compte pratiquement les mêmes manchettes à ce sujet9.

Le manque de « progrès » devient cependant le principal point litigieux pour les observateurs attentifs du conflit. Ils ne définissent jamais ce qu’est le progrès, mais sous-entendent encore une fois qu’il suppose une réduction du niveau de corruption et du niveau de violence. L’argument invoqué est donc que lorsque la production de drogue, la corruption et la violence tendent toutes à la hausse, il n’y a pas de progrès. Cet argument repose sur le fait que des réductions dans tous ces domaines sont nécessaires pour réduire la « violence » et que cette réduction va miraculeusement conduire à la reconstruction et à la fin du conflit. Apparemment, le « progrès » ne peut exister en dehors de ces catégories. Pas plus qu’il ne pouvait vraiment y avoir de progrès graduels dans ces domaines. Le progrès devait être majeur et immédiat. Il fallait également que ce progrès majeur soit compréhensible pour le Canadien moyen, ou il ne comptait pas.

Le lien entre le caractère immédiat et le progrès est fort. Il faut des résultats maintenant ou le progrès n’est pas suffisant. Ou encore, notre période d’attention est courte : si le progrès n’est pas accompli entre maintenant et le moment où notre attention se déplace, il n’y a alors pas de progrès. Il n’y a pas de place à l’erreur dans ce monde parfait des critiques, pas de place pour les écueils ni pour l’inefficacité qui se crée au sein de ce qui est supposé être une « machine parfaite », et ce, en raison du fait que nous dépensons autant d’argent pour la faire marcher. Parfait, critique, consumériste… il n’est pas surprenant que les critiques de l’implication du Canada en Afghanistan cherchent des critères de mesure simplistes qui renforcent leurs préjugés.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo decaporal Dan Shouinard, MDN KA2005-R105-0163d

Un chef de char de l’Escadron B, du Royal Canadian Dragoons, membre de l’escadron de reconnaissance de la Brigade multinationale de Kaboul (BMK), reçoit un appel sur la route vers Sarobi, en Afghanistan, le 16 mars 2005.

Un des critères d’efficacité dont nous disposons, dans le domaine public, est la Stratégie de développement national de l’Afghanistan (SDNA). Cette stratégie, qui remonte aux années 2005 et 2006, énonçait des objectifs essentiels combinés à un échéancier. Reposant sur un partenariat entre Afghans et Canadiens, la stratégie s’appuyait sur les leçons durement apprises en Bosnie. Je n’ai pas vu un seul produit des médias canadiens qui explique la SDNA et son importance pour les Canadiens. Pour faire connaître cette stratégie, j’ai affronté un journaliste à Kandahar en 2007 et à nouveau en 2008. Je l’ai mis au défi, lorsqu’il proclamait que le Canada n’avait pas de stratégie et aucun objectif, d’aller se renseigner sur le site Web de la SDNA. Est-ce qu’un article explicatif a fait suite à notre confrontation? Non. Il était plus facile de compter les morts canadiens, un peu comme le pointage d’une partie de hockey funeste, que d’expliquer qu’il y avait maintenant un plan stratégique dans un environnement presque postapocalyptique et qu’en soi, c’était toute une réalisation et que cette stratégie ouvrait la porte à des améliorations, était axée sur cet objectif et l’a atteint. Malheureusement, la planification stratégique est un sujet ennuyeux. Et les gens qui fréquentent les médias veulent être divertis. La mort, la violence et le sensationnalisme divertissent. Par contre, le fait de créer une stratégie qui va procurer des structures de gouvernance aux Afghans pour que la communauté internationale soit plus encline à fournir des budgets pour la reconstruction n’est pas particulièrement divertissant, ni excitant. Voilà le défi qui se présente à nous : comment aller au-delà du complexe morbide du décompte des morts créé par nos médias, avec la complicité de la société, pour trouver un moyen d’expliquer ce que nous avons accompli en Afghanistan d’une manière qui est à la portée du Canadien moyen?

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo du caporal Lou penney, MDN APD02 5000-149

Des éclaireurs du groupement tactique du 3e Bataillon, Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, se déplacent dans un ravin pendant l’opération Anaconda et fouillent des grottes à la recherche de talibans et de combattants d’Al-Qaïda, le 15 mars 2002.

Approches universitaires

J’aurai cru que la communauté des universitaires se serait levée pour essayer de relever ce défi, en particulier durant ce conflit. Globalement, elle ne l’a pas fait. La question « Le jeu en valait-il la chandelle? » s’est rapidement transformée en « Aurions-nous dû même y aller? », une créature connexe du mème créée par les médias. Chez les universitaires que j’ai interrogés durant la conférence, j’ai généralement constaté que l’intervention canadienne en Afghanistan était interprétée à l’aulne des préjugés et des approches existants, et qu’elle n’était pas vue comme une série d’événements unique méritant une analyse détaillée par des spécialistes. J’ai identifié trois grands points de vue chez les universitaires.
Il y a d’abord le point de vue « rester chez soi » ou « isolationniste ». Cette approche repose sur une analyse coût-bénéfice simpliste qui comptabilise les pertes canadiennes et les sommes investies et les compare à l’état de l’Afghanistan aujourd’hui tel que présenté par les médias et dans divers rapports de groupes de réflexion et d’organisations internationales. La situation est mauvaise en Afghanistan, nous avons suffisamment dépensé, nous devrions quitter, ou, nous n’aurions pas dû nous y déployer au départ. Cette opinion a tendance à provenir du Québec et fait écho aux voix qui se sont opposées à la Première et à la Seconde Guerres mondiales.

Les faiblesses évidentes de cet argument découlent de sa simplicité. L’argument ne tient pas compte de la détérioration progressive de la situation en Afghanistan, laquelle n’est vraiment largement apparue que vers 2005-2006. Il évite toute analyse des intérêts ou valeurs canadiens et du rôle qu’ils jouent dans la prise de décision. Il ne tient pas compte du rôle de la crédibilité dans les affaires internationales. Essentiellement, c’est une approche adolescente des relations internationales.

Deuxièmement, il y a le point de vue de la « suprématie de l’ONU ». En vertu de ce concept, les États-Unis d’Amérique sont le « démon » et ne doivent pas être autorisés à agir unilatéralement afin de les empêcher de se comporter illégalement aux yeux de la Cour pénale internationale. Le Canada doit se distancier des États-Unis pour éviter d’être infecté par ce « démon ». Par conséquent, le Canada n’aurait dû s’impliquer en Afghanistan que dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies et des organisations contrôlées par elle.
Encore une fois, le mythe du gardien de la paix canadien au sein de l’ONU est actif dans cette opinion et se manifeste sous le couvert des critiques extrêmes exprimées contre les États-Unis en raison de leurs politiques de restitution extraordinaires, de Guantanamo, d’Abou Ghraib, de la théorie de la conspiration du pétrole, etc. De ce point de vue, la seule manière de protéger les valeurs canadiennes est d’œuvrer sous l’égide de l’ONU, et le Canada ne peut être sauvé que par les bons soins de l’ONU.

Troisièmement, il y a le point de vue des relations canado-américaines, lequel se présente sous plusieurs formes. Les universitaires canadiens ont créé une industrie de l’analyse des relations canado-américaines qui remonte aux années 1950, mais qui a connu son âge d’or dans les années 1960 et 1970, à l’époque où le nationalisme de bas niveau propagé par le régime Trudeau cherchait à identifier et à grossir le plus grand nombre possible de différences entre le Canada et les États-Unis. Dans beaucoup de cas, il est plus facile de considérer le « Canada en Afghanistan » comme une extension du « Canada et des États-Unis » que d’examiner en profondeur la pléthore de motifs bureaucratiques et émotifs susceptibles d’avoir joué un rôle dans la décision du Canada de s’impliquer en Afghanistan.

Il existe trois variantes de l’approche des « relations canado-américaines ». Premièrement, il y a la variante liée au commerce. La vaste majorité du commerce canadien se fait avec les États-Unis d’Amérique et il est du devoir du Canada d’avancer aux côtés des États-Unis dans le cadre d’un bloc nord-américain. Deuxièmement, il y a la variante qui laisse entendre que le Canada a été forcé, subtilement, de prendre le parti des États-Unis pour renforcer la crédibilité de la coalition. Troisièmement, il y a la variante de solidarité, un genre de sentiment de « confrérie des armes/tous ensemble pour la patrie ».

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo du caporal-chef Brian Walsh, MDN KA2004-A073D

Le lieutenant-général Rick Hillier, commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), parle avec le sergent Gaétan Cyr du 3e Bataillon, Royal 22e Régiment, à Kaboul, le 14 février 2004.

Finalement, il y a la théorie de la guerre personnelle de Hillier selon laquelle l’ancien chef d’état-major de la Défense, Rick Hillier, a plus ou moins entraîné le gouvernement canadien de plus en plus profondément dans l’aventure afghane pour des motifs douteux associés à la solidarité américaine ou pour amener les Forces canadiennes à exécuter des opérations de combat, quelles qu’elles soient, pendant que le ministère des Affaires extérieures essayait vaillamment de le retenir.

Dans aucune de mes conversations le nom Al-Qaïda n’a été évoqué, sauf lorsque je lançais une discussion sur les événements du 11 septembre et sur la longue histoire de la guerre d’Al-Qaïda contre son « ennemi direct » et son « ennemi par association » remontant au début des années 1990. L’ennemi était presque toujours étiqueté « taliban » sans qu’aucun lien ne soit fait entre les deux ou avec aucune autre organisation. Aucun lien n’était certainement établi entre les attaques du 11 septembre et la présence d’Al-Qaïda en Afghanistan. Le sujet du rôle du Pakistan dans tous ces événements n’était pas davantage abordé autrement que minimalement.

Aucun de mes interlocuteurs n’a mentionné la défense ou la protection des valeurs canadiennes ou le fait que les valeurs d’Al-Qaïda et des talibans étaient diamétralement opposées aux valeurs canadiennes. Certains de mes interlocuteurs ne concevaient absolument pas que l’ennemi représentait plus qu’une simple menace terroriste locale à la reconstruction. C’est même seulement lorsque j’ai présenté ce raisonnement qu’un universitaire a rejeté toute implication en Afghanistan parce que pour lui, les talibans et Al-Qaïda ne constituaient pas une menace « existentielle » pour le Canada.

Personne n’a mentionné, de près ou de loin, quelque impératif humanitaire que ce soit ni le fait que l’Afghanistan était le pays le plus pauvre sur terre et le plus endommagé dans sa démographie et ses infrastructures. Pas plus qu’il ne valait la peine de mentionner que le Canada venait en aide aux Afghans et à l’Afghanistan.

La réalité complexe

Dans une large mesure, ni les médias ni les universitaires n’ont vraiment examiné en profondeur l’hypothèse selon laquelle le Canada a fait des choix pour s’engager profondément en Afghanistan au cours de la période de dix ans à l’étude et que les décisions prises à cet égard étaient peut-être fondées sur ses intérêts et ses valeurs. En général, l’idée que le Canada agit indépendamment est louangée lorsque ce comportement s’oppose aux décisions américaines. L’idée que le Canada choisit indépendamment de prendre le parti des États-Unis et de les accompagner est habituellement écartée sous la rubrique générale de la coercition. Peut-être devrions-nous envisager un autre point de vue : que le Canada a fait le choix et, dans le cas de l’Afghanistan, à plusieurs reprises et à différents moments, de rester engagé et que ces décisions ont été prises en raison de la nature de plus en plus vacillante du projet international d’aide à l’Afghanistan. Cette idée présuppose également que notre participation au projet international en question reflétait aussi, d’une certaine manière, notre système de valeurs.

Nous devrions peut-être aussi envisager la possibilité qu’il y avait un concept subjacent de crédibilité nationale et internationale qui a joué dans la nature progressive de notre implication en Afghanistan. Nous nous sommes engagés dans une cause. Cette « cause » était importante pour nous pour diverses raisons et nous avons plusieurs fois réitéré notre engagement à préserver la crédibilité canadienne dans le système international, ainsi qu’à maintenir la crédibilité du projet de l’Afghanistan. Je pense que l’argument voulant que le Canada a fait tout cela dans le seul but de développer ou de cultiver sa crédibilité auprès des États-Unis est beaucoup trop restrictif.
D’après mon analyse, l’implication du Canada en Afghanistan est passée par plusieurs phases.

