Critiques de livres

Couverture de livre « War from the Ground Up: Twenty-First Century Combat as Politics »

War from the Ground Up: Twenty-First Century Combat as Politics

par Emile Simpson
Oxford University Press, 2012
256 pages, 34,15 $ (couverture rigide)
ISBN 13 : 978-0199327881
ISBN 10 : 0199327882

Imprimer PDF

Pour plus d'information sur comment accéder ce fichier, veuillez consulter notre page d'aide.

Critique de Michael Goodspeed

Au cours des 20 dernières années, une pléthore de nouvelles théories ont surgi à propos de la guerre et de son évolution récente. Depuis la chute du mur de Berlin, la guerre moderne se décrit à grands renforts de néologismes, qui témoignent de la vaste étendue de la pensée conceptuelle sur le sujet : guerre asymétrique, guerre réseaucentrique, cyberguerre, info-guerre, guerre à trois volets, Révolution dans les affaires militaires, révolution COIN, longue guerre, grande guerre contre le terrorisme et guerre de quatrième génération, pour n’en nommer que quelques-uns. Ces termes ont tous une certaine validité en ce sens qu’ils correspondent à des pièces d’un même grand casse-tête. L’une des études les plus pénétrantes et rigoureuses de la guerre moderne, issue du courant moderne dont il est question ici, a été publiée dans un ouvrage récent intitulé War from the Ground Up: Twenty-First Century Combat as Politics. Cette étude d’importance traite de la façon dont les armées, mais aussi les sociétés libérales, doivent envisager la mutation de la guerre moderne.

War from the Ground Up a été écrit par M. Emile Simpson, un capitaine récemment retraité du Royal Ghurkha Rifles. Avant d’écrire cet ouvrage, Simpson a pris part à trois déploiements en Afghanistan, au niveau de la compagnie, puis a passé toute une année comme chercheur boursier à l’Université Oxford. L’ouvrage éclairé sur lequel porte la présente critique est le fruit de ces déploiements et de cette année de recherche.

Même si War from the Ground Up contient de nombreuses références à l’expérience personnelle de l’auteur, il n’est pas un récit autobiographique. Simpson voit beaucoup plus grand. Il conjugue sa propre expérience de la contre-insurrection à une analyse indirecte du « paradigme clausewitzien » et en vient à la conclusion que les théories de Clausewitz ne sauraient expliquer ni décrire ce que la guerre est devenue.

À l’instar des théoriciens de la guerre qui l’ont précédé, tels que Thomas Hammes et Rupert Smith, Simpson croit que la nature de la guerre ayant changé, les modèles fondés sur la guerre interétatique conventionnelle ne correspondent plus à la réalité. Simpson s’éloigne toutefois de ses contemporains lorsqu’il postule que l’Occident doit approfondir sa compréhension et son expertise du maniement de ce qu’il appelle les « discours stratégiques », soit les communications destinées aux « publics stratégiques » du conflit. Pour lui, les publics stratégiques d’une guerre sont les groupes clés d’une zone de guerre, de même que toutes les factions touchées par la guerre. Poursuivant sur ces deux axes de réflexion, il évalue la nature « kaléidoscopique » de la contre-insurrection et des divers groupes ou publics que touche l’insurrection à l’ère moderne. En cela, Simpson considère la guerre moderne non pas selon la dimension polarisée que lui donnait Clausewitz, mais plutôt comme une arène politique : elle est considérablement plus complexe, plus polymorphe et plus dynamique que l’opposition relativement simple entre les deux parties adverses d’un conflit interétatique. Il s’ensuit que, comme dans une campagne politique, le vainqueur d’une insurrection moderne ne parviendra pas à satisfaire toutes les factions ou tous les publics, de sorte qu’il ne peut pas aspirer à la victoire absolue.

Simpson consacre une bonne partie de son ouvrage à l’étude des thèmes interreliés des « discours » et des « publics », envisagés selon de nombreux points de vue différents, dont ceux de la mondialisation, de la stratégie et de l’État libéral, des dimensions éthiques de la guerre moderne et des niveaux de stratégie. De fait, son livre se veut moins un traité sur la conduite de la guerre qu’un examen abstrait de la façon de distinguer les moyens et les effets de la guerre moderne. Simpson appuie son argumentation en partie sur sa propre expérience et sa propre compréhension de la campagne menée en Afghanistan, de même que sur d’autres campagnes. Il s’inspire surtout de Bornéo et de Dhofar, mais fait aussi brièvement référence à quelques autres campagnes.

