HISTOIRE MILITAIRE

Alfred Bastien/À l’assaut, Neuville-Vitasse/MCG 19710261-0056/Collection d’art militaire Beaverbrook/Musée canadien de la guerre

À l’assaut, Neuville-Vitasse, peinture d’Alfred Bastien. Le 22e Bataillon a lancé une attaque à l’est du village, à la fin du mois d’août 1918. Georges Vanier a toujours soutenu qu’il était l’officier au pistolet, à l’avant-plan.

La nécessité d’avancer : la bataille de Chérisy ou le massacre de troupes québécoises (août 1918)

par Carl Pépin

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Carl Pépin détient un doctorat en histoire de l’Université Laval, et est un spécialiste de l’histoire des pratiques de la guerre. C’est à ce titre qu’il a travaillé pour différents établissements, dont l’Université Laval, l’Université du Québec à Montréal, le Collège militaire royal du Canada, et l’organisme Historica Canada. Son plus récent ouvrage, publié en 2013 aux éditions de la Fondation littéraire Fleur de Lys, s’intitule: Au Non de la Patrie : les relations franco-québécoises pendant la Grande Guerre (1914-1919).

Introduction : la campagne des Cent Jours (1918)

Le Corps d’armée canadien a été déployé en Picardie aux premiers jours d’août 1918. Inséré dans l’ordre de bataille de l’armée britannique, il comprenait alors quatre divisions d’infanterie totalisant 48 bataillons ainsi que leurs unités de soutien. Les Canadiens arrivaient tout juste de la bataille d’Amiens, engagement victorieux qui a marqué la première phase de la campagne des Cent Jours1. En effet, sous le haut commandement du maréchal Ferdinand Foch, la campagne des Cent Jours consistait, pour les Alliés, en une série d’offensives de longue haleine qui s’échelonneraient sans arrêt jusqu’à l’armistice du 11 novembre. La bataille d’Amiens en avait donné le coup d’envoi.

Carte du front occidental, 1914-1918

Direction – Histoire et patrimoine

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Vainqueurs, mais épuisés, les soldats canadiens avaient infligé de rudes coups à l’ennemi, mais la fin des combats dans ce secteur ne leur laissa guère de répit. Dès la fin août, le Corps canadien a été transféré plus au nord, dans un secteur lui étant relativement familier, celui d’Arras-Lens-Vimy, où les troupes avaient combattu au printemps et à l’été de 1917.

De là, l’état-major du Corps canadien s’est vu assigner une nouvelle mission, à savoir celle de participer à la prise de Cambrai, le prochain objectif des forces de l’Entente dans le Pas-de-Calais. Les Canadiens héritaient d’une ligne de départ particulièrement difficile. Positionnés à la droite de la 1re Armée britannique, ils devaient ultimement s’attaquer à l’une des sections les plus redoutables de la Ligne Hindenburg, la Ligne Drocourt-Quéant, du nom des deux villages qui en délimitent les extrémités. Ces positions étaient certes jugées imprenables, les Allemands ayant eu le temps d’aménager des réseaux de tranchées, de fortifications et de barbelés qui s’étendaient à perte de vue. Pour quiconque observe le front allemand aux endroits nommés, un seul mot venait en tête : impossible. L’objectif était imprenable.

Évidemment, le commandant du Corps canadien, le lieutenant-général Sir Arthur Currie, en était parfaitement conscient, mais, à l’instar des autres formations franco-britanniques dans le secteur, il savait n’avoir d’autre choix que de reprendre l’offensive aussi vite que possible. En attaquant Drocourt-Quéant, il pouvait conserver l’avantage, voire le rythme, sur un ennemi encore sous le choc de la défaite d’Amiens des jours précédents. Currie hésitait, le commandement britannique également, mais il fallait avancer malgré tout2.