  1. Opération Apollo, 2001-2002 : déploiement d’un groupement tactique dans le sud de l’Afghanistan dans le cadre de l’opération Enduring Freedom menée par les Américains.
  2. Opération Athena, 2003-2005 : le Canada a été le chef de file dans la prise en charge par l’OTAN du projet international en Afghanistan dans la région de Kaboul et dans la conversion de la mission de la FIAS menée par les Européens en une mission dirigée par l’OTAN.
  3. Opération Argus, 2005-2008 : le Canada encadre l’Afghanistan dans la création d’une stratégie de dévelop­pement national et de structures de gouvernance basées à Kaboul. Il s’agissait d’une entente bilatérale entre l’Afghanistan et le Canada.
  4. Opération Archer, 2005 : le Canada accepte la responsabilité de l’équipe de reconstruction provinciale (ERP) à Kandahar et travaille à identifier les grands problèmes qui nuisent à la province. Au départ, cette opération se déroulait dans le cadre de l’opération Enduring Freedom, mais est passée sous l’égide de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en août 2006.
  5. Force opérationnelle multinationale (CTF) Aegis et Force opérationnelle (FO) Orion, 2006 : l’opération Archer est renforcée au moyen de forces de combat au moment où la situation se détériore dans la province de Kandahar, jusqu’à ce que la phase d’expansion de l’étape III soit terminée à l’été 2006 et jusqu’à ce que la mission soit prise en charge par l’OTAN.
  6. Opération Athena, 2006-2011 : Cette mission de contre-insurrection se poursuit pendant que le Canada organise une campagne de perturbation sous les auspices de la FIAS pour prévenir l’interférence des insurgés dans la reconstruction et le développement des capacités. Après une opération de perturbation de trois ans, les Forces canadiennes ont été progressivement relevées sur place par les forces américaines en 2010-2011.
  7. Opération Attention, 2011-2012 : la mission en Afghanistan se transforme en une mission de mentorat et de formation auprès de l’Armée nationale afghane, surtout à Kaboul.
Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo du caporal Dan Shouinard, MDN KA2005-R105-0156d

Le déploiement s’éternise? Un commandant de char du Royal Canadian Dragoons avance ses lèvres pour faire un baiser à un habitant de la région à Sarobi, en Afghanistan, le 16 mars 2005.

 

Le déploiement s’éternise? Un commandant de char du Royal Canadian Dragoons avance ses lèvres pour faire un baiser à un habitant de la région à Sarobi, en Afghanistan, le 16 mars 2005.

Pour mesurer l’efficacité de ces missions, il faut comprendre les objectifs fixés au départ. C’est seulement à partir de là qu’on peut se demander si ces objectifs étaient réalistes, compte tenu des circonstances, des ressources et de la connaissance que nous avions à l’époque. Cela est bien différent d’un décompte des cercueils sortant d’un aéronef à la BFC Trenton ou du brandissement du rapport annuel sur les narcotiques de l’ONUDC comme s’il s’agissait d’une chemise ensanglantée. Bien différent également des plaintes de corruption...

Les principaux objectifs du Canada se réduisent à deux choses, premièrement, la suppression du bouclier taliban qui protégeait le parasite Al-Qaïda qui se nourrit des talibans. À partir du moment où le gouvernement taliban et ses forces sont écartés, il est possible de faire des progrès dans l’attaque d’Al-Qaïda mondialement. Deuxièmement, Al-Qaïda a développé sa relation parasitique avec les talibans à cause des conditions perturbatrices de guerre civile qui existaient en Afghanistan après l’effondrement du gouvernement Najibullah en 1993. Le deuxième objectif du Canada était de s’assurer qu’Al-Qaïda et d’autres groupes terroristes mondiaux ne pouvaient plus utiliser le territoire d’Afghanistan pour mener leurs opérations et la reconstruction était le moyen de le réaliser. Fondamentalement, ces objectifs canadiens sont restés actuels pendant toute la présence des Forces canadiennes sur le terrain en Afghanistan.

Ces objectifs ont été fixés après l’examen de la direction que prenait l’opération américaine Enduring Freedom en novembre 2001. L’objectif stratégique de l’ensemble de l’opération était l’organisation Al-Qaïda. Personne ne savait ce qu’Al-Qaïda allait faire ensuite. Il y avait plus de trente installations d’Al-Qaïda en Afghanistan : instruction, communications et recherche. La seule façon de savoir ce que préparait Al-Qaïda était de la surveiller, de saisir ses installations et capturer son personnel clé, et d’en extraire tous les renseignements possibles pour se former une image globale plus vaste des activités de cette organisation. Le Canada a fourni des forces en Afghanistan et ailleurs dans le cadre de cette entreprise.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo de Ho New, Reuters RTRNYSY

Image fixe d’après une archive vidéo montrant Osama Ben Laden et son bras droit, Ayman al-Zawahri, dans un lieu non identifié qui doit être une base d’Al Qaïda en Afghanistan, le 21 mai 2003.

 

Essentiellement, l’opération Enduring Freedom a retiré le bouclier taliban et a forcé Al-Qaïda à s’enfuir d’Afghanistan. Les installations de cette dernière ont été exploitées très avantageusement par les forces de la coalition. De nombreuses attaques semblables à celles du 11 septembre qui étaient en cours de planification ont été tuées dans l’œuf, au même titre que des plans d’acquisition d’armes ou de matériel biochimiques et nucléaires. En fait, il n’y a pas eu d’autre attaque d’Al-Qaïda de la même envergure que celle du 11 septembre 2001, même si plusieurs attaques de cette nature étaient en cours de planification10. Ce seul accomplissement devrait être considéré comme un énorme succès, mais il a été amoindri par l’excitation entourant la préparation du conflit en Irak par les Américains. En effet, la crédibilité affaiblie d’Al-Qaïda aujourd’hui et son inefficacité à détourner concrètement le printemps arabe jusqu’à maintenant sont directement attribuables à l’opération Enduring Freedom en Afghanistan, combinée à la destruction d’Al-Qaïda en Irak. Le Canada a participé aux efforts de la coalition en Afghanistan. Les objectifs d’Al-Qaïda, énoncés par Oussama ben Laden, n’ont pas encore été atteints, dix ans après les événements du 11 septembre et presque vingt ans après le début des opérations d’Al-Qaïda11.

Durant les premières phases des opérations contre Al-Qaïda, il est devenu de plus en plus évident aux planificateurs et représentants du Canada à Tampa (Floride) (où se trouve le US Central Command) ainsi qu’à leurs homologues d’autres pays du Commonwealth, que les plans des Américains n’avaient pas prévu clairement ce qui est arrivé après la phase d’exploitation. De façon générale, les chefs politiques américains ont collaboré avec d’autres partenaires internationaux pour établir le processus de Bonn, qui était censé jouer un rôle important dans la reconstruction. L’opération Enduring Freedom a changé de direction quelque part en 2002-2003 pour se réorienter plus particulièrement sur l’Irak et la Corne de l’Afrique.

Les raisons du réengagement du Canada en Afghanistan étaient nombreuses et compliquées, cette fois-ci sous les auspices de la Force internationale d’assistance à la sécurité. Aux fins de notre discussion, cependant, la mission de la FIAS était tombée en panne en 2003 et personne ne voulait en assumer la direction. Le gouvernement provisoire d’Afghanistan s’enfonçait sous le poids d’innombrables problèmes : il n’avait aucune crédibilité auprès de ceux qui possédaient les armes lourdes et des armées des factions, et n’avait aucune légitimité auprès de la population. Il n’y avait pas de bureaucratie pour accepter les sommes données par les donateurs internationaux pour la reconstruction. En réalité, la possibilité d’un retour à l’état des années 1993-1994 était très réelle en 2003. Et, comme nous nous en souvenons, la création du mouvement taliban en 1996 était une conséquence directe de ces conditions au départ.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photodu corporal-chef Brian Walsh, MDN KA2003-A344A

Le major-général Andrew Leslie, commandant adjoint de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), dans un véhicule blindé léger (VBL III) avant le départ de Camp Julien pour la zone d’opérations du Canada à Kaboul, le 30 octobre 2003.

 

Dans une campagne formulée par le major-général Andrew Leslie, à l’époque, et son état-major, la FIAS dirigée par l’OTAN, mais dominée par le Canada a atteint plusieurs objectifs. Premièrement, les armes lourdes contrôlées par diverses factions à Kaboul ont été remisées. Deuxièmement, un coup d’État contre le gouvernement provisoire a été déjoué. Troisièmement, des opérations spéciales alimentées par le renseignement ont émasculé le groupe terroriste Hezb-e-Islami Gulbuddin (HiG) qui essayait de miner Kaboul. Quatrièmement, l’Armée nationale afghane a accueilli de plus en plus de formateurs et de mentors canadiens et américains pour améliorer sa capacité de concurrencer les factions armées.

Ces étapes ont créé un environnement psychologique positif qui a permis la tenue de la Jirga constitutionnelle et des élections de 2004. C’est seulement à partir de ce moment, en présence d’un gouvernement légitime reconnu internationalement, que les budgets d’aide consentis par divers pays ont pu être disponibles pour la reconstruction. Cet effort était cependant menacé par deux choses.

D’abord, il y avait une faille dans le plan stratégique. Le Canada est donc intervenu, à la demande du gouvernement afghan, et a collaboré avec les Afghans à la préparation d’un plan stratégique pour le pays. L’équipe consultative stratégique Afghanistan (ECS-A) canadienne était un intervenant clé dans cet effort. La stratégie de développement national de l’Afghanistan était le produit de cette planification et elle a été acceptée à la conférence de Londres en 2006 en même temps que la convention sur l’Afghanistan. L’ECS-A a également collaboré à l’établissement d’une fonction publique nationale et à l’amélioration de la capacité du gouvernement. Essentiellement, la SDNA a aidé à faire le lien entre les processus de la sécurité et du développement, et a su identifier les composantes clés du développement qui s’étendaient vers le bas jusqu’au niveau des communautés.
En 2005-2006, le Canada avait fait d’énormes progrès, aux côtés de ses alliés de la coalition, pour empêcher l’Afghanistan de retomber dans son état de 1993-1994. Il y avait maintenant un gouvernement; il y avait un plan; il y avait des budgets de reconstruction; et les menaces pesant sur le gouvernement et le plan étaient réduites le plus possible, en particulier à Kaboul. Il s’agissait de progrès énormes en trois ans, surtout si on considère que l’Afghanistan était essentiellement un environnement post­apocalyptique. Le défi suivant consistait à étendre la présence et l’autorité du gouvernement à l’extérieur de Kaboul. C’est à partir de ce moment que le projet de l’Afghanistan a rencontré de graves difficultés…

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

 



Trois problèmes sont apparus. Premièrement, peu de pays étaient disposés à se joindre à l’effort et à diriger des projets de reconstruction dans les provinces, et l’Afghanistan n’avait pas cette capacité à l’époque. Deuxièmement, il y avait des troubles dans une province clé du sud, Kandahar. Certains pensaient que ces troubles étaient liés aux efforts de développement déséquilibrés qui favorisaient le nord de l’Afghanistan au détriment du sud. Ces troubles ont dissuadé de diverses façons la mise en œuvre de projets internationaux efficaces. Troisièmement, les talibans semblaient reprendre vie dans le sud après s’être reposés et regroupés au Pakistan grâce à de nouvelles sources de financement international.
Il était crucial pour le projet international global que les problèmes à Kandahar soient définis et réglés. Encore une fois, le Canada a choisi de s’engager en faveur de ce plan d’action, cette fois-ci dans le cadre de l’opération Archer. Pour commencer, une équipe de reconstruction provinciale canadienne a été déployée, suivie d’un quartier général de brigade et d’un groupement tactique. Une fois ces éléments déployés sur le terrain, cependant, la situation au plan de la sécurité s’est détériorée et un taliban revigoré, soutenu par le réseau de soutien mondial d’Al-Qaïda, a propagé l’insurrection dans la province. Les objectifs des talibans étaient entre autres d’isoler et de prendre la ville de Kandahar au moyen d’un coup de main ou par foco (focalisme ou révolution par la guérilla – note de l’éditeur). De 2006 à 2009, le Canada a perturbé leurs projets. Les talibans n’ont jamais réussi à isoler la ville, le commerce régional s’est poursuivi sans réduction et les insurgés ont été incapables de prendre le contrôle de la ville.

