Lettre à la rédaction

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Le désengagement des Forces canadiennes de l’Afghanistan en 2014. …C’est à Bieber de jouer, maintenant.

par le lieutenant de vaisseau David Lewis

Le Canada et les forces coalisées doivent se retirer de l’Afghanistan en 2014. L’une des principales préoccupations des Afghans est l’incertitude entourant l’après-désengagement. Beaucoup craignent de revivre l’ère qui avait suivi le départ des Soviétiques en 1989. Le retrait de l’URSS et le désintéressement de l’Occident avaient laissé un vide du pouvoir, qu’avaient ensuite comblé des éléments radicaux.

La situation a bien changé depuis que les derniers soldats russes ont traversé le pont de l’amitié vers l’Ouzbékistan. En 1989, ils ont laissé derrière un Afghanistan isolé et fermé qui avait à peine évolué au cours des millénaires. L’information y était diffusée presqu’exclusivement par les chefs tribaux. D’ailleurs, l’Afghanistan a toujours été un désert d’information contrôlé par les seigneurs de guerre.

De nos jours, le monde est beaucoup plus à la portée de tous qu’il ne l’était il y a deux décennies. Les frontières internationales, les différences culturelles et les barrières sociales, toutes, sont brouillées par l’avalanche des nouveaux médias faciles d’accès. L’Afghanistan n’est plus dans l’ombre. Au cours des dix dernières années, le progrès spectaculaire de Facebook, Twitter, YouTube et d’autres médias sociaux l’ont changé dans des proportions titanesques.

Les Talibans avaient interdit l’usage d’Internet. Ils le considéraient comme un outil de propagande occidentale sur lequel était diffusé du matériel obscène, immoral et anti-islamique. Les Afghans n’ont pu avoir accès à Internet qu’après l’entrée au pouvoir du gouvernement Karzaï en 2002. Depuis, le nombre d’entreprises de communications sans fil, de fournisseurs de services Internet, de stations radio et de canaux de télévision a connu un essor phénoménal. Le secteur des télécommunications est en tête de la reconstruction économique; quatre fournisseurs de services sans fil couvrent 75 pour 100 du pays à l’aide de 2 400 tours. Dès 2012, environ 85 pour 100 de la population du pays avait accès à des services de communication. Plus de 18 millions d’utilisateurs de téléphone disposent du service 4G, lancé en 2013.

Les Afghans utilisent aussi Twitter et Facebook comme outils de changement social. En 2012, plus d’un demi-million de comptes Facebook étaient enregistrés en Afghanistan. La plupart des Afghans qui utilisent Internet ont entre 18 et 35 ans; une excellente tranche démographique à mobiliser pour transformer le pays.

Alors que la dernière rotation (ROTO) de l’Op Attention vient de partir pour l’Afghanistan, je me remémore les 10 dernières années et mon expérience personnelle là-bas. Les Forces armées canadiennes ont fait montre de courage et ont payé très cher la défaite qu’ils ont aidé à infliger aux Talibans, en plus de collaborer à la « reconstruction » d’un pays qui n’avait en fait jamais été « bâti ». Nous avons fait beaucoup de bonnes choses en Afghanistan. À mon avis, l’histoire pourrait prouver que notre plus grand accomplissement, celui qui a produit les meilleures retombées, est la création, pour la première fois dans l’histoire de ce pays, d’un climat propice à l’émergence d’autres voix. Ces autres voix ont influencé, éveillé, inspiré et mobilisé le peuple afghan. De l’isolement, celui-ci est passé à l’inclusion.

Certains qualifieront ce raisonnement de simpliste. Il existe, nul doute, de nombreux autres facteurs qui influeront sur l’Afghanistan après 2014. Nous devons toutefois reconnaître que ce pays est aujourd’hui largement différent de ce qu’il a été à n’importe quel moment de son histoire. Les murs qui l’isolaient des forces externes se sont écroulés sous l’effet d’un mouvement intérieur. Le peuple afghan a les yeux grand ouverts, et il a soif de tout. L’islamisme radical sera défait par l’essor de la classe moyenne musulmane. Les Afghans vont dorénavant sur le Web, sur eBay, sur Amazon, sur Autotrader, ils consultent plus de 3 800 canaux de télévision en ligne et ils explorent le monde; ils refuseront de retourner au vide. Certes, les chefs tribaux et les Talibans auront toujours une voix, mais (ils ne seront plus qu’une voix parmi des milliers).

Un million de fillettes afghanes qui veulent écouter Justin Bieber avec leur iPhone pourraient faire plus pour opérer un changement durable que toutes les forces coalisées (mises ensemble). Le legs de 2014 n’aura rien à voir avec celui de 1989.

David Lewis
Le lieutenant de vaisseau David Lewis était directeur adjoint des médias sociaux pour la Mission de formation de l’OTAN en Afghanistan, stationnée au camp Eggers, à Kaboul, en 2011.

Une jeune Afghane se sert d’un iPhone à Kaboul.

Photo de Mohammad Ismail, Reuters RTR2RZ91

Une jeune Afghane se sert d’un iPhone à Kaboul.