Leçons du passé

The Battle of Lake Erie, par Peter Rindlisbacher.

Peter Rindlisbacher, Canadian Society of Marine Artists

The Battle of Lake Erie, par Peter Rindlisbacher.

Briser l’impasse : la lutte amphibie au cours de la guerre de 1812

par Jean-François Lebeau

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Le lieutenant de vaisseau G.J.F. Lebeau est l’officier de lutte au-dessus de la surface sur le NCSM Ville de Québec et détient un baccalauréat en histoire du Collège militaire royal du Canada. En 2010, il a reçu la « Qualification aux opérations amphibies » de la Marine française pendant qu’il servait à bord du Tonnerre, navire d’assaut amphibie de classe Mistral.

Introduction

On se souvient de la guerre de 1812 tant pour ses combats terrestres rangés (notamment Queenston Heights et La Nouvelle-Orléans) que pour ses célèbres batailles navales opposant la Royal Navy (RN) et l’United States Navy (USN). Pourtant, ces engagements illustres ne représentent qu’une infime partie des combats menés pendant la guerre. On a avancé que la guerre de 1812 ressemblait davantage à la Première Guerre mondiale qu’aux conflits de cette époque, soit les guerres napoléoniennes. Les difficultés liées à la nature sauvage du Haut-Canada et du nord-ouest des États-Unis ont démontré que l’hiver et la maladie étaient aussi nuisibles que les forces militaires opposées. La guerre s’est poursuivie pendant deux ans et demi jusqu’à ce que le Traité de Gand mette fin aux hostilités en 1814. Bien que ce conflit ait été étudié en détail, le recours important à la lutte amphibie en est un aspect qui demeure relativement méconnu. En effet, plusieurs des batailles importantes de cette guerre étaient des opérations amphibies, notamment les batailles de York, de la baie de Chesapeake et de La Nouvelle-Orléans. Qui plus est, les deux opposants ont mené plusieurs raids amphibies tout au long du conflit.

British and American Diplomats Signing the Treaty of Ghent, 24 December 1814, par Forestier

The Granger Collection, NYC 0022792

British and American Diplomats Signing the Treaty of Ghent, 24 December 1814, par Forestier

Pourquoi a-t-on utilisé de façon aussi considérable la lutte amphibie? Pourquoi les commandants opérationnels ont-ils décidé de mener des opérations amphibies alors qu’ils pouvaient facilement accéder au territoire de l’ennemi par voie terrestre? Pour répondre à cette question, il faut remettre ces opérations en contexte. Ainsi, le présent article démontrera que les opérations amphibies constituaient une solution : (a) pour surmonter les obstacles naturels de la nature sauvage; (b) pour briser l’impasse sur terre (c) pour donner de la mobilité et de la flexibilité opérationnelles aux commandants; (d) pour tenter d’obtenir un avantage psychologique. Aux fins du présent article, l’exposé et l’analyse seront limités aux opérations qui se sont déroulées dans l’Atlantique et le bassin des Grands Lacs.

Théâtre d’opérations de l’Atlantique

Les Britanniques ont nettement dominé le théâtre de l’Atlantique avec leurs opérations amphibies. Ils ont tiré pleinement profit de la vaste expérience de la guerre expéditionnaire acquise pendant les guerres napoléoniennes, ainsi que de leur position avantageuse aux abords des États-Unis1. À titre de première puissance navale mondiale, la Grande-Bretagne pouvait contraindre un ennemi, tant aux niveaux économique, psychologique et militaire. En 1812, la préoccupation principale de la nation était la guerre européenne contre Napoléon, et, au départ, elle n’était ni disposée ni préparée à passer à l’offensive en Amérique du Nord. En conséquence, les Britanniques ont adopté une stratégie défensive jusqu’à ce qu’ils aient accès à des troupes et à des ressources supplémentaires après l’abdication de Napoléon en 18142. Avant cette date, la stratégie britannique visait à paralyser l’économie américaine au moyen d’une guerre de course, de restreindre l’USN à ses eaux nationales et de défendre l’Amérique du Nord britannique contre les invasions américaines3.