C’est durant ces trois années que le Canada s’est immergé dans la contre-insurrection et la reconstruction interorganisationnelles dans les districts entourant la ville de Kandahar. Il a rencontré de nombreux problèmes durant cette période. Cependant, aucun de ces problèmes n’a empêché le Canada de perturber les plans des insurgés et de forcer les insurgés à continuellement modifier leurs méthodes.

À noter également que durant cette période, le projet canadien avait un état final fluctuant. Cette fluctuation était le fait, dans une certaine mesure, des politiques d’un gouvernement minoritaire. Il est facile de regarder en arrière et de caractériser cette période, mais à l’époque, les planificateurs canadiens devaient travailler sur une perspective de deux ans, ce qui provoquait une discontinuité substantielle dans les efforts déployés.

Le Canada a également cherché des renforts durant cette période, mais n’a réussi à convaincre aucun de ses alliés de l’OTAN. À la même époque, la politique américaine était en profonde mouvance. Il y avait des problèmes en Irak ainsi que des élections nationales aux États-Unis. Le renforcement du projet de l’Afghanistan à Kandahar n’était pas garanti, mais les efforts du Canada ont fait pencher la balance et, à partir de 2009 et en 2010, les Américains sont venus renforcer massivement les Forces canadiennes dans la province de Kandahar. Le Canada a joué un rôle certain pour amener l’administration américaine à prendre une décision sur le futur plan d’action en Afghanistan à cette époque.
Pendant ce temps, Al-Qaïda était sous pression ailleurs, surtout au Pakistan, et incapable d’organiser de grandes opérations internationales efficaces comme elle le pouvait avant le 11 septembre. L’organisation était incapable de rétablir son infrastructure en Afghanistan et était continuellement attaquée par des véhicules aériens sans pilote (UAV) armés et des plateformes de renseignement/surveillance et reconnaissance (RSR) basées en Afghanistan. Autrement dit, les objectifs stratégiques du Canada datant de la fin de l’année 2001 continuaient de se réaliser en 2010. Al-Qaïda a continué d’être perturbée dans son action. Les talibans et les autres groupes insurgés, cependant, continuaient de nuire au projet de l’Afghanistan de multiples façons.

Ces défis et d’autres encore n’ont que ralenti les efforts de reconstruction sans toutefois les arrêter. Il y a maintenant un système de gouvernance afghan en place. Est-ce qu’il est parfait et incorruptible? Non. Il y a maintenant des forces militaires et de police afghanes qui relèvent du gouvernement national. Sont-elles corrompues et inefficaces jusqu’à un certain point selon les normes occidentales? Oui. Représentent-elles une amélioration par rapport aux bandes armées loyales aux chefs locaux? C’est discutable dans certaines régions. Il n’y avait pas de telles forces il y a dix ans.

La capacité technique des Afghans s’est considérablement améliorée, en particulier au plan de la construction. La prolifération géométrique des compagnies de construction qui reçoivent des contrats du gouvernement afghan, des agences internationales, etc., est à souligner. Est-ce que cette capacité de construction et l’activité connexe sont sans reproches? Non. L’idée de donner un contrat, de quelque nature que ce soit, était impensable en 2001, à plus forte raison à une compagnie de construction afghane disposant de toute une gamme d’équipement lourd. La prolifération continue des biens de consommation, en particulier les appareils électroniques, au niveau du district est un bon indicateur d’une économie qui fonctionne de mieux en mieux. Quelqu’un quelque part se procure ces marchandises et les vend, et quelqu’un les achète12. L’argent de ce commerce vient de quelque part.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photode Reuters RTR4XQO (Anonyme)

Des soldats canadiens traversent un champ de pavot dans le village de Markhanai, le 5 mai 2002

Cependant, les critiques du projet afghan regardent rarement le niveau microéconomique et se concentrent plutôt sur le manque de progrès dans l’économie du pavot, au niveau de la corruption et dans l’égalité entre les sexes. Le niveau de violence croissant est interprété comme signifiant que les choses ne vont pas. Je n’ai pas encore vu une ventilation de cette violence. Quel pourcentage est imputable à l’insurrection et quel pourcentage au commerce? Est-ce qu’une partie de cette violence est imputable à la Pachtounwali ou à d’autres mécanismes de résolution des conflits entre les tribus? Quelle partie est imputable aux rivalités intertribales? À quel endroit tous ces conflits se rejoignent-ils? Il y a de hauts niveaux de violence et corruption dans d’autres pays (par exemple en Colombie et au Mexique), mais il y a encore une économique stable et des progrès sociaux généraux. À ce sujet, aux fins de comparaison, le taux d’homicides de civils au Mexique dans la ville de Ciudad Juárez, à raison de 2 000 par année, se compare au taux d’homicides de civils afghans dans l’ensemble du pays (9 759 morts entre 2006 et 2011)13.

Tout cela pour dire qu’il y a à peine dix ans que les talibans ont été délogés et qu’on a empêché une autre guerre civile d’éclater. L’Afghanistan vient de connaître 20 ans de guerre et a perdu entre 1,5 et 2 millions de ses habitants dans les années 1980 seulement14. Les progrès du projet de l’Afghanistan en si peu de temps sont remarquables lorsqu’on les regarde sans tenir compte des problèmes et défis immédiats et qu’on adopte un point de vue plus général.

N’oublions pas non plus que le projet de l’Afghanistan est la cible d’attaques continues de la part de forces extérieures qui ne veulent pas qu’il réussisse. Je parle ici particulièrement du Pakistan, mais également de ceux qui fournissent des armes aux insurgés. Au cours de mes voyages, j’ai vu des fusils sans recul de 82 mm chinois fraîchement sortis d’usine avec munitions, des RPG iraniens avec projectiles perforants, des composants de détonateurs d’IED fabriqués en série par les Iraniens et des copies pakistanaises de mines antichars italiennes en plastique. Il y a beaucoup trop de critiques visant l’effort international et pas suffisamment à l’égard de ceux qui ont décidé de faire avorter le projet. Ce problème est généralement particulier aux Canadiens en ce que les éléments antiaméricains de notre culture ciblent facilement et critiquent exagérément les activités américaines sans en contrepartie donner une couverture égale au comportement néfaste des autres. Il n’y a pas eu de reportage canadien, et encore moins d’analyse universitaire condamnant l’Iran, la Chine ou le Pakistan pour leur rôle dans le trafic d’armes à destination des insurgés afghans.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo de Stringer Afghanistan, Reuters RTXF64N)

Des talibans dans un lieu non divulgué en Afghanistan, le 8 mai 2009.

N’oublions pas l’origine et la motivation de l’émergence du mouvement taliban. Malgré les affirmations répétées dans les médias que Kandahar est le foyer spirituel des talibans, ce mouvement était au départ une milice à la solde des intérêts économiques de Quetta qui voulait libérer de toute interférence la route 4 entre Quetta et Kandahar pour faciliter le commerce avec les anciennes républiques russes au nord. Par la suite, les talibans ont reçu diverses formes de soutien lorsque des éléments au sein du système de sécurité pakistanais ont compris que si les énergies des Pachtounes étaient dirigées ailleurs, elles ne seraient pas concentrées sur la création d’un Pachtounistan aux dépens du Pakistan. D’autres encore ont accepté l’idée qu’un Afghanistan indépendant pourrait s’aligner avec l’Inde, ce qui aurait des conséquences stratégiques néfastes pour le Pakistan15. Si le motif du soutien aux talibans et aux autres groupes antiafghans est l’émasculation de l’Afghanistan, on pourrait affirmer que le Pakistan se livre au colonialisme et qu’en conséquence, les efforts du Canada pour protéger la population afghane contre cette menace externe sont louables, acceptables au plan moral et efficaces jusqu’à maintenant.

Plus important encore, la variante de l’Islam qui a toujours dominé le sud de l’Afghanistan est le soufisme sunnite. Les musulmans fondamentalistes, qu’ils soient chiites ou sunnites adeptes du wahhabisme, considèrent le mysticisme soufie inclusif comme une hérésie. En fait, les tenants du déobandisme au Pakistan, qui sont étroitement alignés avec les sunnites adeptes du wahhabisme d’Arabie Saoudite et les talibans, sont violemment opposés au soufisme. Les musulmans chiites d’Iran se sont alignés avec les groupes Hazara pour soutenir l’alliance du nord contre les talibans, mais n’ont pas fourni d’armes aux groupes sunnites soufis. Compte tenu de ces faits, on pourrait également affirmer que le Canada protège une minorité islamique modérée contre le nettoyage ethnique ou, plus précisément, un génocide selon sa définition reconnue : la destruction d’une culture16. Même si le gouvernement canadien n’était pas en mesure de comprendre pleinement tous ces enjeux à l’époque, le résultat inattendu reste le même. Nous avons fait ce que nous pouvions pour protéger la population afghane du sud de l’Afghanistan, peu importe le cadre dans lequel nous voulons examiner notre action.

Pour mettre fin aux questions sur le bien-fondé de notre intervention

J’avancerais que l’affaiblissement et la discréditation du mouvement Al-Qaïda à eux seuls valaient l’effort consenti. Cette corporation terroriste avait pris son élan et gagnait en crédibilité dans le monde musulman avant et bien après les événements du 11 septembre. Le succès attire le succès. Cet élan a été stoppé grâce à l’intervention en Afghanistan, laquelle nous a permis d’examiner le mouvement de l’intérieur et de le mettre en fuite. La pression constante exercée sur les restes d’Al-Qaïda au Pakistan par l’entremise de l’Afghanistan, combinée à l’intervention en Afghanistan et à la défaite d’Al-Qaïda en Irak a empêché cette dernière de gagner du terrain dans le contexte du printemps arabe (jusqu’à maintenant) et, du point de vue occidental, l’élimination d’Oussama ben Laden a mis un point final à l’affaire du 11 septembre. Même si on peut discuter de l’impact réel de cette élimination, il reste qu’Al-Qaïda ne terrorise plus psychologiquement l’Ouest de la manière dont elle le faisait en 2001 et en 2002. Si l’élimination d’Oussama ben Laden en 2011 a contribué à ce recul, une mission qui, rappelons-le, a été lancée depuis l’Afghanistan, il faut envisager la possibilité que notre intervention en Afghanistan a obtenu une certaine mesure de succès. Certes, d’autres moyens utilisés par l’administration Clinton, par exemple les tirs de missiles Cruise, se sont révélés inefficaces et les efforts diplomatiques et autres pour séparer ben Laden des talibans n’ont rien donné. La seule façon d’attaquer Al-Qaïda était de s’en prendre à ses installations et à ses chefs en Afghanistan.
En outre, si on applique le raisonnement selon lequel le responsable du problème a aussi la responsabilité de le régler, la communauté internationale avait la responsabilité morale d’aider les Afghans à retrouver l’équilibre dans le monde post-taliban. Les mêmes critiques qui se faisaient entendre au sujet de l’inefficacité des efforts de stabilisation de l’Afghanistan se seraient probablement fait entendre tout aussi fort s’il n’y avait pas eu d’efforts de reconstruction du tout, et que l’Afghanistan était retombé dans le scénario des événements de 1993-1994. Le Canada a choisi de prendre part à ce projet en 2003 et a joué un rôle clé dans la stabilisation de Kaboul et dans le soutien de l’administration transitoire afghane. Les efforts déployés dans ce contexte ont eu des effets positifs mesurables. À Kandahar, le Canada s’est lancé dans une opération de stabilisation et de reconstruction, mais s’est retrouvé la cible d’attaques de plus en plus rusées de la part des insurgés. L’incapacité des insurgés d’atteindre leur principal objectif dans le sud de l’Afghanistan entre 2006 et 2009 à cause de la présence du Canada et de ses activités de perturbation est un élément de succès mesurable. Certes, les progrès réalisés au plan de la reconstruction n’ont pas été ce qu’ils auraient pu ou être. Oui, l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas encore généralisée. Oui, des écoles restent fermées, mais ne rien faire aurait été encore pire. L’effondrement de l’intervention de la coalition à Kandahar aurait condamné le projet international en Afghanistan il y a cinq ans. On voit plutôt que le projet afghan progresse, mais péniblement, cinq pas en avant, trois pas en arrière.

