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The Return to Mons, par Inglis Sheldon-Williams

Collection d’art militaire Beaverbrook, MCG 19702610813

The Return to Mons, par Inglis Sheldon-Williams

Un chemin de mémoire canadien pour le centenaire de la Grande Guerre?

par Pascale Marcotte

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Pascale Marcotte, Ph.D., est professeure associée et directrice du Comité de programmes des cycles supérieurs du Département d’études en loisir, culture et tourisme de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Le centenaire de la Première Guerre mondiale approche à grands pas. C’est un anniversaire très important pour le Canada comme pour le reste du monde. La guerre a fait plus de 10 millions de victimes à travers le monde, dont plus de 60 000 militaires canadiens. Certaines régions ont été particulièrement touchées par cette guerre qui a vu plusieurs pays être occupés ou ravagés, en totalité ou en partie, par de nombreuses années de combat. Plus de 600 000 Canadiens ont servi en Europe pendant cette guerre; c’est près d’un sixième des quelque quatre millions d’hommes que comptait alors la population du pays. Ces hommes ont combattu sur le sol de la France et de la Belgique, mais ils ont aussi partagé la vie de la population de ces pays pendant quatre ans. C’était la première fois dans l’histoire qu’autant de Canadiens séjournaient aussi longtemps dans un pays étranger1.

Le centenaire de la Première Guerre mondiale fera l’objet d’importantes cérémonies commémoratives dans les régions d’Europe où la guerre a eu de graves répercussions. Les Canadiens ont essentiellement combattu dans trois régions : les environs de la ville d’Ypres en Belgique, ainsi que la Picardie et le Nord-Pas-de-Calais en France2. Ils ont pris part aux batailles d’Ypres – c’est la seconde bataille du même nom – en 1915, du Bois du Sanctuaire en 1916, et de Paschendaele en 1917. Les Canadiens et les Terre-Neuviens ont aussi combattu en Belgique en 1918, respectivement à Mons et à Courtrai. C’est toutefois en France que Canadiens et Terre-Neuviens ont passé la plus grande partie de leur temps : dans la Somme en 1916 et 1918 (Amiens), mais surtout dans le Nord-Pas-de-Calais, où les champs de bataille de l’Artois et du Cambrésis ont vu tomber tant de Canadiens et de Terre-Neuviens. Depuis Festubert en 1915 jusqu’à Valenciennes à la fin de 1918, la feuille d’érable et le caribou ont été vus à Vimy, à Lens, à Arras, à Monchy-le-Preux, au passage du canal du Nord, à Cambrai, à Douai, à Denain et dans nombre d’autres villes et villages de la région. Une grande partie du Nord-Pas-de-Calais a été libérée par le Corps d’armée canadien pendant les Cent Jours de la fin de 1918.

Au-delà des combats, les Canadiens ont vécu dans ces régions pendant plusieurs années; ils ont côtoyé leur population, partagé ses souffrances et ses espoirs. Lorsqu’ils n’étaient pas en première ligne, les soldats logeaient dans les villes et les villages du pays, et les quartiers généraux et les unités de soutien y étaient établis. Les hôpitaux, de même que les services de logistique et d’approvisionnement, entretenaient des contacts quotidiens avec les Belges et les Français. Pendant quatre années, les Canadiens ont tissé des liens profonds et durables avec ces populations. Lorsque le Corps canadien quitte le territoire français pour pénétrer en Belgique à la fin de l’offensive des Cent Jours en 1918, le correspondant de guerre John Frederick Bligh Livesay écrit : « Nous laissons derrière nous la France et un peuple que les soldats canadiens en sont venus à aimer et à révérer après quatre ans3 » [TCO]. Il n’y a pas de doute que les Canadiens ont eu des contacts plus fréquents et plus constants avec les Français qu’avec les Belges, surtout dans le Nord-Pas-de-Calais. Même lorsqu’ils combattaient dans la région d’Ypres, les Canadiens avaient souvent leurs lignes arrière établies dans le département français tout proche du Nord. C’est là qu’ils logeaient, qu’ils s’entraînaient et qu’ils avaient leurs plus nombreuses interactions avec la population.

Front occidental, 1914-1918 - Opérations du C.E.C.

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Photo de la Direction – Histoire et patrimoine

Front occidental, 1914-1918 - Opérations du C.E.C.