Le théâtre d’opérations de l’Atlantique s’étendait sur la côte Est, de Terre-Neuve jusqu’au golfe du Mexique. Ce théâtre était déterminant pour les Britanniques parce qu’il s’agissait de leur seul moyen d’approvisionner leurs colonies et de mettre en œuvre leur stratégie contre les Américains. Les deux principales stations de la RN dans l’Atlantique étaient situées à Halifax et aux Bermudes. Elles étaient positionnées stratégiquement de façon à permettre aux Britanniques d’assurer une certaine présence dans l’océan Atlantique occidental, d’escorter ou d’intercepter des convois, de faire respecter un blocus sur les ports américains, de défendre les lignes de communication maritimes vers Québec et de servir de tremplin éventuel pour une attaque contre les États-Unis. Des forces des stations des îles Sous-le-Vent et de la Jamaïque, dans les Caraïbes, pouvaient leur venir en aide.

Depuis la présidence de Thomas Jefferson, la stratégie militaire américaine était largement à dominance terrestre, et l’USN n’avait été formée qu’au tournant du XIXe siècle, à la suite de la quasi-guerre avec la France et des opérations méditerranéennes menées pendant les guerres barbaresques4. Lorsque la guerre a été déclarée en 1812, l’USN était mal préparée aux opérations navales à grand déploiement. Les quelques navires restants étaient de vieilles – quoiqu’imposantes – frégates, largement dispersées sur la côte Atlantique alors que les grandes villes étaient défendues par un certain nombre de positions fortifiées.

Au début de la guerre de 1812, le manque de militaires professionnels constituait une préoccupation importante pour les États-Unis. Un nombre restreint de « réguliers » étaient disponibles pour assurer la défense côtière, mais la plupart d’entre eux étaient répartis un peu partout au pays5. La stratégie du président James Madison s’articulait autour de l’invasion du Haut-Canada et du Bas-Canada, ce qui sollicitait la majorité des soldats réguliers de la US Army, et s’appuyait sur la milice pour assurer la défense côtière. La stratégie navale américaine était de déranger en forçant le blocus de la RN, et d’attaquer les navires marchands britanniques en haute mer6. Il était impossible d’égaler les Britanniques en nombre, plus particulièrement après la défaite de Napoléon. Le recours aux navires-corsaires était la clé pour que les échanges commerciaux entre les États-Unis et l’Europe se poursuivent7. À l’été 1814, malgré le succès des corsaires, l’économie américaine était en ruine.

Sir Alexander Forrester Inglis Cochrane, par Charles Turner, d’après Sir William Beechey.

©National Portrait Gallery, Londres, NPG D1486, offert par Ernest E. Leggatt

Sir Alexander Forrester Inglis Cochrane, par Charles Turner, d’après Sir William Beechey.

Opérations britanniques – Été 1814

Malgré certaines victoires précoces de l’USN, la RN a pris le contrôle de l’océan Atlantique en 1813 et mis en œuvre une campagne de raids amphibies dirigée par le RearAdmiral George Cockburn. Son objectif était de harceler la population américaine, peut-être pour créer de la dissidence, de rassembler des ressources pour la RN et, finalement, de détourner l’attention du gouvernement américain du bassin des Grands Lacs8. Cette campagne a forcé les États-Unis à maintenir ses défenses côtières. Au début de 1814, le Vice-Admiral Alexander Cochrane a établi aux Bermudes une force amphibie formée de Royal Marines et de réguliers qui avaient été redéployés des Caraïbes. De cet endroit, on pouvait lancer des raids ou des attaques amphibies n’importe où le long de la côte Est et dans le golfe du Mexique. Halifax était également un emplacement d’importance avec assez de troupes et de ressources sur place pour constituer une menace pour la Nouvelle-Angleterre. Il a toutefois fallu attendre l’été 1814 pour que les Britanniques commencent à exécuter des raids amphibies plus importants afin d’atteindre des objectifs précis.