Au cours d’une récente conversation que j’ai eue avec un général à la retraite, nous avons discuté indirectement du mème « Le jeu en valait-il la chandelle? » L’une des manières dont il a essayé de répondre à cette question était de chercher des effets permanents de l’implication du Canada, particulièrement en matière de reconstruction. C’était son critère d’efficacité. Est-il trop tôt pour dire si nous aurons des effets durables? Oui et non. Une route asphaltée a un effet important sur le transport des marchandises; un effet mesurable. N’oublions pas que les idées suivent également les routes qui serpentent dans les régions rurales qui étaient précédemment coupées de l’influence de la société en général. Il faudra des années, sinon des dizaines d’années, pour mesurer l’impact de cette influence. Nous n’avons peut-être pas réussi à obliger les Pachtouns à changer de vue sur l’égalité homme-femme conforme aux valeurs canadiennes. Mais comment savoir si quelque part, une jeune fille afghane qui a eu une rencontre positive avec des soldats féminins du Canada ne décidera pas de rompre avec le système sociétal afghan ou même de le défier? Nous ne savons tout simplement pas encore à ce stade-ci.

Je veux simplement dire que le Canada, par ses contributions au projet international en Afghanistan, a fait ce qu’il a pu pour préparer les Afghans à connaître du succès. Ce que les Afghans choisiront de faire (et ils sont parfaitement capables de prendre les décisions de cette nature) avec tout le soutien offert est une autre question. Leur capacité en tant que société de continuer sur cette trajectoire ou de retomber dans le chaos est entre leurs mains, pas les nôtres. L’héritage durable de l’implication du Canada en Afghanistan devrait se composer d’un amalgame de ces aspects. On est loin de la Seconde Guerre mondiale et des défilés du jour de la victoire. L’héritage permanent du Canada à l’occasion de cette guerre aurait pu être décrit, avant 1990, non seulement comme la destruction du totalitarisme nazi, mais également comme une Allemagne détruite et divisée et un monde au bord de l’holocauste nucléaire pour l’accès à Berlin. Après 1990, la situation a changé un peu. L’héritage durable est maintenant une Allemagne pacifiste et unifiée possédant une croissance économique immense et le niveau de vie le plus élevé au monde. On ne peut prévoir avec certitude ce que sera l’Afghanistan dans 20 ou 40 ans. La réponse à la question « Le jeu en valait-il la chandelle? » est, de bien des façons, nécessairement provisoire, prématurée et politiquement motivée.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo du sergent Matthew McGregor, MDN IS2011-1013-31

Le caporal Marie-Anne Hardy, entourée d’enfants afghans alors qu’elle prend une pause pendant une fouille de champs et d’enclos en début de matinée, le 4 juin 2011.

 

Notes

  1. Un mème est une idée, un comportement ou un style qui se répand de personne en personne au sein d’une culture ~ note de l’éditeur
  2. Cross Country Check Up, 10 juillet 2011, « Canada’s Combat Role in Afghanistan Ends… . Was it Worth It? ».
  3. Thane Burnett, « War Wounds: Polls Suggest we don’t feel Afghanistan Mission was Worth It » dans The Ottawa Sun, 4 août 2011.
  4. « The Afghanistan War: Was it Worth It? » dans The Socialist Worker, numéro 533, août 2011.
  5. Paul Koring, « Was it Worth It? Canadians Reflect on the War in Afghanistan » dans The Globe and Mail, 6 février 2012.
  6. (20 novembre 2007) Bibliothèque du Parlement, « Afghanistan : Chronologie des faits marquants au Parlement canadien »; (février 2008) CBC News, « The Afghan Debate: Where the Parties Stand on the Deployment of Troops »; Hansard, 16 avril 2007; www.ndp.ca « Debate Fact Check: Duceppe Wrong on NDP Afghan Vote ».
  7. Rosie DiManno, « Little Reason to ask if of the Afghanistan Mission is worth it » dans The Toronto Star, 8 juillet 2011.
  8. Koring, « Was it Worth It? ».
  9. Sean M. Maloney, « On a Pale Horse? Conceptualizing Narcotics Production in Southern Afghanistan and its relationship to the Narco-Terror Nexus » dans Small Wars and Insurgencies, vol. 20, numéro 1, 2009.
  10. George Tenet, At the Center of the Storm: My Years at the CIA, New York, Harper Collins, 2007, chapitre 14.
  11. Voir Osama bin Laden, Messages to the World: The Statements of Osama bin Laden, London, Verso Press, 2005, et Anonymous (Mike Sheuer), Through Our Enemies’ Eyes: Osama bin Laden, Radical Islam, and the Future of America, Washington DC, Brassey’s, 2002, pour une description des objectifs d’Al-Qaïda.
  12. D’après les observations de l’auteur dans les districts de Panjwayi et de Zharey sur une période de cinq ans.
  13. Voir June S. Beittel, « Mexico’s Drug Trafficking Organizations: Source and Scope of Rising Violence », Congressional Research Service, 7 janvier 2011, et http://www.guardian.co.uk/news/datablog/2010/aug/10/afghanistan-civilian-casualties-statistics#data (d’après des données de l’ONU) pour l’Afghanistan.
  14. Voir Stéphane Courtois et al, Le livre noir du communisme, Paris, R. Laffont, 1998, pour une ventilation des souffrances que l’Union Soviétique a infligées aux Afghans.
  15. Voir Zhaid Hussain, Frontline Pakistan: The Struggle with Militant Islam, New York, Columbia University Press, 2007, et Neamatollah Nojumi, The Rise of the Taliban In Afghanistan: Mass Mobilization, Civil War, and the Future of the Region, Londres, Palgrave publishing, 2002 sur les origines des talibans.
  16. John R. Schmidt, The Unraveling: Pakistan in the Age of Jihad, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011, chapitre 3.

 

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Introduction

En 2012, la direction de l’Université du Manitoba m’a invité à donner une conférence sur les opérations canadiennes en Afghanistan, en particulier du point de vue des grands enjeux de l’intervention canadienne et occidentale dans ce pays au cours des 20 dernières années. J’ai donc préparé une présentation fondée sur mes travaux préliminaires touchant l’histoire de l’Armée canadienne en Afghanistan entre 2001 et 2011, c’est-à-dire le projet dont je m’occupe actuellement pour l’Armée canadienne. J’ai cependant réalisé, au cours de cette présentation et par la suite, que la conférence que j’avais préparée était trop détaillée et présumait une trop grande connaissance du sujet de la part des membres d’un public diversifié. Le temps me manquait pour définir un terrain commun pour moi et le public. De plus, durant des conversations informelles à l’occasion de mes rencontres dans divers lieux avant et après ma conférence, il m’est apparu clairement que beaucoup des gens que je rencontrais s’intéressaient avant tout à un complexe politico-médiatique particulier, et ce, sans égard à toute nouvelle information ou à toutes pistes que j’étais en mesure de fournir en raison de mon niveau d’accès à l’information sur la guerre en Afghanistan, tant sur le plan de la documentation que sur le plan de l’expérience personnelle que j’ai acquise à l’occasion des dix déploiements en opération auxquels j’ai participé entre 2003 et 2011.
J’ai évidemment été surpris qu’un mème1 des médias puisse dominer à ce point au sein d’un groupe d’universitaires et de spécialistes. J’ai été formé selon une tradition universitaire où les idées sont débattues et la quête de points de vue différents, de nouvelles informations et de perspectives inédites est au cœur de la profession. Habituellement, il s’agit d’un processus litigieux, mais professionnel. Généralement, le mélange de ces éléments confirme nos préjugés ou crée un genre de nouvelle synthèse qui lance une autre ronde de discussions. Je n’ai pas constaté ce même processus à l’occasion de ma présentation sur l’Afghanistan. J’ai plutôt vu des opinions fermement arrêtées sur l’implication du Canada en Afghanistan, des opinions qui faisaient abstraction des faits présentés par une personne chargée de comprendre notre implication dans un pays démographiquement endommagé et presque postapocalyptique. Ces opinions étaient conditionnées par les modèles de recherche existants sur la manière dont le Canada se comporte habituellement ou s’est comporté par le passé ou devrait se comporter sur la scène internationale, ainsi que par l’information diffusée par les médias. Cependant, aucun de ces modèles n’explique adéquatement ou plus que très superficiellement la raison pour laquelle le Canada est allé en Afghanistan et ce que les Canadiens y ont fait. Certainement aucune mesure de « valeur » n’a été présentée jusqu’à maintenant qui soit susceptible de faire consensus.

 

Un monument commémorant la tragique perte de 55 573 hommes du Bomber Command provenant du Commonwealth et de pays alliés pendant la Deuxième Guerre mondiale a été inauguré dans Green Park, à Londres, le 28 juin 2012. Sa Majesté la Reine Elizabeth II a dévoilé une statue de bronze représentant sept membres d’équipage du Bomber Command debout au milieu d’une structure. Le toit est fabriqué d’aluminium récupéré d’un bombardier Handley Page Halifax III canadien du 426e</sup> Escadron abattu au-dessus de la Belgique le 12 mai 1944. Ses huit membres d’équipage y ont perdu la vie et figurent parmi les 10 659 aviateurs canadiens qui ont péri en servant au sein du Bomber Command pendant la guerre. Le monument rend également hommage aux gens de tous les pays qui ont succombé pendant les campagnes de bombardement de 1939 à 1945.

Photo de Finbarr O'Reilly, Reuters RTR1RC4Y

Un soldat canadien tourne le dos à un hélicoptère Blackhawk qui décolle de la base d’opérations avancée de Ma’sum Ghar, le 1er juillet 2007.

 

Le mème

Le mème « Le jeu en valait-il la chandelle? » est apparu en juillet 2011 au moment où le Canada mettait fin à ses opérations dans le sud de l’Afghanistan. L’idée de se questionner sur la valeur des opérations du Canada en Afghanistan n’était pas nouvelle : les critiques de la mission, en particulier ceux appartenant au Nouveau parti démocratique (NPD) et ceux sensibles aux pertes, posaient les mêmes questions à l’automne 2006 et à nouveau au printemps 2007. La différence, en 2011, était que l’opération Athena était terminée et qu’il était naturel de regarder en arrière pour voir le chemin parcouru par le Canada après de si nombreuses années. Aucun commentaire détaillé n’a été diffusé sur ces questions par le gouvernement Harper, pas plus que par les bureaucrates non élus. Le mème « Le jeu en valait-il la chandelle? » est, essentiellement, une création des médias et de leurs compagnons d’armes, les sondeurs.

La fin de la mission à Kandahar en Afghanistan et l’annonce publique que la fin de cette mission mettait un terme aux opérations de combat du Canada en Afghanistan ont amené la Canadian Broadcasting Corporation à poser la question « Le jeu en valait-il la chandelle? » durant son programme intitulé Cross-Country Checkup du 10 juillet 20112. Le Ottawa Sun a commandité un sondage à la firme Léger Marketing et l’a publié dans son édition du 4 août 2011; 30 % des personnes interrogées pensaient que oui, le jeu en valait la chandelle, tandis que 58 % étaient d’avis que nos objectifs n’étaient pas atteints au moment où nous avons « quitté » l’Afghanistan à l’été 20113. Le National Post a ensuite publié un long article à ce sujet le 8 août 2011, à l’instar d’autres publications moins importantes comme le Socialist Worker4. En l’espace d’environ quatre semaines, la majorité des médias canadiens ont posé la même question, de la même manière, mais seulement quelques-uns d’entre eux y ont répondu, et ce, en se référant à eux-mêmes.