Pour prendre Cambrai, les Canadiens devaient traverser pas moins de trois barrages de défenses allemandes, Drocour—Quéant étant le dernier barrage connu de ce réseau et aussi le mieux fortifié. À lui seul, le barrage défensif de Drocourt-Quéant comprenait un système de quatre lignes de tranchées profondes reliées par des tunnels bétonnés, le tout protégé par un épais réseau de fils barbelés3.

C’est dans ces conditions que le 22e Bataillon (canadien-français) a contribué à l’offensive en tentant de pénétrer dans un des secteurs de ce réseau faisant face au village de Chérisy, un hameau situé entre les rivières Cojeul et Sensée. Les premières heures de l’assaut semblaient prometteuses, mais le tout a viré ultimement au désastre pour les combattants canadiens-français, de même que pour les militaires anglophones faisant partie de la même brigade4. Nous tenterons d’analyser les tenants et aboutissants de cette offensive avortée dans le présent court essai.

La bataille de Chérisy en chiffres

Ce qu’on appela a posteriori la seconde bataille d’Arras débuta le 26 août 1918 à 3 h. Le village de Monchy-le-Preux, situé sur la première ligne du réseau défensif ennemi, fut rapidement capturé. Le bilan de cette première journée d’offensive sembla intéressant, si bien que la poussée fut rapidement reconduite le lendemain, avec comme objectif la percée de la seconde ligne, celle beaucoup mieux aménagée de Fresnes-Rouvroy sur laquelle s’étaient repliés les Allemands. Contrairement à la veille, l’élément de surprise ne jouait plus et la résistance fut féroce.

Les combats des 27 et 28 août furent terribles, et la 2e Division canadienne encaissa des pertes alarmantes au point d’être obligée de s’arrêter, voire de reculer en certains endroits. L’un de ses bataillons, le 22e, fut anéanti en prenant d’assaut Chérisy, village au cœur de la Ligne Hindenburg.

En effet, les soldats du 22e Bataillon, qui venaient de combattre à la bataille d’Amiens, reçurent l’ordre d’attaquer le 27 août, avec comme objectif la prise de Chérisy. Cependant, de fortes pluies la veille avaient entraîné d’innombrables problèmes logistiques, notamment en ce qui avait trait au rassemblement des bataillons dans leurs secteurs d’attaque respectifs. Néanmoins, l’assaut du 22e Bataillon débuta, mais en retard, à 10 heures, en plein jour, sous un ciel ensoleillé. Les soldats canadiens-français prirent l’objectif, mais, le lendemain, un violent contre-barrage d’artillerie suivi d’un assaut d’infanterie ennemi les repoussa presque à leurs positions de départ. Faut-il le préciser? Chérisy fut un véritable enfer pour les combattants du 22e Bataillon.

Des 650 hommes et 23 officiers qui partirent à l’assaut le 27 août, il en restait 39 en fin de journée, le lendemain. Tous les officiers furent tués, blessés ou portés disparus. En l’absence de commandants, les 39 survivants qui se présentèrent à l’appel nominal après la bataille furent pris en charge par un sergent-major de compagnie. Les rapports subséquents établirent que les pertes du 22e Bataillon s’élevèrent à 53 morts et 108 blessés le 27 août, puis à 52 morts et 92 blessés le 28 août5.

Carte de la bataille d’Arras

Direction – Histoire et patrimoine

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L’analyse d’un massacre

C’est à la lumière de ces lugubres statistiques qu’une série d’éléments peuvent être avancés afin d’expliquer pourquoi Chérisy fut un massacre pour les soldats canadiens-français. D’abord, comme nous l’avons mentionné, le rythme effréné de la bataille et l’ordre tactique dans lequel les bataillons canadiens devaient se présenter à leurs positions de départ firent en sorte que les unités de la 5e Brigade d’infanterie arrivèrent dans le secteur quelque peu à l’improviste et, surtout, durent lancer leur offensive vers 10 h, en plein jour6. Élément quelque peu anodin en apparence, il est à noter que le soleil se lève à l’est. Dans le contexte des combats de la guerre de 1914-1918 sur le front Ouest, cela signifie qu’un ennemi positionné défensivement à l’est subissait un assaut venant de l’ouest. En d’autres termes, l’assaillant devait avancer aveuglé par le soleil.