Plusieurs opérations amphibies se sont déroulées à l’été 1814. Le General Sir John Sherbrooke, alors lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, a reçu l’ordre de s’emparer de l’État du Maine pour assurer une route terrestre vers Québec9. Il prévoyait mener un certain nombre de raids amphibies visant à mettre à l’épreuve les systèmes de défense américains et de prendre et tenir des positions stratégiques le long de la côte. En juin 1814, les Britanniques ont amorcé leur opération en prenant Thomaston et St. George le long de la rivière Penobscot, dans le Maine. Ils ont ensuite mené une attaque sur Eastport en juillet, ce qui leur a permis de protéger leur position et de poursuivre avec l’assaut principal sur Castine en septembre. Castine n’était pas seulement une base pour les corsaires. En effet, elle permettait l’accès à l’intérieur des terres grâce à son emplacement le long de la rivière Penobscot, ce qui était primordial pour pouvoir contrôler le Maine. Au début de septembre, une force de frappe britannique a débarqué à Castine et a monté la rivière jusqu’à Bangor. La victoire qui a suivi a permis la création d’une route terrestre vers le Bas-Canada, ce qui a assuré le transport continu de matériel et de troupes britanniques pour poursuivre la guerre10.

Colours, 1812, par Silvia Pecota.

©Silvia Pecota

Colours, 1812, par Silvia Pecota.

En outre, l’offensive principale avait été lancée deux semaines auparavant dans la région de la baie de Chesapeake. La baie permettait d’accéder à deux des centres les plus importants des États-Unis : Washington et Baltimore. La première ville était le siège du gouvernement alors que la deuxième hébergeait le premier port de corsaires au pays. Les Britanniques connaissaient déjà la région puisque le Rear-Admiral Cockburn y avait exécuté des raids sur les villes côtières pendant plus d’une année, et la RN avait réussi à créer un blocus autour des forces de l’USN dans la baie. En août 1814, une force de frappe sous le commandement conjoint de Cockburn et du Major-General Robert Ross a quitté les Bermudes avec l’ordre de lancer un raid amphibie à grande échelle sur la capitale américaine. Le 19 août 1814, la force britannique a débarqué à Benedict au bord de la rivière Patuxent, et a monté vers la capitale américaine. Entre-temps, la force navale de Cockburn a mené des opérations sur les flancs le long des rivières Patuxent et Potomac. Après avoir vaincu les forces américaines à Bladensburg, les Britanniques se sont emparés de Washington le 24 août. Ils ont enchaîné avec un assaut interarmées sur Baltimore en septembre, d’où ils ont finalement été repoussés le 14 septembre. L’objectif de cette campagne était de démontrer leur capacité de frapper au cœur du territoire américain et près du centre décisionnel. Ils n’avaient aucune intention d’occuper la région, mais plutôt de faire des ravages et de semer la peur dans la population11. Après l’attaque de Baltimore, la force britannique s’est rembarquée pour retourner à ses bases à Halifax et aux Bermudes et se consacrer aux dernières étapes de la planification de l’invasion prochaine de La Nouvelle-Orléans.

La bataille de La Nouvelle-Orléans

La ville de La Nouvelle-Orléans, qui se situe à l’embouchure du fleuve Mississippi, était (et demeure) un port d’expédition américain important. La ville contrôlait l’accès au fleuve et, par le fait même, au Midwest aussi loin au nord que l’Ohio. Elle représentait donc une cible économique et militaire très attrayante aux yeux des Britanniques. Les préparatifs pour l’invasion de La Nouvelle-Orléans ont débuté à l’été 1814, après les opérations de la baie de Chesapeake. Les Britanniques espéraient qu’ils pourraient tirer parti du conflit entre les Américains et les Autochtones creeks, et faire en sorte que ces derniers les aident dans leur plan d’invasion. Puisque la guerre en Europe était terminée, l’Angleterre pouvait affecter plus de militaires à cette opération. L’effectif de départ a beaucoup fluctué, mais à la mi-mars 1814, on pouvait compter jusqu’à 10 000 soldats britanniques dans le delta du Mississippi. Toutefois, ce terrain revêtu perfidement de bayous et de plaines inondables désavantageait les envahisseurs. De surcroît, le courant fort du fleuve rendait la navigation en amont de ce dernier difficile pour les navires à voile, voire impossible pour les grands navires de guerre12. Par conséquent, les Britanniques ont décidé de mener un débarquement amphibie et de faire le trajet sur la terre ferme jusqu’à La Nouvelle-Orléans. Ils ont trouvé l’ennemi retranché sans aucun appui d’artillerie ni soutien naval. Le 8 janvier 1815, après une série d’attaques, les forces britanniques ont été vaincues par le Major-General Andrew Jackson. Elles se sont ensuite repliées avant de mettre le cap vers les côtes du golfe pour y lancer d’autres opérations.