Ensuite, ce mème a amorcé une phase de dormance avant de refaire surface dans la couverture médiatique précédant le jour du Souvenir en novembre 2011. Comme il s’agissait du premier jour du Souvenir depuis la fin des opérations de combat en Afghanistan, presque tous les médias ont jugé pertinent de reposer la même question. Après une autre période de dormance, Paul Koring, du Globe and Mail, a réactivé le mème dans son article du 6 février 2012 exposant l’opinion de l’ex-ambassadeur Chris Alexander, de l’ancien commandant du Commandement de la Force expéditionnaire canadienne (COMFEC), le lieutenant-général Michel Gauthier, du détenu et critique Amir Attaran, de l’ancien chef de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), Nipa Bannerjee, de l’activiste antiguerre Raymond Legault et du colonel à la retraite Pat Stogran, commandant du contingent canadien de l’opération Apollo en 20025.

Les divers médias, à l’unisson, posaient la même question encore et encore : « Le jeu en valait-il la chandelle? ». Aucun ne fournissait d’explications supplémentaires sur ce qu’ils entendaient par « valeur ». Tous sous-entendaient, sans le dire clairement au départ, que ce qu’ils entendaient par « valeur » était le nombre de Canadiens ayant perdu la vie. Certains avançaient le coût estimatif de notre implication, mais il était évident qu’ils voulaient vraiment utiliser le nombre de morts comme critère d’efficacité.
Tout au long du conflit, les médias canadiens sont restés obnubilés par les cérémonies de débarquement des dépouilles et par les morts et blessés canadiens, à l’exclusion presque totale de tout autre sujet concernant l’Afghanistan. Cette couverture médiatique des morts canadiens a eu un effet direct sur le chef de l’opposition et sur ses demandes répétées de retrait du Canada en 2006, puis à nouveau en 2007. M. Layton a expressément mentionné les pertes canadiennes comme principal motif de son opposition à la poursuite des opérations de combat6. Il n’est pas surprenant que les médias, et les critiques de l’implication canadienne, souhaitent utiliser leurs propres critères d’efficacité lorsqu’ils analysent la « valeur » de la participation du Canada à la guerre en Afghanistan.
Ce mème se définit donc comme suit :

  • L’implication du Canada en Afghanistan a entraîné des pertes chez les Canadiens et la dépense de beaucoup d’argent des contribuables.
  • Aucun progrès réel n’a été accompli.
  • Le Canada s’est retiré en 2011.
  • Le jeu en valait-il la chandelle?

Ce mème ressort clairement de l’échantillonnage de médias suivant : CBC, The Sun, The National Post, The Globe and Mail, et est exprimé ouvertement dans The Socialist Worker.
C’est donc ce mème qui constitue notre point de départ commun. Il existe certaines divergences d’opinions ici et là (p. ex., Rosie Dimanno dans le The Toronto Star7) et les opinions minoritaires exprimées dans l’article de Koring8) mais, en grande partie, c’est ce mème qui a été diffusé abondamment et largement dans les médias canadiens entre juillet 2011 et février 2012. De plus, il tendait à dominer le système de croyances d’une majorité du large éventail de personnes que j’ai rencontrées à l’occasion de cette conférence, qu’elles soient en faveur ou contre la participation canadienne.

 

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo de Jorge Sila, Reuters RTX1YA6

Des soldats canadiens dorment alors qu’une fusée éclairante brûle dans le ciel pendant une opération spéciale à Sanjaray, dans la province de Kandahar, le 18 mai 2009.

Critères d’efficacité (CE)

Les CE de la guerre en Afghanistan ont tourmenté presque tous les quartiers généraux de la Force opérationnelle interarmées Afghanistan que j’ai visités à compter de 2006 et par la suite, en particulier lorsque nous avons entrepris la phase de contre-insurrection au niveau des provinces et des districts en 2007. Une combinaison de bureaucrates d’Ottawa et de représentants des médias a relié l’idée « d’efficacité » au concept de « progrès ». Si nous « progressions », nous étions « efficaces ». La question était de choisir quels aspects examiner : développement et reconstruction, détenus, etc. Je ne veux pas ici examiner en détail la propension historique en faveur du « progrès » en Occident au XIXe siècle, même si elle a certainement exercé une influence, au même titre que la méthode scientifique et la prouvabilité. L’idée que l’insurrection s’aggravait parce qu’il n’y avait pas assez de développement était en faveur chez un certain nombre de commentateurs, mais peu d’entre eux étaient en mesure d’apporter des données à l’appui de leur opinion.

J’avancerais également que la culture nord-américaine largement tributaire du sport a un besoin très profondément ancré de tenir le pointage pour savoir qui gagne et qui perd. Beaucoup frissonnent, à juste titre, à l’idée d’utiliser le décompte des cadavres comme mesure des progrès accomplis durant la phase américaine de la guerre du Viêt-nam. C’est pourtant ce décompte qu’utilise le mème comme CE – en l’occurrence un décompte des victimes du côté du Canada seulement. Non pas un décompte comparatif des victimes canadiennes et des victimes ennemies. Uniquement les victimes canadiennes… L’idée que le Canada pouvait livrer une guerre sans effusion de sang dépasse l’entendement. Devant l’horreur de certains Canadiens face au nombre relativement peu élevé de morts canadiens, il est probable que certains ont peut-être même commencé à éprouver de la pitié pour l’ennemi dans la mesure où le rapport des morts canadiens aux morts insurgés est peut-être de 1/20 à 1/50, ou même plus.

Le mème n’aime pas utiliser le nombre d’écoles construites et occupées comme critère d’efficacité, mais ceux qui sont contre le projet canadien en Afghanistan aiment mentionner le nombre de champs de pavot destinés à la fabrication d’opium. Mais encore là, ils n’aiment ce critère que si la discussion repose sur les chiffres de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), pris hors contexte, pour s’assurer que ces chiffres montrent une croissance exponentielle chaque année. Année après année, les journaux et autres médias utilisent sans s’en rendre compte pratiquement les mêmes manchettes à ce sujet9.

Le manque de « progrès » devient cependant le principal point litigieux pour les observateurs attentifs du conflit. Ils ne définissent jamais ce qu’est le progrès, mais sous-entendent encore une fois qu’il suppose une réduction du niveau de corruption et du niveau de violence. L’argument invoqué est donc que lorsque la production de drogue, la corruption et la violence tendent toutes à la hausse, il n’y a pas de progrès. Cet argument repose sur le fait que des réductions dans tous ces domaines sont nécessaires pour réduire la « violence » et que cette réduction va miraculeusement conduire à la reconstruction et à la fin du conflit. Apparemment, le « progrès » ne peut exister en dehors de ces catégories. Pas plus qu’il ne pouvait vraiment y avoir de progrès graduels dans ces domaines. Le progrès devait être majeur et immédiat. Il fallait également que ce progrès majeur soit compréhensible pour le Canadien moyen, ou il ne comptait pas.

Le lien entre le caractère immédiat et le progrès est fort. Il faut des résultats maintenant ou le progrès n’est pas suffisant. Ou encore, notre période d’attention est courte : si le progrès n’est pas accompli entre maintenant et le moment où notre attention se déplace, il n’y a alors pas de progrès. Il n’y a pas de place à l’erreur dans ce monde parfait des critiques, pas de place pour les écueils ni pour l’inefficacité qui se crée au sein de ce qui est supposé être une « machine parfaite », et ce, en raison du fait que nous dépensons autant d’argent pour la faire marcher. Parfait, critique, consumériste… il n’est pas surprenant que les critiques de l’implication du Canada en Afghanistan cherchent des critères de mesure simplistes qui renforcent leurs préjugés.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo decaporal Dan Shouinard, MDN KA2005-R105-0163d

Un chef de char de l’Escadron B, du Royal Canadian Dragoons, membre de l’escadron de reconnaissance de la Brigade multinationale de Kaboul (BMK), reçoit un appel sur la route vers Sarobi, en Afghanistan, le 16 mars 2005.

Un des critères d’efficacité dont nous disposons, dans le domaine public, est la Stratégie de développement national de l’Afghanistan (SDNA). Cette stratégie, qui remonte aux années 2005 et 2006, énonçait des objectifs essentiels combinés à un échéancier. Reposant sur un partenariat entre Afghans et Canadiens, la stratégie s’appuyait sur les leçons durement apprises en Bosnie. Je n’ai pas vu un seul produit des médias canadiens qui explique la SDNA et son importance pour les Canadiens. Pour faire connaître cette stratégie, j’ai affronté un journaliste à Kandahar en 2007 et à nouveau en 2008. Je l’ai mis au défi, lorsqu’il proclamait que le Canada n’avait pas de stratégie et aucun objectif, d’aller se renseigner sur le site Web de la SDNA. Est-ce qu’un article explicatif a fait suite à notre confrontation? Non. Il était plus facile de compter les morts canadiens, un peu comme le pointage d’une partie de hockey funeste, que d’expliquer qu’il y avait maintenant un plan stratégique dans un environnement presque postapocalyptique et qu’en soi, c’était toute une réalisation et que cette stratégie ouvrait la porte à des améliorations, était axée sur cet objectif et l’a atteint. Malheureusement, la planification stratégique est un sujet ennuyeux. Et les gens qui fréquentent les médias veulent être divertis. La mort, la violence et le sensationnalisme divertissent. Par contre, le fait de créer une stratégie qui va procurer des structures de gouvernance aux Afghans pour que la communauté internationale soit plus encline à fournir des budgets pour la reconstruction n’est pas particulièrement divertissant, ni excitant. Voilà le défi qui se présente à nous : comment aller au-delà du complexe morbide du décompte des morts créé par nos médias, avec la complicité de la société, pour trouver un moyen d’expliquer ce que nous avons accompli en Afghanistan d’une manière qui est à la portée du Canadien moyen?

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo du caporal Lou penney, MDN APD02 5000-149

Des éclaireurs du groupement tactique du 3e Bataillon, Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, se déplacent dans un ravin pendant l’opération Anaconda et fouillent des grottes à la recherche de talibans et de combattants d’Al-Qaïda, le 15 mars 2002.

Approches universitaires

J’aurai cru que la communauté des universitaires se serait levée pour essayer de relever ce défi, en particulier durant ce conflit. Globalement, elle ne l’a pas fait. La question « Le jeu en valait-il la chandelle? » s’est rapidement transformée en « Aurions-nous dû même y aller? », une créature connexe du mème créée par les médias. Chez les universitaires que j’ai interrogés durant la conférence, j’ai généralement constaté que l’intervention canadienne en Afghanistan était interprétée à l’aulne des préjugés et des approches existants, et qu’elle n’était pas vue comme une série d’événements unique méritant une analyse détaillée par des spécialistes. J’ai identifié trois grands points de vue chez les universitaires.
Il y a d’abord le point de vue « rester chez soi » ou « isolationniste ». Cette approche repose sur une analyse coût-bénéfice simpliste qui comptabilise les pertes canadiennes et les sommes investies et les compare à l’état de l’Afghanistan aujourd’hui tel que présenté par les médias et dans divers rapports de groupes de réflexion et d’organisations internationales. La situation est mauvaise en Afghanistan, nous avons suffisamment dépensé, nous devrions quitter, ou, nous n’aurions pas dû nous y déployer au départ. Cette opinion a tendance à provenir du Québec et fait écho aux voix qui se sont opposées à la Première et à la Seconde Guerres mondiales.

Les faiblesses évidentes de cet argument découlent de sa simplicité. L’argument ne tient pas compte de la détérioration progressive de la situation en Afghanistan, laquelle n’est vraiment largement apparue que vers 2005-2006. Il évite toute analyse des intérêts ou valeurs canadiens et du rôle qu’ils jouent dans la prise de décision. Il ne tient pas compte du rôle de la crédibilité dans les affaires internationales. Essentiellement, c’est une approche adolescente des relations internationales.

