CRITIQUES DE LIVRES

Couverture de livre « Modern Military Strategy: An Introduction » par Elinor C. Sloan

Modern Military Strategy: An Introduction

par Elinor C. Sloan
Londres et New York, Routledge, 2012
151 pages, 37,25 $
ISBN 9780415777711

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Critique de Richard L. Bowes

L’étude de la pensée stratégique et donc, le débat sur la pertinence de la pensée stratégique de nos jours, sont des sujets bien connus de tout diplômé récent du Collège de commandement et d’état-major et de tout universitaire civil ou spécialiste de niveau supérieur du domaine militaire. C’est particulièrement vrai pour ceux qui possèdent une expérience de première main des bouleversements et des changements des 20 dernières années dans la nature du système international et de la manière dont ces changements se sont manifestés dans la conduite de la guerre. Pourtant, il aurait été difficile de trouver un corpus de textes ou de travaux de recherche résumant avec exactitude et concision l’état actuel de la pensée stratégique militaire… jusqu’ici.

Dans cette superbe analyse de la pensée stratégique militaire actuelle, Elinor Sloan se propose de répondre à certaines questions clés. Animée par la curiosité typique des étudiants de cycle supérieur et, je suppose, par la difficulté pour les étudiants de comprendre la pertinence de l’étude de Clausewitz, de Jomini ou de Mahan dans un contexte contemporain, Sloan ne se contente pas de chercher à établir s’il existe encore des penseurs stratégiques, mais veut également savoir si la pensée stratégique a encore de l’importance aujourd’hui.

Pour répondre à ces questions, Sloan organise son ouvrage de manière fonctionnelle. En huit chapitres, elle nous accompagne dans une analyse sur le développement de la pensée stratégique dans l’histoire jusqu’à notre époque, dans chacun des domaines ou des dimensions pertinents. Les traditionnelles dimensions mer, terre et air de la pensée stratégique sont abordées en premier lieu dans les chapitres portant sur la puissance maritime, la puissance terrestre et la puissance aérienne respectivement. Les cinq autres chapitres portent sur ce qu’on pourrait considérer comme les domaines émergents de la pensée stratégique au XXIe siècle : la théorie interarmées et la transformation militaire; la guerre irrégulière; l’insurrection, la contre-insurrection et la nouvelle guerre; la cyberguerre; la puissance nucléaire et la dissuasion; la guerre spatiale. Chaque chapitre se termine par un résumé des principes clés de la pensée stratégique exposée et des penseurs notables qui y sont associés. On pourrait soutenir que la théorie de la dissuasion nucléaire existe depuis bientôt 70 ans, mais l’auteure discute longuement de l’état actuel de la pensée stratégique concernant la prolifération nucléaire dans l’ère de l’après-Guerre froide, où la logique de la destruction mutuelle assurée (MAD) ne s’applique plus.

Les chapitres sur la puissance terrestre et la guerre irrégulière sont particulièrement intéressants. Dans le premier, tout en accordant le crédit qui revient à Sun Tzu, à Liddell-Hart, à Clausewitz et à Jomini, l’auteure consacre le reste du chapitre à un exposé et une analyse sur la pensée stratégique en matière de recours à la puissance terrestre conventionnelle, de la Guerre froide jusqu’à l’actuelle ère de l’après-11 septembre. Elle décrit de manière très intéressante la tension entre les premiers disciples de la Révolution dans les affaires militaires (RAM), comme Andrew Krepinevich, pour qui les effets multiplicateurs de la force de combat que procurent le réseautage et la distribution des forces éliminent le besoin de forces massives, et les contre-révolutionnaires tels que Robert Scales qui, tout en reconnaissant la valeur des forces de combat réseautées, nous rappellent néanmoins le fait immuable que la guerre terrestre, intrinsèquement, nécessite encore et toujours une présence physique sur le terrain.