La bataille de La Nouvelle-Orléans démontre que les opérations amphibies doivent être bien planifiées et exécutées. Les Britanniques n’ont pas tenu entièrement compte des difficultés associées à la géographie du terrain, ils ne se sont pas prévalus de tout le renseignement disponible sur l’ennemi et ils ont sous-estimé le leadership et le moral des Américains.

Le théâtre d’opérations des Grands Lacs

La situation était différente dans le bassin des Grands Lacs. La guerre amphibie n’y était pas vraiment unilatérale et les deux côtés tentaient de prendre l’initiative sur le continent et de contrôler les lacs, contrairement à ce qui se passait dans l’océan Atlantique. La stratégie américaine était d’envahir le Haut-Canada et de combattre vers l’est en direction de la forteresse de Québec afin de forcer les Britanniques à partir13. Par conséquent, la plupart des opérations terrestres américaines se sont déroulées dans le bassin des Grands Lacs, plus particulièrement dans la région séparant Detroit de Kingston.

Reconstitution de la bataille de la ferme Crysler, le 11 novembre 1813.

Photo de Heather Bashow

Reconstitution de la bataille de la ferme Crysler, le 11 novembre 1813.

Lorsque la guerre a été déclarée en juin 1812, les Américains étaient certains qu’ils feraient rapidement campagne d’un bout à l’autre du Haut-Canada et qu’ils arriveraient à Québec avant la fin de l’année. Ils avaient prévu poursuivre jusqu’à Halifax l’été suivant, et en fin de compte, forcer les Britanniques à quitter l’Amérique du Nord. En fait, les Britanniques, avec l’aide de la milice canadienne et de leurs alliés autochtones, se sont avérés des adversaires de taille, malgré leur nombre inférieur. La campagne de 1812 s’est révélée désastreuse pour les Américains, qui ont essuyé des défaites humiliantes à Detroit et dans la péninsule du Niagara. Tous les combats terrestres se sont soldés par une impasse et aucun des deux côtés n’a enregistré de gains notables.

L’absence d’infrastructures et de ressources à l’extérieur des Grands Lacs est l’un des principaux obstacles rencontrés dans cette région éloignée. Les réseaux routiers étaient rudimentaires et il n’y avait aucun canal reliant les lacs Érié et Ontario aux autres voies d’eau. Il était donc difficile de mettre sur pied, de maintenir et d’approvisionner des forces militaires. À la suite de l’échec de ses forces terrestres en 1812, les États-Unis ont décidé d’investir dans leurs forces navales pour contrer l’avantage des Britanniques sur les lacs. Les Britanniques avaient accès au fleuve Saint-Laurent et, par la bande, à l’océan Atlantique ainsi qu’à toutes les ressources provenant de l’Europe, ce qui était avantageux puisque les ressources étaient rares au Canada. Toutefois, il s’agissait également d’un désavantage pour les Britanniques, car cela les mettait à risque d’être coupés de cette source de subsistance si les Américains reprenaient le contrôle du fleuve.

Au début, la marine provinciale et, plus tard, la RN, ont permis aux Britanniques de contrôler les Grands Lacs et d’intervenir relativement rapidement partout sur les lacs. Les Américains se sont rendu compte que leur stratégie ne serait gagnante que s’ils pouvaient contrôler les plans d’eau. Ils ont construit une nouvelle base navale à Presqu’Île, au bord du lac Érié, et ont investi dans la base existante à Sackets Harbor, le long du lac Ontario. Ces bases étaient défendues et ont reçu les infrastructures nécessaires pour construire des navires de guerre. L’USN se trouvait énormément désavantagée quant à la taille de sa flotte, mais elle disposait d’un meilleur accès à davantage de ressources que les Britanniques. Il était plus facile de construire et d’armer les navires de guerre américains en raison de la proximité relative aux centres industriels tels que Pittsburgh, Philadelphie et New York. Les Américains ont entrepris un programme de construction navale visant à égaler la taille de la flotte des Britanniques sur les lacs et pour contester la supériorité de ces derniers14. En outre, le bassin de militaires disponibles était plus important aux États-Unis qu’au Haut-Canada. Par conséquent, les bases navales de Presqu’Île et de Sackets Harbor sont devenues les points d’embarquement pour les forces amphibies américaines. Celles-ci étaient situées près de toutes les cibles possibles du Haut-Canada.