Deuxièmement, il y a le point de vue de la « suprématie de l’ONU ». En vertu de ce concept, les États-Unis d’Amérique sont le « démon » et ne doivent pas être autorisés à agir unilatéralement afin de les empêcher de se comporter illégalement aux yeux de la Cour pénale internationale. Le Canada doit se distancier des États-Unis pour éviter d’être infecté par ce « démon ». Par conséquent, le Canada n’aurait dû s’impliquer en Afghanistan que dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies et des organisations contrôlées par elle.
Encore une fois, le mythe du gardien de la paix canadien au sein de l’ONU est actif dans cette opinion et se manifeste sous le couvert des critiques extrêmes exprimées contre les États-Unis en raison de leurs politiques de restitution extraordinaires, de Guantanamo, d’Abou Ghraib, de la théorie de la conspiration du pétrole, etc. De ce point de vue, la seule manière de protéger les valeurs canadiennes est d’œuvrer sous l’égide de l’ONU, et le Canada ne peut être sauvé que par les bons soins de l’ONU.

Troisièmement, il y a le point de vue des relations canado-américaines, lequel se présente sous plusieurs formes. Les universitaires canadiens ont créé une industrie de l’analyse des relations canado-américaines qui remonte aux années 1950, mais qui a connu son âge d’or dans les années 1960 et 1970, à l’époque où le nationalisme de bas niveau propagé par le régime Trudeau cherchait à identifier et à grossir le plus grand nombre possible de différences entre le Canada et les États-Unis. Dans beaucoup de cas, il est plus facile de considérer le « Canada en Afghanistan » comme une extension du « Canada et des États-Unis » que d’examiner en profondeur la pléthore de motifs bureaucratiques et émotifs susceptibles d’avoir joué un rôle dans la décision du Canada de s’impliquer en Afghanistan.

Il existe trois variantes de l’approche des « relations canado-américaines ». Premièrement, il y a la variante liée au commerce. La vaste majorité du commerce canadien se fait avec les États-Unis d’Amérique et il est du devoir du Canada d’avancer aux côtés des États-Unis dans le cadre d’un bloc nord-américain. Deuxièmement, il y a la variante qui laisse entendre que le Canada a été forcé, subtilement, de prendre le parti des États-Unis pour renforcer la crédibilité de la coalition. Troisièmement, il y a la variante de solidarité, un genre de sentiment de « confrérie des armes/tous ensemble pour la patrie ».

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo du caporal-chef Brian Walsh, MDN KA2004-A073D

Le lieutenant-général Rick Hillier, commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), parle avec le sergent Gaétan Cyr du 3e Bataillon, Royal 22e Régiment, à Kaboul, le 14 février 2004.

Finalement, il y a la théorie de la guerre personnelle de Hillier selon laquelle l’ancien chef d’état-major de la Défense, Rick Hillier, a plus ou moins entraîné le gouvernement canadien de plus en plus profondément dans l’aventure afghane pour des motifs douteux associés à la solidarité américaine ou pour amener les Forces canadiennes à exécuter des opérations de combat, quelles qu’elles soient, pendant que le ministère des Affaires extérieures essayait vaillamment de le retenir.

Dans aucune de mes conversations le nom Al-Qaïda n’a été évoqué, sauf lorsque je lançais une discussion sur les événements du 11 septembre et sur la longue histoire de la guerre d’Al-Qaïda contre son « ennemi direct » et son « ennemi par association » remontant au début des années 1990. L’ennemi était presque toujours étiqueté « taliban » sans qu’aucun lien ne soit fait entre les deux ou avec aucune autre organisation. Aucun lien n’était certainement établi entre les attaques du 11 septembre et la présence d’Al-Qaïda en Afghanistan. Le sujet du rôle du Pakistan dans tous ces événements n’était pas davantage abordé autrement que minimalement.

Aucun de mes interlocuteurs n’a mentionné la défense ou la protection des valeurs canadiennes ou le fait que les valeurs d’Al-Qaïda et des talibans étaient diamétralement opposées aux valeurs canadiennes. Certains de mes interlocuteurs ne concevaient absolument pas que l’ennemi représentait plus qu’une simple menace terroriste locale à la reconstruction. C’est même seulement lorsque j’ai présenté ce raisonnement qu’un universitaire a rejeté toute implication en Afghanistan parce que pour lui, les talibans et Al-Qaïda ne constituaient pas une menace « existentielle » pour le Canada.

Personne n’a mentionné, de près ou de loin, quelque impératif humanitaire que ce soit ni le fait que l’Afghanistan était le pays le plus pauvre sur terre et le plus endommagé dans sa démographie et ses infrastructures. Pas plus qu’il ne valait la peine de mentionner que le Canada venait en aide aux Afghans et à l’Afghanistan.

La réalité complexe

Dans une large mesure, ni les médias ni les universitaires n’ont vraiment examiné en profondeur l’hypothèse selon laquelle le Canada a fait des choix pour s’engager profondément en Afghanistan au cours de la période de dix ans à l’étude et que les décisions prises à cet égard étaient peut-être fondées sur ses intérêts et ses valeurs. En général, l’idée que le Canada agit indépendamment est louangée lorsque ce comportement s’oppose aux décisions américaines. L’idée que le Canada choisit indépendamment de prendre le parti des États-Unis et de les accompagner est habituellement écartée sous la rubrique générale de la coercition. Peut-être devrions-nous envisager un autre point de vue : que le Canada a fait le choix et, dans le cas de l’Afghanistan, à plusieurs reprises et à différents moments, de rester engagé et que ces décisions ont été prises en raison de la nature de plus en plus vacillante du projet international d’aide à l’Afghanistan. Cette idée présuppose également que notre participation au projet international en question reflétait aussi, d’une certaine manière, notre système de valeurs.

Nous devrions peut-être aussi envisager la possibilité qu’il y avait un concept subjacent de crédibilité nationale et internationale qui a joué dans la nature progressive de notre implication en Afghanistan. Nous nous sommes engagés dans une cause. Cette « cause » était importante pour nous pour diverses raisons et nous avons plusieurs fois réitéré notre engagement à préserver la crédibilité canadienne dans le système international, ainsi qu’à maintenir la crédibilité du projet de l’Afghanistan. Je pense que l’argument voulant que le Canada a fait tout cela dans le seul but de développer ou de cultiver sa crédibilité auprès des États-Unis est beaucoup trop restrictif.
D’après mon analyse, l’implication du Canada en Afghanistan est passée par plusieurs phases.

  1. Opération Apollo, 2001-2002 : déploiement d’un groupement tactique dans le sud de l’Afghanistan dans le cadre de l’opération Enduring Freedom menée par les Américains.
  2. Opération Athena, 2003-2005 : le Canada a été le chef de file dans la prise en charge par l’OTAN du projet international en Afghanistan dans la région de Kaboul et dans la conversion de la mission de la FIAS menée par les Européens en une mission dirigée par l’OTAN.
  3. Opération Argus, 2005-2008 : le Canada encadre l’Afghanistan dans la création d’une stratégie de dévelop­pement national et de structures de gouvernance basées à Kaboul. Il s’agissait d’une entente bilatérale entre l’Afghanistan et le Canada.
  4. Opération Archer, 2005 : le Canada accepte la responsabilité de l’équipe de reconstruction provinciale (ERP) à Kandahar et travaille à identifier les grands problèmes qui nuisent à la province. Au départ, cette opération se déroulait dans le cadre de l’opération Enduring Freedom, mais est passée sous l’égide de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en août 2006.
  5. Force opérationnelle multinationale (CTF) Aegis et Force opérationnelle (FO) Orion, 2006 : l’opération Archer est renforcée au moyen de forces de combat au moment où la situation se détériore dans la province de Kandahar, jusqu’à ce que la phase d’expansion de l’étape III soit terminée à l’été 2006 et jusqu’à ce que la mission soit prise en charge par l’OTAN.
  6. Opération Athena, 2006-2011 : Cette mission de contre-insurrection se poursuit pendant que le Canada organise une campagne de perturbation sous les auspices de la FIAS pour prévenir l’interférence des insurgés dans la reconstruction et le développement des capacités. Après une opération de perturbation de trois ans, les Forces canadiennes ont été progressivement relevées sur place par les forces américaines en 2010-2011.
  7. Opération Attention, 2011-2012 : la mission en Afghanistan se transforme en une mission de mentorat et de formation auprès de l’Armée nationale afghane, surtout à Kaboul.
Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo du caporal Dan Shouinard, MDN KA2005-R105-0156d

Le déploiement s’éternise? Un commandant de char du Royal Canadian Dragoons avance ses lèvres pour faire un baiser à un habitant de la région à Sarobi, en Afghanistan, le 16 mars 2005.

 

Le déploiement s’éternise? Un commandant de char du Royal Canadian Dragoons avance ses lèvres pour faire un baiser à un habitant de la région à Sarobi, en Afghanistan, le 16 mars 2005.

Pour mesurer l’efficacité de ces missions, il faut comprendre les objectifs fixés au départ. C’est seulement à partir de là qu’on peut se demander si ces objectifs étaient réalistes, compte tenu des circonstances, des ressources et de la connaissance que nous avions à l’époque. Cela est bien différent d’un décompte des cercueils sortant d’un aéronef à la BFC Trenton ou du brandissement du rapport annuel sur les narcotiques de l’ONUDC comme s’il s’agissait d’une chemise ensanglantée. Bien différent également des plaintes de corruption...

Les principaux objectifs du Canada se réduisent à deux choses, premièrement, la suppression du bouclier taliban qui protégeait le parasite Al-Qaïda qui se nourrit des talibans. À partir du moment où le gouvernement taliban et ses forces sont écartés, il est possible de faire des progrès dans l’attaque d’Al-Qaïda mondialement. Deuxièmement, Al-Qaïda a développé sa relation parasitique avec les talibans à cause des conditions perturbatrices de guerre civile qui existaient en Afghanistan après l’effondrement du gouvernement Najibullah en 1993. Le deuxième objectif du Canada était de s’assurer qu’Al-Qaïda et d’autres groupes terroristes mondiaux ne pouvaient plus utiliser le territoire d’Afghanistan pour mener leurs opérations et la reconstruction était le moyen de le réaliser. Fondamentalement, ces objectifs canadiens sont restés actuels pendant toute la présence des Forces canadiennes sur le terrain en Afghanistan.

Ces objectifs ont été fixés après l’examen de la direction que prenait l’opération américaine Enduring Freedom en novembre 2001. L’objectif stratégique de l’ensemble de l’opération était l’organisation Al-Qaïda. Personne ne savait ce qu’Al-Qaïda allait faire ensuite. Il y avait plus de trente installations d’Al-Qaïda en Afghanistan : instruction, communications et recherche. La seule façon de savoir ce que préparait Al-Qaïda était de la surveiller, de saisir ses installations et capturer son personnel clé, et d’en extraire tous les renseignements possibles pour se former une image globale plus vaste des activités de cette organisation. Le Canada a fourni des forces en Afghanistan et ailleurs dans le cadre de cette entreprise.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo de Ho New, Reuters RTRNYSY

Image fixe d’après une archive vidéo montrant Osama Ben Laden et son bras droit, Ayman al-Zawahri, dans un lieu non identifié qui doit être une base d’Al Qaïda en Afghanistan, le 21 mai 2003.

 

Essentiellement, l’opération Enduring Freedom a retiré le bouclier taliban et a forcé Al-Qaïda à s’enfuir d’Afghanistan. Les installations de cette dernière ont été exploitées très avantageusement par les forces de la coalition. De nombreuses attaques semblables à celles du 11 septembre qui étaient en cours de planification ont été tuées dans l’œuf, au même titre que des plans d’acquisition d’armes ou de matériel biochimiques et nucléaires. En fait, il n’y a pas eu d’autre attaque d’Al-Qaïda de la même envergure que celle du 11 septembre 2001, même si plusieurs attaques de cette nature étaient en cours de planification10. Ce seul accomplissement devrait être considéré comme un énorme succès, mais il a été amoindri par l’excitation entourant la préparation du conflit en Irak par les Américains. En effet, la crédibilité affaiblie d’Al-Qaïda aujourd’hui et son inefficacité à détourner concrètement le printemps arabe jusqu’à maintenant sont directement attribuables à l’opération Enduring Freedom en Afghanistan, combinée à la destruction d’Al-Qaïda en Irak. Le Canada a participé aux efforts de la coalition en Afghanistan. Les objectifs d’Al-Qaïda, énoncés par Oussama ben Laden, n’ont pas encore été atteints, dix ans après les événements du 11 septembre et presque vingt ans après le début des opérations d’Al-Qaïda11.