De même, dans le chapitre sur la guerre irrégulière, Sloan présente d’abord la pensée de Mao Tsé-Toung, de T. E. Lawrence, de C. E. Caldwell et de Robert Thompson, entre autres, mais elle dirige rapidement le lecteur vers les grands courants de pensée stratégique qui sont issus principalement des conflits de l’après-11 septembre en Iraq, en Afghanistan et ailleurs. Comme elle le souligne habilement, il y a eu de grandes réflexions en très peu de temps dans ce domaine, particulièrement en ce qui concerne les théories qui sous-tendent la planification et la conduite des opérations de contre-insurrection. Martin van Creveld, William Lind, Thomas Hammes et David Kilcullen sont autant de grands spécialistes reconnus du domaine qui ont élaboré des théories comme celles de la guerre de quatrième génération (G4G) ou de la guerre non trinitaire. Sloan offre également un résumé très utile du manuel de campagne américain sur la contre-insurrection (FM 3-24), qui a été publié en 2006. Elle conclut ce chapitre en faisant observer que le défi en matière de conduite de la contre-insurrection, pour toute nation, consiste « à trouver la patience et la volonté politique de maintenir l’application, dans le temps, des éléments durables de la théorie de la contre-insurrection » [TCO].

Dans ce livre compact, Sloan atteint largement son objectif principal de produire un ouvrage contemporain qui, en plus d’établir s’il existe des penseurs stratégiques de nos jours, détermine si la pensée stratégique a encore de l’importance dans notre monde de l’après-11 septembre. L’un des points forts particuliers de cet ouvrage tient à son caractère équilibré et centré sur le sujet. L’auteure parvient à cet équilibre grâce à sa capacité d’effectuer des recherches approfondies sur chacun des domaines de la pensée stratégique, tout en conservant une remarquable objectivité savante dans la description qu’elle fait des principes de chacune des théories et de chacun des penseurs qu’elle présente. Par ailleurs, même si l’on comprend que la majeure partie de la pensée stratégique provient des États-Unis de nos jours, il est évident que Sloan a déployé des efforts considérables pour découvrir et faire connaître des sources pertinentes de pensée stratégique qui sont d’origines autres qu’américaines. À cet égard, on sent qu’elle aborde le sujet avec une perspective très canadienne.

Avec l’immense quantité de matériel et de connaissances à sa disposition, Elinor Sloan parvient à cibler le cœur de la question dans tous les domaines de la pensée stratégique. Son analyse ciblée est ce qui apporte à cet ouvrage sa valeur à titre de ressource indispensable tant pour les spécialistes militaires de niveau supérieur que pour les étudiants des domaines militaires et stratégiques. Chaque chapitre résume le sujet avec concision et objectivité, mais les notes en fin d’ouvrage et la bibliographie constituent des références des plus pratiques et détaillées sur d’autres lectures et analyses possibles dans ce domaine d’études.

Elinor Sloan conclut son ouvrage en affirmant que les principes et les énoncés qu’elle souligne dans son livre sont « les premiers jalons de la compréhension, au XXIe siècle, du rôle des forces militaires dans la politique de sécurité d’une nation, c’est-à-dire, dans la stratégie moderne » [TCO]. Ce faisant, elle reconnaît la nature très dynamique et présciente de la stratégie militaire moderne. Elle aiguise notre désir d’en savoir plus. Des ouvrages poursuivant dans le sens de Modern Military Strategy seraient des ajouts très utiles à ce domaine dans les années à venir.

Le lieutenant-colonel (ret) Rick Bowes, CD, MA, MBA, est directeur principal du développement commercial chez ATCO Structures and Logistics. Diplômé du Collège militaire royal du Canada et du Collège d’état-major et de commandement des Forces canadiennes, il a été officier au sein de l’Armée canadienne de 1984 à 2003. Il possède une maîtrise en administration des affaires pour cadres de l’Université d’Athabasca.