L’un des principaux arguments qu’avance Simpson est que les États libéraux modernes se méprennent souvent sur la nature de la guerre et que, ce faisant, ils ont amalgamé la guerre et l’action politique internationale. À son avis, la guerre est passée du concept de la politique par d’autres moyens de Clausewitz à celui de la politique internationale par d’autres moyens. Il résume son argument de la façon suivante :

La confusion des moyens et des effets se rattache directement à l’interprétation du postulat de Clausewitz selon lequel la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Une interprétation étroite de cette affirmation réduit l’usage réel de la force à un « instrument » que la guerre fournit à l’exercice de la politique. Toutefois, la guerre proprement dite, comme structure interprétative qui donne son sens à la force employée, est également un instrument. Un stratège qui n’a pas assimilé cette réalité assortit un « message » à un moyen déterminé. Cette confusion des moyens et des effets est indissociable de la conception de la guerre comme une structure unique et fixe dans laquelle les actions des forces armées seront interprétées en fonction de leur importance militaire. [TCO]

D’aucuns diront que cette insistance sur une analyse plus fine de la fin et des moyens n’a rien de très nouveau. Après tout, l’idée bien établie de vaincre une insurrection « en gagnant le cœur et l’esprit » du peuple plutôt qu’en « infligeant des pertes » comprenait déjà en elle cette notion, et le concept de la complexité de la guerre n’est assurément pas original. Depuis la nuit des temps, les États membres d’une coalition ont toujours combattu pour des motifs fort distincts et mené la guerre avec des visées radicalement différentes. De même, dans les conflits inter-sociétaux complexes, les groupes et les classes perçoivent les motivations, la conduite et les conséquences de la guerre de façons très différentes. En revanche, l’ouvrage est original et utile parce que Simpson y brosse un portrait exhaustif des conceptions, des répercussions et de l’utilité de la guerre, puis fait valoir avec éloquence la pertinence d’approfondir notre réflexion sur les conflits et sur la façon d’exprimer les actions et les messages concernant la guerre. Il prétend que les sociétés occidentales n’ont pas réfléchi assez sérieusement à propos de l’usage de la force dans la conduite de la politique internationale, et que les démocraties libérales ne font pas la distinction entre la guerre interétatique ou « clausewitzienne » et la guerre d’insurrection moderne.

Simpson se garde de faire de grandes déclarations, mais il exhorte implicitement à une approche moins bornée à l’égard de la guerre et des affaires internationales. Comme il le montre en prenant pour exemples tant l’Iraq que l’Afghanistan, beaucoup trop d’officiers, de diplomates et de politiciens ont été surpris par l’insurrection qui a suivi l’invasion et l’occupation initiales. Les stratèges étaient trop peu nombreux à avoir pris au sérieux les idées de Galula – ou même à sembler comprendre l’expérience des grandes puissances dans des conflits longs et difficiles comme ceux du Vietnam et de l’Irlande du Nord, voire celle de la Russie en Afghanistan même.

Du point du vue du Canada, où la réflexion des dirigeants sur la complexité de la guerre et l’instabilité internationale est d’une maladresse et d’un flou notoires depuis les années 1960, à tout le moins, cet ouvrage s’avère particulièrement pertinent. Cela tient peut-être au fait que nous avons la plupart du temps choisi nos guerres et que, pour la majorité des Canadiens, notre participation aux conflits en Corée, dans le Golfe, au Kosovo et en Afghanistan était apparemment sans conséquence, ces lieux étant si éloignés que la guerre n’avait pas d’incidence sur leur vie de tous les jours. Pourtant, dans notre environnement intensément mondialisé, la chute d’un État, un soulèvement populaire et des actes de violence commis par des extrémistes peuvent avoir des répercussions très rapides à une distance considérable. Il est donc particulièrement important que nos dirigeants se familiarisent d’avance avec les enjeux, les écueils et la nature des conflits modernes. War from the Ground Up représente un apport substantiel pour quiconque souhaite comprendre cet aspect du comportement humain.

S’il s’agit d’une lecture passionnante, elle n’est toutefois pas rapide. L’analyse de Simpson est posée, extrêmement méthodique et parsemée d’aphorismes invitant le lecteur à la réflexion sur les implications de ses propos. Disons même que certaines de ses affirmations les mieux tournées ont de bonnes chances de passer à l’histoire parmi les citations militaires les plus mémorables. À cause de sa densité, War from the Ground Up risque peu d’attirer la faveur du grand public. Cet ouvrage est néanmoins un livre d’importance dont pourrait profiter la majorité des officiers militaires, des journalistes aux affaires internationales, des diplomates, des universitaires et des politiciens fédéraux.

Les technologies nouvelles telles que les drones armés et les techniques de surveillance de pointe changent la nature des conflits et nous contraignent par le fait même à repenser les concepts stratégiques que sont les fins, les moyens, les publics et les discours. Il s’agit là d’un processus sans cesse renouvelé, de sorte que War from the Ground Up ne doit pas être perçu comme un résumé définitif de la portée et des répercussions de la guerre moderne. Cet ouvrage nous fournit cependant un cadre de référence utile qui orientera notre réflexion sur les conflits et leur nature changeante.

Le lieutenant-colonel (à la retraite) Michael Goodspeed, CD, est romancier et historien en plus d’être un ancien officier d’infanterie. Il contribue aussi régulièrement à la Revue militaire canadienne. Il vit dans l’Est de l’Ontario.