Les Canadiens ont passé plusieurs années en Belgique et en France, dans le Nord-Pas-de-Calais en particulier. Ils ont séjourné dans des villes comme Armentières et Arras, contribué largement à la libération de Lens, de Cambrai, de Douai, de Denain et de Valenciennes. À chacun de ces endroits, les Canadiens ont marqué profondément la mémoire de la population; ils en sont revenus eux aussi chargés de souvenirs inoubliables. À propos de Denain, par exemple, une ville de quelque 20 000 habitants dans la banlieue ouest de Valenciennes, J.F.B. Livesay déclare avec émotion ce qui suit : « Il n’y a pas de joyau qui brille avec plus d’éclat, de constance et d’ardeur que les bons habitants de Denain. Ils n’ont pas frappé de médaille, ni nommé de place en notre honneur, mais ils nous ont donné leur cœur tout entier, et avec lui, ce qu’ils avaient de plus cher : Denain, une petite commune qui ne paie pas de mine, mais qui nous laisse un souvenir heureux et ineffaçable4 » [TCO]. Pourtant, qui, au Canada se souvient aujourd’hui de Denain? Et qui se souvient des villages de Villers-au-Bois et de Gouy-Servins, où les Canadiens ont passé de longues semaines à se reposer ou à s’entraîner, des caves d’Arras ou des fermes du Cambrésis où les soldats ont été cantonnés? Qui parle encore des forêts du Nord, de la Normandie, du Jura et des Landes, où quelque 12 000 membres du Corps forestier canadien exploitaient des dizaines de chantiers et de scieries à la fin de la guerre? Quelques Français s’en souviennent encore, mais au Canada, en général, on a trop vite oublié les liens tissés dans la souffrance de la guerre et la joie de la libération avec les peuples de la France et de la Belgique.

Les cérémonies commémoratives qui approchent devraient être l’occasion de renouer ces liens. La Première Guerre mondiale a une portée qui dépasse largement le cadre des opérations militaires dans le Nord de la France et en Belgique. Elle touche tous les aspects de la vie et imprègne encore profondément le paysage. Malheureusement, quand on voyage aujourd’hui dans ces régions, il est très difficile de retrouver la trace du passage des Canadiens. Il y a bien un imposant monument à Vimy : il est bien connu et fréquenté par des milliers de visiteurs. Mais dès que l’on sort du parc de Vimy, la trace des Canadiens s’estompe. Il y a des milliers de tombes dans les cimetières du Commonwealth et les mémoriaux discrets érigés près de Courcelette, du bois de Bourlon et de Dury. On voit aussi des caribous terre-neuviens à Beaumont-Hamel, Gueudecourt, Monchy-le-Preux et Masnières. Cependant, on ne trouve pas de traces de la présence des quartiers généraux du Corps canadien à Rebreuve-Ranchicourt (1917), ni de ceux du Corps forestier canadien dans le Jura et dans les Landes. Pas de musée non plus que les Français ou les touristes canadiens puissent visiter pour découvrir l’expérience qu’ont vécue les Canadiens en Europe entre 1914 et 1918.

Canadians Passing in Front of the Arc de Triomphe, Paris, par Alfred Bastien

Collection d’art militaire Beaverbrook, MCG 197102610085

Canadians Passing in Front of the Arc de Triomphe, Paris, par Alfred Bastien

D’autres pays ont adopté une approche plus résolue et sont de ce fait beaucoup plus présents dans le paysage. C’est le cas de l’Australie, un pays certainement pas plus grand que le Canada, beaucoup plus éloigné et qui ne possède pas les liens traditionnels que le Canada entretient avec la France. L’Australie est pourtant déjà bien engagée dans la préparation des cérémonies commémoratives de la Première Guerre mondiale. Il existait déjà un musée franco-australien à Villers-Bretonneux, site du départ de la bataille d’Amiens du 8 août 1918. Deux autres musées franco-australiens ont récemment été ouverts à Feuchy et Bullecourt, près d’Arras, deux localités où les Canadiens se sont eux aussi signalés en 1918. En choisissant de s’associer à la France pour exploiter ces musées, l’Australie s’assure une meilleure collaboration pour leur gestion et leur promotion auprès du public français. C’est aussi une déclaration publique d’amitié qui ne peut qu’inspirer la sympathie parmi la population.