Durant les premières phases des opérations contre Al-Qaïda, il est devenu de plus en plus évident aux planificateurs et représentants du Canada à Tampa (Floride) (où se trouve le US Central Command) ainsi qu’à leurs homologues d’autres pays du Commonwealth, que les plans des Américains n’avaient pas prévu clairement ce qui est arrivé après la phase d’exploitation. De façon générale, les chefs politiques américains ont collaboré avec d’autres partenaires internationaux pour établir le processus de Bonn, qui était censé jouer un rôle important dans la reconstruction. L’opération Enduring Freedom a changé de direction quelque part en 2002-2003 pour se réorienter plus particulièrement sur l’Irak et la Corne de l’Afrique.

Les raisons du réengagement du Canada en Afghanistan étaient nombreuses et compliquées, cette fois-ci sous les auspices de la Force internationale d’assistance à la sécurité. Aux fins de notre discussion, cependant, la mission de la FIAS était tombée en panne en 2003 et personne ne voulait en assumer la direction. Le gouvernement provisoire d’Afghanistan s’enfonçait sous le poids d’innombrables problèmes : il n’avait aucune crédibilité auprès de ceux qui possédaient les armes lourdes et des armées des factions, et n’avait aucune légitimité auprès de la population. Il n’y avait pas de bureaucratie pour accepter les sommes données par les donateurs internationaux pour la reconstruction. En réalité, la possibilité d’un retour à l’état des années 1993-1994 était très réelle en 2003. Et, comme nous nous en souvenons, la création du mouvement taliban en 1996 était une conséquence directe de ces conditions au départ.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photodu corporal-chef Brian Walsh, MDN KA2003-A344A

Le major-général Andrew Leslie, commandant adjoint de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), dans un véhicule blindé léger (VBL III) avant le départ de Camp Julien pour la zone d’opérations du Canada à Kaboul, le 30 octobre 2003.

 

Dans une campagne formulée par le major-général Andrew Leslie, à l’époque, et son état-major, la FIAS dirigée par l’OTAN, mais dominée par le Canada a atteint plusieurs objectifs. Premièrement, les armes lourdes contrôlées par diverses factions à Kaboul ont été remisées. Deuxièmement, un coup d’État contre le gouvernement provisoire a été déjoué. Troisièmement, des opérations spéciales alimentées par le renseignement ont émasculé le groupe terroriste Hezb-e-Islami Gulbuddin (HiG) qui essayait de miner Kaboul. Quatrièmement, l’Armée nationale afghane a accueilli de plus en plus de formateurs et de mentors canadiens et américains pour améliorer sa capacité de concurrencer les factions armées.

Ces étapes ont créé un environnement psychologique positif qui a permis la tenue de la Jirga constitutionnelle et des élections de 2004. C’est seulement à partir de ce moment, en présence d’un gouvernement légitime reconnu internationalement, que les budgets d’aide consentis par divers pays ont pu être disponibles pour la reconstruction. Cet effort était cependant menacé par deux choses.

D’abord, il y avait une faille dans le plan stratégique. Le Canada est donc intervenu, à la demande du gouvernement afghan, et a collaboré avec les Afghans à la préparation d’un plan stratégique pour le pays. L’équipe consultative stratégique Afghanistan (ECS-A) canadienne était un intervenant clé dans cet effort. La stratégie de développement national de l’Afghanistan était le produit de cette planification et elle a été acceptée à la conférence de Londres en 2006 en même temps que la convention sur l’Afghanistan. L’ECS-A a également collaboré à l’établissement d’une fonction publique nationale et à l’amélioration de la capacité du gouvernement. Essentiellement, la SDNA a aidé à faire le lien entre les processus de la sécurité et du développement, et a su identifier les composantes clés du développement qui s’étendaient vers le bas jusqu’au niveau des communautés.
En 2005-2006, le Canada avait fait d’énormes progrès, aux côtés de ses alliés de la coalition, pour empêcher l’Afghanistan de retomber dans son état de 1993-1994. Il y avait maintenant un gouvernement; il y avait un plan; il y avait des budgets de reconstruction; et les menaces pesant sur le gouvernement et le plan étaient réduites le plus possible, en particulier à Kaboul. Il s’agissait de progrès énormes en trois ans, surtout si on considère que l’Afghanistan était essentiellement un environnement post­apocalyptique. Le défi suivant consistait à étendre la présence et l’autorité du gouvernement à l’extérieur de Kaboul. C’est à partir de ce moment que le projet de l’Afghanistan a rencontré de graves difficultés…

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

 



Trois problèmes sont apparus. Premièrement, peu de pays étaient disposés à se joindre à l’effort et à diriger des projets de reconstruction dans les provinces, et l’Afghanistan n’avait pas cette capacité à l’époque. Deuxièmement, il y avait des troubles dans une province clé du sud, Kandahar. Certains pensaient que ces troubles étaient liés aux efforts de développement déséquilibrés qui favorisaient le nord de l’Afghanistan au détriment du sud. Ces troubles ont dissuadé de diverses façons la mise en œuvre de projets internationaux efficaces. Troisièmement, les talibans semblaient reprendre vie dans le sud après s’être reposés et regroupés au Pakistan grâce à de nouvelles sources de financement international.
Il était crucial pour le projet international global que les problèmes à Kandahar soient définis et réglés. Encore une fois, le Canada a choisi de s’engager en faveur de ce plan d’action, cette fois-ci dans le cadre de l’opération Archer. Pour commencer, une équipe de reconstruction provinciale canadienne a été déployée, suivie d’un quartier général de brigade et d’un groupement tactique. Une fois ces éléments déployés sur le terrain, cependant, la situation au plan de la sécurité s’est détériorée et un taliban revigoré, soutenu par le réseau de soutien mondial d’Al-Qaïda, a propagé l’insurrection dans la province. Les objectifs des talibans étaient entre autres d’isoler et de prendre la ville de Kandahar au moyen d’un coup de main ou par foco (focalisme ou révolution par la guérilla – note de l’éditeur). De 2006 à 2009, le Canada a perturbé leurs projets. Les talibans n’ont jamais réussi à isoler la ville, le commerce régional s’est poursuivi sans réduction et les insurgés ont été incapables de prendre le contrôle de la ville.

C’est durant ces trois années que le Canada s’est immergé dans la contre-insurrection et la reconstruction interorganisationnelles dans les districts entourant la ville de Kandahar. Il a rencontré de nombreux problèmes durant cette période. Cependant, aucun de ces problèmes n’a empêché le Canada de perturber les plans des insurgés et de forcer les insurgés à continuellement modifier leurs méthodes.

À noter également que durant cette période, le projet canadien avait un état final fluctuant. Cette fluctuation était le fait, dans une certaine mesure, des politiques d’un gouvernement minoritaire. Il est facile de regarder en arrière et de caractériser cette période, mais à l’époque, les planificateurs canadiens devaient travailler sur une perspective de deux ans, ce qui provoquait une discontinuité substantielle dans les efforts déployés.

Le Canada a également cherché des renforts durant cette période, mais n’a réussi à convaincre aucun de ses alliés de l’OTAN. À la même époque, la politique américaine était en profonde mouvance. Il y avait des problèmes en Irak ainsi que des élections nationales aux États-Unis. Le renforcement du projet de l’Afghanistan à Kandahar n’était pas garanti, mais les efforts du Canada ont fait pencher la balance et, à partir de 2009 et en 2010, les Américains sont venus renforcer massivement les Forces canadiennes dans la province de Kandahar. Le Canada a joué un rôle certain pour amener l’administration américaine à prendre une décision sur le futur plan d’action en Afghanistan à cette époque.
Pendant ce temps, Al-Qaïda était sous pression ailleurs, surtout au Pakistan, et incapable d’organiser de grandes opérations internationales efficaces comme elle le pouvait avant le 11 septembre. L’organisation était incapable de rétablir son infrastructure en Afghanistan et était continuellement attaquée par des véhicules aériens sans pilote (UAV) armés et des plateformes de renseignement/surveillance et reconnaissance (RSR) basées en Afghanistan. Autrement dit, les objectifs stratégiques du Canada datant de la fin de l’année 2001 continuaient de se réaliser en 2010. Al-Qaïda a continué d’être perturbée dans son action. Les talibans et les autres groupes insurgés, cependant, continuaient de nuire au projet de l’Afghanistan de multiples façons.

Ces défis et d’autres encore n’ont que ralenti les efforts de reconstruction sans toutefois les arrêter. Il y a maintenant un système de gouvernance afghan en place. Est-ce qu’il est parfait et incorruptible? Non. Il y a maintenant des forces militaires et de police afghanes qui relèvent du gouvernement national. Sont-elles corrompues et inefficaces jusqu’à un certain point selon les normes occidentales? Oui. Représentent-elles une amélioration par rapport aux bandes armées loyales aux chefs locaux? C’est discutable dans certaines régions. Il n’y avait pas de telles forces il y a dix ans.

La capacité technique des Afghans s’est considérablement améliorée, en particulier au plan de la construction. La prolifération géométrique des compagnies de construction qui reçoivent des contrats du gouvernement afghan, des agences internationales, etc., est à souligner. Est-ce que cette capacité de construction et l’activité connexe sont sans reproches? Non. L’idée de donner un contrat, de quelque nature que ce soit, était impensable en 2001, à plus forte raison à une compagnie de construction afghane disposant de toute une gamme d’équipement lourd. La prolifération continue des biens de consommation, en particulier les appareils électroniques, au niveau du district est un bon indicateur d’une économie qui fonctionne de mieux en mieux. Quelqu’un quelque part se procure ces marchandises et les vend, et quelqu’un les achète12. L’argent de ce commerce vient de quelque part.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photode Reuters RTR4XQO (Anonyme)

Des soldats canadiens traversent un champ de pavot dans le village de Markhanai, le 5 mai 2002

Cependant, les critiques du projet afghan regardent rarement le niveau microéconomique et se concentrent plutôt sur le manque de progrès dans l’économie du pavot, au niveau de la corruption et dans l’égalité entre les sexes. Le niveau de violence croissant est interprété comme signifiant que les choses ne vont pas. Je n’ai pas encore vu une ventilation de cette violence. Quel pourcentage est imputable à l’insurrection et quel pourcentage au commerce? Est-ce qu’une partie de cette violence est imputable à la Pachtounwali ou à d’autres mécanismes de résolution des conflits entre les tribus? Quelle partie est imputable aux rivalités intertribales? À quel endroit tous ces conflits se rejoignent-ils? Il y a de hauts niveaux de violence et corruption dans d’autres pays (par exemple en Colombie et au Mexique), mais il y a encore une économique stable et des progrès sociaux généraux. À ce sujet, aux fins de comparaison, le taux d’homicides de civils au Mexique dans la ville de Ciudad Juárez, à raison de 2 000 par année, se compare au taux d’homicides de civils afghans dans l’ensemble du pays (9 759 morts entre 2006 et 2011)13.

Tout cela pour dire qu’il y a à peine dix ans que les talibans ont été délogés et qu’on a empêché une autre guerre civile d’éclater. L’Afghanistan vient de connaître 20 ans de guerre et a perdu entre 1,5 et 2 millions de ses habitants dans les années 1980 seulement14. Les progrès du projet de l’Afghanistan en si peu de temps sont remarquables lorsqu’on les regarde sans tenir compte des problèmes et défis immédiats et qu’on adopte un point de vue plus général.

N’oublions pas non plus que le projet de l’Afghanistan est la cible d’attaques continues de la part de forces extérieures qui ne veulent pas qu’il réussisse. Je parle ici particulièrement du Pakistan, mais également de ceux qui fournissent des armes aux insurgés. Au cours de mes voyages, j’ai vu des fusils sans recul de 82 mm chinois fraîchement sortis d’usine avec munitions, des RPG iraniens avec projectiles perforants, des composants de détonateurs d’IED fabriqués en série par les Iraniens et des copies pakistanaises de mines antichars italiennes en plastique. Il y a beaucoup trop de critiques visant l’effort international et pas suffisamment à l’égard de ceux qui ont décidé de faire avorter le projet. Ce problème est généralement particulier aux Canadiens en ce que les éléments antiaméricains de notre culture ciblent facilement et critiquent exagérément les activités américaines sans en contrepartie donner une couverture égale au comportement néfaste des autres. Il n’y a pas eu de reportage canadien, et encore moins d’analyse universitaire condamnant l’Iran, la Chine ou le Pakistan pour leur rôle dans le trafic d’armes à destination des insurgés afghans.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo de Stringer Afghanistan, Reuters RTXF64N)

Des talibans dans un lieu non divulgué en Afghanistan, le 8 mai 2009.