Opérations américaines et britanniques – été 1813

Les Américains ont eu recours à la lutte amphibie dès 1813 en lançant une attaque sur York, la capitale du Haut-Canada. Cette opération s’inscrivait dans leur stratégie visant à isoler les troupes britanniques dans la région de Niagara, ce qui permettrait ensuite aux Américains d’attaquer la base principale à Kingston et de prendre possession du Haut-Canada15. À l’approche de la flotte britannique, la force de frappe amphibie a quitté Sackets Harbor à la miavril escortée de goélettes de l’USN. Toutefois, la destination finale demeurait floue, ce qui a amené les Britanniques à se demander où l’attaque aurait lieu. Compte tenu de la stratégie américaine, plusieurs villes telles que Kingston, York et Burlington Heights étaient considérées comme des cibles potentielles. Les Américains ont choisi York en raison de son importance et de son emplacement stratégique, puis le General Henry Dearborn et le Commodore Isaac Chauncey ont décidé de passer à l’attaque le 27 avril 1813. La force de débarquement s’est heurtée à une certaine résistance, mais elle a été en mesure de s’emparer de York et d’écraser les quelques réguliers et miliciens britanniques avec l’appui des goélettes. Les Américains ont incendié les édifices législatifs et se sont ensuite retirés pour se préparer en vue des opérations subséquentes.

Les Américains ont enchaîné en mai avec un assaut amphibie réussi sur Fort George. En guise de réponse, le Commodore britannique James Yeo a lancé un raid contre Sackets Harbor pour tenter de forcer Chauncey à rompre son soutien dans la région de Niagara. La force de débarquement britannique s’est emparée de la base et l’a embrasée, mais les navires qui couvraient l’attaque n’ont pas pu se rapprocher assez pour fournir un appui-feu. Du point de vue tactique, le raid n’a pas réussi à détruire l’infrastructure et le chantier naval, mais sur le plan opérationnel, il a forcé Chauncey à mettre fin à l’assaut et à retourner à la base16. Après deux défaites majeures sur la terre ferme et sans appui naval, les Américains n’ont pas réussi à consolider leur position dans la péninsule du Niagara, et ils ont dû se replier le long de la rivière Niagara. Ils ont toutefois pris le contrôle du lac Érié en septembre 1813 à la suite d’une victoire à Put-in-Bay, ce qui leur a permis de poursuivre et de défaire les forces britanniques sur la rivière Thames plus tard le même automne.

Oliver Hazard Perry

The Granger Collection, NYC 0039400

Oliver Hazard Perry

Sir James Lucas Yeo, par Henry Richard Cook; publication de Joyce Gold; d’après Adam Buck.

©National Portrait Gallery London NPG D5133. Given by Ernest E. Leggatt

Sir James Lucas Yeo, par Henry Richard Cook; publication de Joyce Gold; d’après Adam Buck.

Le théâtre d’opérations des Grands Lacs est demeuré stagnant jusqu’à la fin de la guerre malgré certaines opérations offensives des deux côtés. La lutte amphibie n’a pas été utilisée dans la même mesure qu’au début de 1813. Plusieurs raids amphibies de petite envergure ont été menés, mais sans résultats importants. En 1814, les Britanniques redéployaient certaines de leurs forces de l’Europe et se préparaient à passer à l’offensive sur tous les fronts.

La raison d’être de la lutte amphibie

Plusieurs facteurs ont amené les commandants de la guerre de 1812 à recourir à différents types d’opérations amphibies : (a) les contraintes géographiques; (b) les résultats peu concluants des combats terrestres; (c) la mobilité opérationnelle et la souplesse accrues grâce aux capacités amphibies; (d) les effets psychologiques sur l’ennemi.

