Critiques de livres

Couverture de livre « The Phantom Army of Alamein »

The Phantom Army of Alamein

par Rick Stroud
London, Bloomsbury Publishing, 2012
275 pages, 30 $
ISBN : 978-1-1088-2910-3

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Critique de Debbie Miller

Si quelqu’un vous demandait votre avis sur l’opération Bertram, sauriez-vous de quelle opération il s’agit? Je doute que le commun des mortels le sache, sauf bien sûr s’il est un féru historien ou un mordu de l’art du camouflage.

Ce livre est un ouvrage bien rédigé et annoté qui traite du jumelage de deux thèmes fort hétéroclites : l’art du décor théâtral sur fond de guerre, en particulier la campagne nord-africaine de la Deuxième Guerre mondiale, et les événements qui ont mené à la deuxième bataille d’El Alamein.

Nous sommes en 1940, et le Major Geoffrey Barkas a rassemblé un groupe d’ensembliers de théâtre, de cinéastes, de sculpteurs, de modélistes, d’artistes et de peintres de décors qui formera le noyau de la toute nouvelle unité de camouflage. The Phantom Army of Alamein raconte, pour la première fois et en détail, comment certains des hommes les plus créatifs de la Grande-Bretagne ont mis de côté leurs pinceaux, leurs crayons et leurs caméras pour rejoindre la lutte contre les Nazis menée par le reste du monde, et comment ils ont joué un rôle essentiel dans la victoire. Cette unité avait pour mandat de soutenir la 8th Army britannique à l’aide d’un mélange de camouflage et de dissimulation, en utilisant tout ce qu’elle avait sous la main, dans une zone et à une époque où les ressources étaient très rares. Par exemple, aux tout premiers débuts de l’unité, pendant le siège de Tobruk, les membres ont fait en sorte qu’une usine de dessalement vitale ait l’apparence d’une usine bombardée par les Allemands. À partir de ce moment, ils ont mis à profit leur créativité pour créer un tissu d’intrigues et de mesures de déception; pour faire apparaître des choses et en faire disparaître d’autres, le tout pour tromper l’ennemi et donner l’avantage aux Alliés. Imaginez disposer d’un plateau de tournage de la grandeur du désert occidental, plat et presque dénudé, bordé par la mer méditerranée et par la dépression de Qattara, sur lequel il est possible de créer les illusions voulues. Le principal projet de l’unité en 1942 est devenu une arme cruciale du General Bernard Montgomery sur le champ de bataille, ce dernier ayant demandé à l’unité de concevoir un plan pour masquer et dissimuler tous les préparatifs requis pour la deuxième bataille d’Alamein.

L’opération Bertram à El Alamein a été la plus importante campagne de déception visuelle. C’était une entreprise monumentale de tromperie dans l’Histoire, et elle est au cœur de ce récit. Donc, qu’ont fait au juste ces soldats-artistes-modélistes-camoufleurs? Comment ont-ils dupé ce renard du désert allemand qu’était Erwin Rommel? La réponse à ces questions constitue la meilleure partie du livre. En général, je crois qu’il convient d’affirmer que les membres de l’unité ont eu recours à deux approches. Premièrement, ils ont fait disparaître l’armement principal — non pas en le faisant se volatiliser, mais en lui donnant une autre apparence, celle d’un objet moins menaçant, inoffensif. Les chars d’assaut ont été transformés en camion. L’artillerie de campagne a été camouflée sous d’autres formes. La nourriture, le carburant et les autres approvisionnements ont été recouverts et empilés de façon à ressembler à des véhicules de transport inoffensifs. Deuxièmement, à d’autres moments, pour d’autres raisons, ils ont fait exactement le contraire. Utilisant savamment les matériaux les plus simples, ils ont construit des trompe-l’oeil (chars, artillerie, véhicules de soutien) pour créer une scène illusoire, pour faire apparaître des choses inexistantes – une illusion d’optique. Ainsi, ils ont fait croire à l’ennemi que les forces alliées étaient rassemblées à des endroits et à un moment bien loin de la réalité. Lors de la deuxième bataille d’El Alamein, où ces méthodes ont été utilisées, les Alliés ont remporté leur première victoire terrestre d’importance. Entre autres, Rommel avait été dupé par une armée faite de fils, de paille et de bouts de bois.

Rick Stroud présente admirablement bien la nature épique des tactiques de déception utilisées dans le cadre de l’opération Bertram et le rôle de ces dernières dans la bataille d’El Alamein. Certains se plaisent à affirmer que les Britanniques ne sont pas des gens inventifs et « ne fabriquent pas grand-chose ». Ce récit bien fignolé va au-delà de plusieurs ouvrages sur la Deuxième Guerre mondiale que j’ai consultés dernièrement, et il représente le mélange parfait de sujets inusités et de recherches sérieuses, le tout couronné d’un bon vieux style de rédaction réfléchi. Stroud décrit l’atmosphère et le chaos de la guerre dans le désert, les héros du récit allant et venant dans la zone de guerre à bord de véhicules camouflés. Ils ont construit des merveilles avec des morceaux de rebuts, comme dans un épisode de MacGyver. Ces hommes étaient des génies. Leur esprit d’improvisation et leur fibre artistique étaient grandioses, et les enjeux étaient très élevés. Devoir accomplir cette tâche alors que la bataille faisait rage et que les armées se déplaçaient en tout sens dans le désert devait relever du cauchemar. Fort de la victoire remportée à El Alamein, la première victoire britannique de la Deuxième Guerre mondiale remportée sans l’aide des États-Unis, Winston Churchill a affirmé devant la Chambre des communes le 11 novembre 1942 : « Grâce à un merveilleux système de camouflage, nous avons été en mesure d’orchestrer une surprise tactique totale dans le désert [TCO]. »

Plus je lisais et relisais ce livre, plus un mantra souvent cité de Sun Tzu me revenait à l’esprit. Le grand philosophe militaire disait au sujet de la déception en temps de guerre : « Lorsqu’on peut attaquer, l’ennemi doit croire qu’on ne le peut pas; lorsqu’on utilise nos forces, nous devons sembler inactifs; lorsque nous sommes près, nous devons sembler loin; lorsque nous sommes loin, nous devons faire croire à l’ennemi que nous sommes près. » Je ne crois pas qu’il existe de meilleure description de ce que les « magiciens » alliés ont accompli que cette citation vieille de plusieurs centaines d’années, crevante de vérité tant à l’époque de Sun Tzu ou pendant la Deuxième Guerre mondiale qu’aujourd’hui au XXIe siècle…

Le lieutenant-colonel Deborah Miller, OMM, CD, est actuellement l’officier supérieur d’état-major – planification stratégique à l’Académie canadienne de la Défense à Kingston. Elle est titulaire d’une maîtrise en Histoire, ainsi que d’une maîtrise en Études de la défense du Collège des Forces canadiennes.