En plus de ce manque de visibilité pour les assaillants, un autre élément à retenir qui eut probablement un impact au sein de la cohésion d’ensemble du 22e Bataillon pris comme unité tactique est le fait que les Canadiens français venaient de combattre à la bataille d’Amiens deux semaines auparavant. Lors de cet assaut réussi, le bataillon avait perdu plus du quart de ses effectifs (environ 250 hommes) et les renforts qui arrivèrent en prévision de la bataille d’Arras subséquente comprenaient un nombre raisonnable de conscrits7. Il s’agissait d’hommes enrôlés contre leur gré dans le contexte de l’adoption de la Loi sur le service militaire obligatoire par le parlement canadien à l’été 1917, loi qui fut appliquée avec davantage de zèle par les autorités au début de 19188.

D’où la question : est-ce que les conscrits combattirent moins bien? Absolument pas, d’autant plus que les premiers éléments conscrits consistaient en des hommes qui, au fond, avaient respecté la Loi sur le service militaire obligatoire et avaient reçu un entraînement conforme. Le problème était que ces hommes arrivèrent dans une unité déjà fatiguée par de longues années de luttes, des luttes qui avaient fini par ronger les rangs des commandants expérimentés. En clair, et pour un ensemble de raisons touchant au moral, aux effectifs disponibles, à l’expérience, aux tactiques et aux technologies militaires existantes, le 22e Bataillon qui a combattu en 1918 à Chérisy était une unité somme toute différente de celle qui avait mené la charge à Courcelette en 1916, par exemple.

Par ailleurs, comme le souligne l’historien Bill Rawling, les leçons apprises à Amiens, essentiellement ces idées de coopérations chars-infanterie puis d’avances tactiques centrées sur le peloton (l’un avançant tandis que le voisin le couvre et l’on alterne les rôles), furent pertinentes, mais le temps manqua pour que les Canadiens puissent bien les assimiler, deux semaines plus tard9. Aussi, pour que l’avance soit possible tout en maintenant un tir de suppression sur l’ennemi, il aurait fallu que l’infanterie, qui formait le corps principal, puisse bénéficier de l’appui-feu d’éléments tels des chars et des troupes auxiliaires, notamment des servants de mortiers de tranchées et de mitrailleuses.

Or, dans le cas des chars, les pertes enregistrées à Amiens firent en sorte qu’à Arras, les commandants canadiens les utilisèrent avec parcimonie. Quant aux troupes auxiliaires d’infanteries, le terrain plus difficile et le problème à remplacer leurs propres pertes d’Amiens firent en sorte qu’elles ne purent assurer un parfait appui-feu. Cet appui-feu tactique, très local par définition puisqu’il vise à supporter une petite unité à l’instar d’un bataillon, est essentiel surtout lorsque vient l’inévitable contre-attaque ennemie. Tout bien considéré, ces éléments firent défaut pour de nombreux bataillons canadiens, dont le 22e Bataillon10.

De plus, il est important de noter que le problème de l’artillerie (lourde et de campagne) à suivre la cadence du corps d’infanterie d’assaut se répéta. Autrement dit, au terrain plus escarpé et boueux de Drocourt-Quéant s’ajouta un autre problème que les Canadiens avaient pourtant bien su parer l’année précédente à Vimy : l’art du tir de contre-batterie11. Dans le secteur qui nous intéresse, celui du 22e Bataillon et de la 5e Brigade, cela signifie que l’artillerie canadienne eut du mal à repérer et à neutraliser les batteries allemandes qui se trouvaient dans un boisé quelques kilomètres à l’est de Chérisy, le boisé d’Upton (Upton Wood), selon la toponymie militaire de l’époque. C’est précisément ce tir de contre-batterie efficace qui faucha des dizaines de fantassins du 22e Bataillon qui se planquèrent dans les ruines de Chérisy et dans la contre-pente juste à l’ouest de la rivière Sensée. Les Canadiens français endurèrent ce tir d’enfer ininterrompu pendant environ 24 heures.