Contraintes géographiques

La zone vaste, sous-développée et à peine peuplée qui a servi de cadre à la guerre de 1812 s’est avérée un obstacle de taille pour tous les commandants. Plusieurs endroits au Michigan et au Haut-Canada étaient considérés comme la frontière et n’étaient souvent qu’accessibles par l’eau. Les routes sous-développées entravaient gravement le mouvement des troupes et du ravitaillement. Les opérations dans les marécages de la région de la rivière Maumee et les bayous de La Nouvelle-Orléans ont démontré à quel point les opérations dans de telles zones sont complexes, mais surtout qu’il est impossible d’y déplacer des troupes rapidement. Ces difficultés étaient encore plus importantes dans les États du nord en raison du climat rigoureux de l’hiver nord-américain. Les Britanniques ont également fait face à des conditions météorologiques difficiles dans la baie de Chesapeake au cours de l’été 1814, malgré son emplacement relativement plus au sud. Par ailleurs, les lacs couverts de glace du bassin des Grands Lacs ont forcé les navires à rentrer au port, ce qui a contraint les armées à l’inactivité pendant plusieurs mois. En effet, peu d’opérations militaires ont été entreprises durant l’hiver17.

Toutefois, les nombreux grands plans d’eau et les nombreuses rivières de l’Amérique du Nord ont permis aux commandants de recourir à la lutte amphibie pour contrer les désavantages engendrés par le terrain. Les navires pouvaient transporter tout le personnel et l’équipement en peu de temps sans avoir à s’arrêter pour se restaurer ou se reposer, et l’absence de routes appropriées n’était pas un enjeu. Il était donc judicieux, pour les deux factions, de développer la capacité de mener différents types d’opérations amphibies. Le problème de l’isolement s’est atténué à la suite de la création des flottes de navires sur les lacs Champlain, Ontario et Érié, ainsi que de la capacité d’opérer sur le lac Huron.

Le fait que la plupart des villes principales étaient situées à proximité d’un plan d’eau est un autre facteur qui a encouragé le recours à la lutte amphibie. Halifax, les Bermudes, Boston, New York, La NouvelleOrléans, York et Detroit sont tous des exemples frappants. C’est également le cas pour Washington et Baltimore, auxquelles on pouvait accéder par la baie de Chesapeake et qui se situaient à distance de marche d’une zone de débarquement amphibie, comme l’ont démontré les Britanniques. En faisant appel aux forces amphibies, les commandants pouvaient souvent surmonter quelques-unes des contraintes géographiques.

James Madison (1751-1836), quatrième président des États-Unis, de John Vanderlyn

The Granger Collection, NYC 0102718

James Madison (1751-1836), quatrième président des États-Unis, de John Vanderlyn

Mobilité et souplesse opérationnelles accrues

La mobilité et la souplesse opérationnelles représentent la capacité du commandant de déplacer ses forces, au besoin, et de choisir entre au moins deux plans d’action afin de remplir la mission et de respecter l’intention du supérieur. Les forces amphibies apportaient aux commandants opérationnels de la mobilité et de la souplesse, car elles leur permettaient d’embarquer l’ensemble de leur force de débarquement, de la déplacer à leur guise dans un théâtre d’opérations donné et de s’adapter aux changements.

Au cours de l’été 1814, l’Admiral Alexander Cochrane, des forces britanniques, et ses supérieurs à Londres envisageaient plusieurs cibles aux États-Unis. Ils savaient qu’il était peu probable que le General George Prevost, gouverneur général du Canada de l’époque, s’aventure très loin en Nouvelle-Angleterre étant donné ses politiques antérieures18. En outre, toutes les campagnes menées à la frontière canadienne s’étaient soldées par un échec jusque-là. Toutefois, une force amphibie constituée entre autres de membres de la Royal Marine et de troupes régulières de la British Army leur permettrait d’attaquer les Américains et d’ouvrir un deuxième front19. L’Admiral Cochrane bénéficiait d’une mobilité opérationnelle puisqu’il contrôlait l’océan Atlantique occidental jusqu’au golfe du Mexique et très loin dans les eaux américaines. Cette mobilité lui procurait également une souplesse opérationnelle et la capacité de déterminer l’emplacement et la date de chaque assaut. Les Britanniques ont décidé de frapper dans le Maine et dans la région de la baie de Chesapeake, et ensuite de se retirer afin de déployer leurs forces pour l’invasion principale de La Nouvelle-Orléans. Les armées basées à terre n’auraient pas pu concrétiser ce projet puisqu’elles auraient été dépendantes d’un flux régulier de ravitaillement de la flotte en plus d’être soumises aux dangers que comportent l’occupation du territoire ennemi ainsi que les difficultés reconnues du transport terrestre.