N’oublions pas l’origine et la motivation de l’émergence du mouvement taliban. Malgré les affirmations répétées dans les médias que Kandahar est le foyer spirituel des talibans, ce mouvement était au départ une milice à la solde des intérêts économiques de Quetta qui voulait libérer de toute interférence la route 4 entre Quetta et Kandahar pour faciliter le commerce avec les anciennes républiques russes au nord. Par la suite, les talibans ont reçu diverses formes de soutien lorsque des éléments au sein du système de sécurité pakistanais ont compris que si les énergies des Pachtounes étaient dirigées ailleurs, elles ne seraient pas concentrées sur la création d’un Pachtounistan aux dépens du Pakistan. D’autres encore ont accepté l’idée qu’un Afghanistan indépendant pourrait s’aligner avec l’Inde, ce qui aurait des conséquences stratégiques néfastes pour le Pakistan15. Si le motif du soutien aux talibans et aux autres groupes antiafghans est l’émasculation de l’Afghanistan, on pourrait affirmer que le Pakistan se livre au colonialisme et qu’en conséquence, les efforts du Canada pour protéger la population afghane contre cette menace externe sont louables, acceptables au plan moral et efficaces jusqu’à maintenant.

Plus important encore, la variante de l’Islam qui a toujours dominé le sud de l’Afghanistan est le soufisme sunnite. Les musulmans fondamentalistes, qu’ils soient chiites ou sunnites adeptes du wahhabisme, considèrent le mysticisme soufie inclusif comme une hérésie. En fait, les tenants du déobandisme au Pakistan, qui sont étroitement alignés avec les sunnites adeptes du wahhabisme d’Arabie Saoudite et les talibans, sont violemment opposés au soufisme. Les musulmans chiites d’Iran se sont alignés avec les groupes Hazara pour soutenir l’alliance du nord contre les talibans, mais n’ont pas fourni d’armes aux groupes sunnites soufis. Compte tenu de ces faits, on pourrait également affirmer que le Canada protège une minorité islamique modérée contre le nettoyage ethnique ou, plus précisément, un génocide selon sa définition reconnue : la destruction d’une culture16. Même si le gouvernement canadien n’était pas en mesure de comprendre pleinement tous ces enjeux à l’époque, le résultat inattendu reste le même. Nous avons fait ce que nous pouvions pour protéger la population afghane du sud de l’Afghanistan, peu importe le cadre dans lequel nous voulons examiner notre action.

Pour mettre fin aux questions sur le bien-fondé de notre intervention

J’avancerais que l’affaiblissement et la discréditation du mouvement Al-Qaïda à eux seuls valaient l’effort consenti. Cette corporation terroriste avait pris son élan et gagnait en crédibilité dans le monde musulman avant et bien après les événements du 11 septembre. Le succès attire le succès. Cet élan a été stoppé grâce à l’intervention en Afghanistan, laquelle nous a permis d’examiner le mouvement de l’intérieur et de le mettre en fuite. La pression constante exercée sur les restes d’Al-Qaïda au Pakistan par l’entremise de l’Afghanistan, combinée à l’intervention en Afghanistan et à la défaite d’Al-Qaïda en Irak a empêché cette dernière de gagner du terrain dans le contexte du printemps arabe (jusqu’à maintenant) et, du point de vue occidental, l’élimination d’Oussama ben Laden a mis un point final à l’affaire du 11 septembre. Même si on peut discuter de l’impact réel de cette élimination, il reste qu’Al-Qaïda ne terrorise plus psychologiquement l’Ouest de la manière dont elle le faisait en 2001 et en 2002. Si l’élimination d’Oussama ben Laden en 2011 a contribué à ce recul, une mission qui, rappelons-le, a été lancée depuis l’Afghanistan, il faut envisager la possibilité que notre intervention en Afghanistan a obtenu une certaine mesure de succès. Certes, d’autres moyens utilisés par l’administration Clinton, par exemple les tirs de missiles Cruise, se sont révélés inefficaces et les efforts diplomatiques et autres pour séparer ben Laden des talibans n’ont rien donné. La seule façon d’attaquer Al-Qaïda était de s’en prendre à ses installations et à ses chefs en Afghanistan.
En outre, si on applique le raisonnement selon lequel le responsable du problème a aussi la responsabilité de le régler, la communauté internationale avait la responsabilité morale d’aider les Afghans à retrouver l’équilibre dans le monde post-taliban. Les mêmes critiques qui se faisaient entendre au sujet de l’inefficacité des efforts de stabilisation de l’Afghanistan se seraient probablement fait entendre tout aussi fort s’il n’y avait pas eu d’efforts de reconstruction du tout, et que l’Afghanistan était retombé dans le scénario des événements de 1993-1994. Le Canada a choisi de prendre part à ce projet en 2003 et a joué un rôle clé dans la stabilisation de Kaboul et dans le soutien de l’administration transitoire afghane. Les efforts déployés dans ce contexte ont eu des effets positifs mesurables. À Kandahar, le Canada s’est lancé dans une opération de stabilisation et de reconstruction, mais s’est retrouvé la cible d’attaques de plus en plus rusées de la part des insurgés. L’incapacité des insurgés d’atteindre leur principal objectif dans le sud de l’Afghanistan entre 2006 et 2009 à cause de la présence du Canada et de ses activités de perturbation est un élément de succès mesurable. Certes, les progrès réalisés au plan de la reconstruction n’ont pas été ce qu’ils auraient pu ou être. Oui, l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas encore généralisée. Oui, des écoles restent fermées, mais ne rien faire aurait été encore pire. L’effondrement de l’intervention de la coalition à Kandahar aurait condamné le projet international en Afghanistan il y a cinq ans. On voit plutôt que le projet afghan progresse, mais péniblement, cinq pas en avant, trois pas en arrière.

Au cours d’une récente conversation que j’ai eue avec un général à la retraite, nous avons discuté indirectement du mème « Le jeu en valait-il la chandelle? » L’une des manières dont il a essayé de répondre à cette question était de chercher des effets permanents de l’implication du Canada, particulièrement en matière de reconstruction. C’était son critère d’efficacité. Est-il trop tôt pour dire si nous aurons des effets durables? Oui et non. Une route asphaltée a un effet important sur le transport des marchandises; un effet mesurable. N’oublions pas que les idées suivent également les routes qui serpentent dans les régions rurales qui étaient précédemment coupées de l’influence de la société en général. Il faudra des années, sinon des dizaines d’années, pour mesurer l’impact de cette influence. Nous n’avons peut-être pas réussi à obliger les Pachtouns à changer de vue sur l’égalité homme-femme conforme aux valeurs canadiennes. Mais comment savoir si quelque part, une jeune fille afghane qui a eu une rencontre positive avec des soldats féminins du Canada ne décidera pas de rompre avec le système sociétal afghan ou même de le défier? Nous ne savons tout simplement pas encore à ce stade-ci.

Je veux simplement dire que le Canada, par ses contributions au projet international en Afghanistan, a fait ce qu’il a pu pour préparer les Afghans à connaître du succès. Ce que les Afghans choisiront de faire (et ils sont parfaitement capables de prendre les décisions de cette nature) avec tout le soutien offert est une autre question. Leur capacité en tant que société de continuer sur cette trajectoire ou de retomber dans le chaos est entre leurs mains, pas les nôtres. L’héritage durable de l’implication du Canada en Afghanistan devrait se composer d’un amalgame de ces aspects. On est loin de la Seconde Guerre mondiale et des défilés du jour de la victoire. L’héritage permanent du Canada à l’occasion de cette guerre aurait pu être décrit, avant 1990, non seulement comme la destruction du totalitarisme nazi, mais également comme une Allemagne détruite et divisée et un monde au bord de l’holocauste nucléaire pour l’accès à Berlin. Après 1990, la situation a changé un peu. L’héritage durable est maintenant une Allemagne pacifiste et unifiée possédant une croissance économique immense et le niveau de vie le plus élevé au monde. On ne peut prévoir avec certitude ce que sera l’Afghanistan dans 20 ou 40 ans. La réponse à la question « Le jeu en valait-il la chandelle? » est, de bien des façons, nécessairement provisoire, prématurée et politiquement motivée.

Représentation extraordinairement réaliste d’un équipage de bombardier de sept hommes épuisés, de retour sur la terre ferme après une sortie de combat, mais scrutant l’horizon avec inquiétude pour voir poindre les appareils de leurs compagnons d’armes.

Photo du sergent Matthew McGregor, MDN IS2011-1013-31

Le caporal Marie-Anne Hardy, entourée d’enfants afghans alors qu’elle prend une pause pendant une fouille de champs et d’enclos en début de matinée, le 4 juin 2011.

 

Notes

  1. Un mème est une idée, un comportement ou un style qui se répand de personne en personne au sein d’une culture ~ note de l’éditeur
  2. Cross Country Check Up, 10 juillet 2011, « Canada’s Combat Role in Afghanistan Ends… . Was it Worth It? ».
  3. Thane Burnett, « War Wounds: Polls Suggest we don’t feel Afghanistan Mission was Worth It » dans The Ottawa Sun, 4 août 2011.
  4. « The Afghanistan War: Was it Worth It? » dans The Socialist Worker, numéro 533, août 2011.
  5. Paul Koring, « Was it Worth It? Canadians Reflect on the War in Afghanistan » dans The Globe and Mail, 6 février 2012.
  6. (20 novembre 2007) Bibliothèque du Parlement, « Afghanistan : Chronologie des faits marquants au Parlement canadien »; (février 2008) CBC News, « The Afghan Debate: Where the Parties Stand on the Deployment of Troops »; Hansard, 16 avril 2007; www.ndp.ca « Debate Fact Check: Duceppe Wrong on NDP Afghan Vote ».
  7. Rosie DiManno, « Little Reason to ask if of the Afghanistan Mission is worth it » dans The Toronto Star, 8 juillet 2011.
  8. Koring, « Was it Worth It? ».
  9. Sean M. Maloney, « On a Pale Horse? Conceptualizing Narcotics Production in Southern Afghanistan and its relationship to the Narco-Terror Nexus » dans Small Wars and Insurgencies, vol. 20, numéro 1, 2009.
  10. George Tenet, At the Center of the Storm: My Years at the CIA, New York, Harper Collins, 2007, chapitre 14.
  11. Voir Osama bin Laden, Messages to the World: The Statements of Osama bin Laden, London, Verso Press, 2005, et Anonymous (Mike Sheuer), Through Our Enemies’ Eyes: Osama bin Laden, Radical Islam, and the Future of America, Washington DC, Brassey’s, 2002, pour une description des objectifs d’Al-Qaïda.
  12. D’après les observations de l’auteur dans les districts de Panjwayi et de Zharey sur une période de cinq ans.
  13. Voir June S. Beittel, « Mexico’s Drug Trafficking Organizations: Source and Scope of Rising Violence », Congressional Research Service, 7 janvier 2011, et http://www.guardian.co.uk/news/datablog/2010/aug/10/afghanistan-civilian-casualties-statistics#data (d’après des données de l’ONU) pour l’Afghanistan.
  14. Voir Stéphane Courtois et al, Le livre noir du communisme, Paris, R. Laffont, 1998, pour une ventilation des souffrances que l’Union Soviétique a infligées aux Afghans.
  15. Voir Zhaid Hussain, Frontline Pakistan: The Struggle with Militant Islam, New York, Columbia University Press, 2007, et Neamatollah Nojumi, The Rise of the Taliban In Afghanistan: Mass Mobilization, Civil War, and the Future of the Region, Londres, Palgrave publishing, 2002 sur les origines des talibans.
  16. John R. Schmidt, The Unraveling: Pakistan in the Age of Jihad, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011, chapitre 3.