© Collection de la Couronne, Division des résidences officielles, Commission de la capitale nationale.

Le très honorable Georges Philias Vanier, gouverneur général du Canada de 1959 à 1967.

Chérisy : sang-froid, discipline et héroïsme

À ces pertes très lourdes s’ajoutèrent d’innombrables actes d’héroïsme dont nous ne connaîtrons probablement jamais la nature exacte. Citons seulement quelques combattants qui s’illustrèrent à Chérisy. Le major Georges Vanier, futur gouverneur général du Canada, y perdit sa jambe droite, et le soldat qui tenta de lui porter secours fut tué. Le médecin militaire du bataillon, le docteur Albéric Marin, alla même jusqu’à enlever ses insignes de la Croix-Rouge et à courir en première ligne pour prendre le commandement de ce qui restait du 22e Bataillon dépourvu d’officiers. Il fut lui aussi blessé. De son poste de commandement, le brigadier-général Thomas-Louis Tremblay, qui avait commandé le 22e Bataillon pendant deux ans et demi, dirigeait la brigade dans laquelle opérait cette unité. Impuissant, il vit les hommes de son ancien bataillon se faire décimer sous ses yeux.

Ministère de la Défense nationale/Bibliothèque et Archives Canada/PA-004284

Le brigadier-général Thomas-Louis Tremblay

C’est là qu’intervint un autre problème, toujours tactique, pour les Canadiens et entre autres pour Tremblay, à savoir la manière dont un bataillon doit en relever un autre en plein combat. À ce moment, le 28 août 1918, il apparut évident que le 22e Bataillon était en sérieuse difficulté dans Chérisy. Il subissait essentiellement le pilonnage de contre-batteries d’artillerie ennemies, comme nous l’avons mentionné, mais également d’efficaces coups de feu provenant de tireurs embusqués et de mitrailleuses sur ses flancs.

Se posât alors la question de la relève pour les autres formations de la brigade, qui avaient souvent dû remplacer d’un pas accéléré les unités à l’avant, exactement au moment où l’ennemi effectuait une contre-attaque. C’est cette concentration subite de troupes en un endroit précis qui fit en sorte que le tir de contre-batterie ennemi fut si meurtrier, car la relève fut difficile en maints endroits pendant la bataille. Comme l’indique encore Bill Rawling, la discipline et l’expérience des troupes déterminent directement les capacités à assurer la relève12. Bref, sur cette question, la machine militaire canadienne dans le secteur Drocourt-Quéant eut du sable dans l’engrenage.

Le sable se répandit également au sein des communications sur le champ de bataille. En général, pendant la guerre de 1914-1918, les trois principaux moyens de communication étaient l’estafette, le pigeon et le téléphone. Or, soit les estafettes étaient tuées, comme les pigeons, soit les câbles téléphoniques étaient constamment sectionnés sous le feu ennemi. Comment alors évaluer correctement la situation et y répondre par des ordres clairs?

C’est un peu le constat que fit le commandant du 24e Bataillon voisin (Victoria Rifles of Montreal), le lieutenant-colonel William Clark-Kennedy, face à la gravité de la situation. Initialement sur la gauche du 22e Bataillon comme bataillon d’assaut, son unité dut bifurquer quelque peu vers la droite. Clark-Kennedy lui-même se rua sur les positions du 22e Bataillon dans le but de rallier un par un les survivants du bataillon canadien-français dépourvu de chefs. Son plan visait à maintenir un front quelque peu à l’ouest de Chérisy malgré le repli du 22e Bataillon, puis à improviser un nouveau bataillon mixte francophone et anglophone.