Les Américains ont tiré des leçons de leurs défaites de 1812. Ils savaient que pour réussir, ils devaient rompre les liens britanniques entre le Bas-Canada, Kingston et la péninsule du Niagara. Ils avaient besoin de mobilité et de souplesse et c’est ce que la force amphibie de Sackets Harbor a apporté aux commandants américains. Ils disposaient de la mobilité nécessaire pour attaquer York, qui servait de point central entre Kingston et Niagara. Cela signifiait également que l’armée pouvait être déplacée n’importe où sur le lac Ontario dans une courte période afin de soutenir une opération en cours, d’amorcer une nouvelle opération ou de protéger ses propres positions. Les opérations de York et de Fort George sont de bons exemples et démontrent que les Américains s’efforçaient activement de trouver des solutions aux impasses survenues dans le cadre des opérations terrestres.

Sackets Harbor, 1813, par Peter Rindlisbacher.

Peter Rindlisbacher, Canadian Society of Marine Artists

Sackets Harbor, 1813, par Peter Rindlisbacher.

Initiative et plans d’action désavantageux

Au début de 1813, les Américains savaient que l’invasion du Haut-Canada ne serait pas aussi facile que ce qu’ils avaient envisagé au départ. La campagne de l’année précédente s’était soldée par un échec et peu de victoires avaient été remportées d’un côté comme de l’autre. Par conséquent, les Américains devaient faire preuve d’audace et de créativité pour reprendre l’initiative. En attaquant York en avril 1813, les Américains ont surpris les Britanniques et les ont forcés à quitter leurs positions et à se regrouper ailleurs, ce qui a temporairement coupé les lignes de communication entre Kingston et la péninsule du Niagara. Cette distraction a donné aux commandants américains assez de temps pour qu’ils se préparent en vue de l’invasion de mai 1813. Une fois de plus, on a eu recours à la flotte du Commodore Chauncey pour transporter et débarquer une force à Fort George et assurer l’appui-feu, ce qui a permis aux Américains de reprendre l’initiative et d’éloigner les Britanniques de leurs positions fortifiées le long de la rivière Niagara. Les Américains y sont demeurés jusqu’à plus tard au cours de l’été lorsqu’ils ont été vaincus aux batailles de Beaver Dam et de Stoney Creek.

La situation était tout à fait différente dans l’Atlantique. En 1812, les Britanniques avaient adopté une stratégie défensive parce qu’ils participaient à des opérations à cadence rapide en Europe et ils ne pouvaient pas se permettre de combattre simultanément dans deux guerres majeures sur deux continents. Il était toutefois encore possible de secouer l’économie américaine, et d’influencer indirectement la conduite de la guerre. Les Britanniques ont donc instauré une politique agressive de raids amphibies dès 1813. Ils ont ciblé des régions telles que la baie de Chesapeake, la Nouvelle-Angleterre et la côte de la Caroline en raison de la proximité de villes importantes, du sentiment proguerre qui y prévalait et de l’appui de ces régions à l’égard des corsaires. La plus grande réussite des Britanniques est que cette politique a obligé le gouvernement américain à adopter un plan d’action désavantageux. Il est devenu nécessaire d’assurer une défense côtière, du Maine jusqu’à la Géorgie, ce qui a monopolisé des ressources qui auraient pu être employées dans le Haut-Canada.

En 1814, les Britanniques ont augmenté la cadence de combat. La guerre était terminée et des ressources étaient alors disponibles pour d’autres opérations. On a de nouveau eu recours aux forces amphibies parce que les Britanniques pouvaient frapper plusieurs emplacements en même temps et détourner l’attention du gouvernement américain portée sur la péninsule du Niagara et le Bas-Canada. L’intensité et l’étendue des opérations amphibies ont également été augmentées. Celles-ci présentaient une menace importante pour la côte Est et la sécurité de la capitale américaine. Ces opérations amphibies ont préparé les Britanniques à l’invasion de La NouvelleOrléans à la fin de 1814, une entreprise audacieuse visant à former un troisième front sur le flanc occidental américain et à prendre l’initiative dans l’ensemble de l’Amérique du Nord.