L’Australie a également décidé d’investir 7,5 millions d’euros (environ 10 millions de dollars) dans la construction d’un « chemin de la mémoire australien »5. Un chemin de mémoire est un circuit d’interprétation, et l’on sait que le tourisme dans le Nord de la France et la région d’Ypres est très fortement axé sur le souvenir de la Première Guerre mondiale. La très grande majorité des touristes qui fréquentent ces régions sont d’abord attirés par les témoignages de la guerre qui parsèment le paysage : cimetières, monuments, musées, portions de champ de bataille. Le ministère de la Défense français a déjà établi ses chemins de mémoire à travers le pays; la région du Nord-Pas-de-Calais l’a aussi fait pour la Première Guerre mondiale6. Ce sera bientôt au tour de l’Australie d’inaugurer le sien. Le Canada ne pourrait-il pas envisager de faire la même chose, lui qui a vu tant de ses soldats lutter si dur pour la libération de ces régions?

Soldats canadiens défilant dans les rues de Mons, le matin du 11 novembre 1918.

Canada. Ministère de la Défense nationale/Bibliothèque et Archives Canada PA-003547

Soldats canadiens défilant dans les rues de Mons, le matin du 11 novembre 1918.

À l’heure actuelle, il est trop souvent impossible pour un Français ou pour un Canadien de passage de savoir qu’il se trouve près d’un site représentatif de la présence et de l’action canadiennes pendant la Grande Guerre. Il y a une foule d’endroits – des restaurants, des hôtels, des places urbaines, des églises, des maisons de ferme – où les Canadiens ont séjourné et mené des activités lourdes de sens pour les gens de l’endroit. Un Canadien qui visite la région serait heureux de savoir qu’il se trouve là où d’autres Canadiens ont combattu pour libérer le pays, il y a un siècle de cela. Les Français et les Belges seraient eux aussi heureux et fiers de pouvoir reconnaître le passage de leurs libérateurs. Les autorités locales s’empresseraient très probablement d’installer elles-mêmes des plaques ou quelque autre signe si nous leur indiquions les endroits que nous, Canadiens, voudrions voir reconnaître. Les historiens canadiens pourraient collaborer avec les autorités françaises et belges, de même qu’avec les organisations régionales, pour recenser ces endroits et ainsi amorcer la mise sur pied d’un chemin de mémoire canadien en France et en Belgique. Le centenaire de la Première Guerre mondiale devrait être l’occasion de rappeler non seulement le sacrifice de milliers de soldats canadiens, mais aussi les liens étroits et profonds qui se sont tissés pendant quatre ans entre le Canada et des régions d’Europe qui veulent en entretenir le souvenir. Vimy est un monument remarquable, peut-être le plus beau des monuments commémoratifs de la Première Guerre mondiale, mais le Canada a fait bien plus que cela entre 1914 et 1918. Profitons de l’occasion qui s’approche pour le rappeler à tous.

Je tiens souligner la contribution exceptionnelle de monsieur Jean Martin, historien à la Direction – Histoire et patrimoine du ministère de la Défense nationale, pour les informations de nature historique, ainsi que les riches discussions qui ont abouti à la rédaction de cet article. Merci. Je remercie également la petite-fille de monsieur Joseph Armand Stanislas Paillé, du Royal 22e Régiment, qui s’est battu à Vimy en avril 1917.

Unveiling Vimy Ridge Monument, 1936, par Georges Bertin Scott

Collection d’art militaire Beaverbrook, MCG 19670070014

Unveiling Vimy Ridge Monument, 1936, par Georges Bertin Scott

Notes

  1. Il n’y a qu’en Grande-Bretagne, pendant la Seconde Guerre mondiale, qu’un nombre comparable de Canadiens s’est installé pour une aussi longue période.
  2. La région de la Picardie comprend notamment le département de la Somme, où les Canadiens et les Terre-Neuviens ont combattu entre 1916 et 1918. Quant à la région du Nord-Pas-de-Calais, elle est constituée des deux départements français du Nord et du Pas-de-Calais.
  3. John Frederick Bligh Livesay, Canada’s Hundred Days: With the Canadian Corps from Amiens to Mons, August 8-November 11 1918, Toronto, Thomas Allen, 1919, p. 394.
  4. Ibid., p. 348.
  5. Voir le site Web de l’ambassade de France à Canberra, « Réouverture du musée de Bullecourt 1917, 1re étape d’un chemin de mémoire australien », https://ambafrance-au.org/Reouverture-du-musee-de-Bullecourt.
  6. Voir « À la découverte des lieux de mémoire », http://www.cheminsdememoire.defense.gouv.fr/, et « Chemins de mémoire de la Grande Guerre en Nord-Pas-de-Calais », http://www.cheminsdememoire-nordpasdecalais.fr/.