Sachant très bien que la progression n’était plus possible à ce stade de la bataille en cette fin de journée du 28 août, et déduisant que les 25e et 26e Bataillons de la brigade en appui finiraient éventuellement par le rejoindre, Clark-Kennedy prit le risque d’étirer son propre front pour englober le reste du 22e Bataillon, qui représentait alors l’équivalent d’un peloton. Pour avoir maintenu son front, Clark-Kennedy fut décoré de la Croix de Victoria13.

Musée Royal 22e Régiment, Ph-172-647

Le lieutenant-colonel William Hew Clark-Kennedy (à gauche), commandant du 24e Battaillon, et le lieutenant-colonel Henri DesRosiers (à droite), commandant du 22e Battaillon, à bord du navire Olympic, rentrent au Canada après la Grande Guerre, en 1919.

D’ailleurs, ce front mixte des 22e et 24e Bataillons constitue, à notre avis, le summum du sacrifice canadien lors de cette bataille, car il fallait impérativement tenir devant Chérisy, à défaut de reprendre le village. Ensuite, que faire d’autre sauf donner ordre aux hommes de se retrancher pour se protéger et gagner du temps afin de permettre à l’artillerie et aux unités de soutien de finalement rejoindre le front d’assaut, tout en espérant que les commandants à un échelon supérieur auraient enfin une idée plus claire de la situation.

À l’instar du lieutenant-colonel Clark-Kennedy, quand et dans quelle mesure le brigadier-général Tremblay comprit-il que le 22e Bataillon se faisait annihiler à Chérisy? Probablement dès le moment où il entendit les batteries allemandes d’Upton Wood ouvrir le feu sur le village. Cependant, et c’est là le nœud de l’affaire, à quel moment Tremblay réalisa-t-il que le commandant du 24e Bataillon était en train d’établir un front très mince devant l’ennemi pour gagner du temps et donner l’illusion à ce dernier que les Canadiens tenaient la ligne?

Il est difficile de répondre précisément à cette question, et le brigadier-général Tremblay nous semble peu loquace sur cette question, du moins d’après ses mémoires de guerre publiés plusieurs décennies après son décès14. Néanmoins, le cœur du drame de Chérisy se trouve à ce moment précis, le 28 août, où le lieutenant-colonel Clark-Kennedy comprit qu’il devait tout faire afin de maintenir un front, si mince soit-il, devant l’ennemi pour permettre aux renforts d’arriver.

C’est donc le sacrifice des 22e et 24e Bataillons qui permit aux autres formations de la 5e Brigade et à celles de la 2e Division d’engager l’assaut final contre la Ligne Drocourt-Quéant, le 2 septembre 1918. Contrairement aux prévisions, la résistance allemande sur cette troisième ligne fut moindre. Les assaillants canadiens parvinrent à pénétrer dans le réseau Drocourt-Quéant, si bien que l’armée allemande se replia derrière le canal du Nord.

Bibliothèque et Archives Canada, numéro d’acquisition : 1983-28-590

Sur une affiche patriotique, en temps de guerre, des soldats descendent une route pavée de billets du Dominion du Canada, provenant d’une collecte de fonds de citoyens patriotiques destinée à hâter le retour de leurs fils au Canada.

Conclusion : la nécessité d’avancer

En somme, cet essai de quelques lignes ne constitue qu’une esquisse pouvant expliquer la tragédie de la bataille de Chérisy, tragédie qui paradoxalement permit de maintenir sur l’ennemi une pression telle que celui-ci s’en trouva nettement affaibli face aux assauts canadiens subséquents. En tout et partout, la prise finale de la ligne Drocourt-Quéant marqua la fin de la seconde bataille d’Arras. Rappelons que depuis le 26 août, le Corps canadien avait progressé vers l’est sur près de huit kilomètres et capturé 3 000 prisonniers. Les pertes du 26 août au 29 août se chiffraient à 6 000 hommes15.

Les Canadiens avaient subi un coup dur sur la route Arras-Cambrai. Nombre de bataillons étaient en piteux état et il avait fallu faire venir d’urgence d’Angleterre des troupes qui commençaient à intégrer un plus grand nombre de soldats conscrits. Ce fait avait déjà été observé dans le contexte de la bataille d’Amiens, mais le flot de soldats conscrits ne fera qu’augmenter dans les rangs des bataillons canadiens jusqu’à la fin des hostilités.