Effets psychologiques

Les effets psychologiques, le dernier facteur positif du recours à la lutte amphibie, est un dérivé des deuxième et troisième facteurs. Les Britanniques excellaient dans le domaine de la guerre psychologique, et ils en ont tiré parti. La population américaine avait peur d’un assaut amphibie britannique sur leurs villes, de la destruction et du pillage associés ainsi que des actes répréhensibles perpétrés par les attaquants. La politique fructueuse du Rear-Admiral Cockburn sur les raids amphibies a donné lieu à une quasi-pararanoïa dans la population américaine. Des raids ont également été menés de Halifax sur l’ensemble de la côte de la Nouvelle-Angleterre. Les Britanniques espéraient instaurer un climat de terreur parmi la population côtière, ce qui forcerait ultérieurement le gouvernement américain à négocier pour la cessation des hostilités. Les résultats de cette politique ont été mitigés. Dans certains cas, elle a nourri non seulement une peur chronique, mais également une haine des Britanniques, ce qui a renforcé le patriotisme et la détermination du peuple américain. La mesure dans laquelle elle a contribué aux négociations de paix à Gand dépasse la portée de ce court article.

Conclusion

Les opérations amphibies réalisées au cours de la guerre de 1812 découlaient, en partie, de campagnes terrestres non concluantes. Elles se sont avérées une solution aux impasses rencontrées lors des opérations terrestres. Elles ont procuré aux commandants opérationnels la mobilité et la souplesse opérationnelles de frapper à l’endroit et au moment voulus, et elles pouvaient obliger l’ennemi à suivre un autre plan d’action. Les commandants tels que le Rear-Admiral Cockburn et le Commodore Chauncey ont utilisé avec succès la lutte amphibie pour prendre l’initiative dans un théâtre d’opérations et préparer le terrain pour les forces terrestres. Ils ont bien saisi que « l’objectif ultime se trouvait sur la terre ferme » et ils ont recouru à la lutte amphibie pour atteindre ce but20 [TCO].

Les opérations amphibies de la guerre de 1812 représentent de bonnes études de cas pour l’officier des temps modernes puisqu’elles démontrent la façon dont les opérations navales peuvent influer sur les opérations terrestres. Elles montrent également que la réussite n’est pas toujours mesurée par rapport à la défaite physique des forces de l’ennemi. Enfin, les opérations amphibies ont été et sont toujours un aspect important de la guerre maritime. La guerre de 1812 est une source importante de leçons qui méritent d’être étudiées plus en détail.

Lawrence Takes Fire, par Peter Rindlisbacher.

Peter Rindlisbacher, Canadian Society of Marine Artists

Lawrence Takes Fire, par Peter Rindlisbacher.

Notes

  1. Pat Bolen, « The RCN Can Learn from Admiral Nelson’s Amphibious Defeats », dans Canadian Naval Review (Automne 2012), p. 20.
  2. Andrew Lambert, The Challenge, Londres, Faber and Faber, 2012, p. 63.
  3. Ibid., p. 83.
  4. Ibid., p. 34.
  5. George Daughan, 1812, The Navy’s War, New York, Basic Books, 2011, p. 34-35.
  6. Lambert, p. 62.
  7. Daughan, p. 41.
  8. Ibid., p. 232.
  9. Lambert, p. 317.
  10. Ibid, p. 320.
  11. Daughan, p. 340.
  12. Theodore Roosevelt, The Naval War of 1812, New York, Charles Scribner’s Sons, 1926, p. 376.
  13. Pierre Berton, L’invasion du Canada. Tome 1. Les Américains attaquent,1812-1813, Montréal, Éditions de l’Homme, 1981, p. 101102.
  14. Mark Lardas, Great Lakes Warships 1812-1815, Long Island City, NY, Osprey Publishing, 2012, p. 10.
  15. J.C.A. Stagg, The War of 1812: Conflict for a Continent, New York, Cambridge University Press, 2012, p. 85-86.
  16. Ibid., p. 88-89.
  17. Pierre Berton, L’invasion du Canada. Tome 2. À l’assaut du Québec, 1813-1814, Montréal, Éditions de l’Homme, 1981, p. 14-15.
  18. Lambert, p. 381.
  19. Ibid., p. 232.
  20. Wayne P. Hughes Jr., Fleet Tactics and Coastal Combat, Annapolis, MD, Naval Institute Press, 2000, p. 26.