Sur le terrain, l’un des bataillons à Chérisy, le 22e Bataillon, tentait de se refaire temporairement avec des renforts anglophones au cours des deux semaines ayant suivi la bataille, puis avec des troupes francophones pour la plupart conscrites. Deux semaines après la bataille donc, le 22e Bataillon remontait la ligne avec des renforts qui avaient peu d’expérience du combat et d’autres soldats encore physiquement blessés qui devaient y retourner. La bonne nouvelle pour le 22e Bataillon, dans ces circonstances, fut qu’il allait recevoir un nouveau commandant d’expérience, le lieutenant-colonel Henri DesRosiers, qui allait diriger l’unité jusqu’à l’armistice et à l’occupation en Allemagne en 1919.

Plus à l’est, Cambrai était toujours aux mains des Allemands. La ville se trouvait derrière le canal du Nord où l’ennemi était puissamment retranché. C’est dire qu’au fond, les acteurs de l’époque n’avaient pas le temps de s’arrêter et encore moins de s’apitoyer sur le drame qui venait de se dérouler. La campagne des Cent Jours fut marquée par ce rythme rapide et incessant d’assauts, où les bataillons « en pause » devaient en fait utiliser ce temps afin de se déployer en vue de l’avancée suivante.

C’est ainsi que le 22e Bataillon (canadien-français) goûta à cette médecine qui consistait à avancer rapidement pour perdre beaucoup d’hommes, subir de durs combats d’arrière-garde menés par un adversaire passé maître dans cet art, puis au final intégrer des renforts pour le prochain assaut.

En ce sens, l’expérience des soldats canadiens-français, comme en témoigne l’étude de cas de Chérisy, fut somme toute représentative de celle des autres formations anglophones d’infanterie du Corps canadien à la fin de la guerre.

William Rider-Rider/Ministère de la Défense nationale/Bibliothèque et Archives Canada/PA-003145.

Des soldats canadiens franchissant un barrage allemand, à l’est d’Arras.

Notes

  1. Au sujet de la participation du Corps canadien à la campagne des Cent Jours en 1918, voir ces quelques suggestions : Tim Cook, « Bloody Victory: The Canadian Corps in the Hundred Days Campaign » dans Ashley Ekins (dir.), 1918. Year of Victory: The End of the Great War and the Shaping of History, Auckland, N.-Z., Exisle Publishing Limited, 2010, p.161-181; Tim Cook, Shock Troops: Canadians Fighting the Great War. 1917-1918. Volume Two, Toronto, Penguin Group (Canada), 2008, p.727; Shane B. Schreiber, Shock Army of the British Empire: The Canadian Corps in the Last 100 Days of the Great War, St. Catharines, Ont., Vanwell Publishing Ltd., 2005, p. 164.
  2. David Stevenson, With Our Backs to the Wall. Victory and Defeat in 1918, Cambridge. Mass., Harvard University Press, 2011, p. 127.
  3. Niall J. A. Barr, « The Elusive Victory: The BEF and the Operational Level of War, September 1918 », dans Geoffrey Jensen & Andrew Wiest, War in the Age of Technology, New York et London, New York University Press, 2001, p. 222-223.
  4. Pendant la Grande Guerre, le 22e Bataillon (canadien-français) appartient à la 5e Brigade d'infanterie, qui elle-même figure dans l'ordre de bataille de la 2e Division d'infanterie canadienne. La 5e Brigade comprenait les unités suivantes, outre le 22e Bataillon : le 24e Bataillon (Victoria Rifles), le 25e Bataillon (Nova Scotia Regiment), le 26e Bataillon (New Brunswick Regiment).
  5. Au sujet de la liste des morts enregistrés officiellement au nom du 22e Bataillon (canadien-français) à Chérisy, nous avons compilé ces quelques statistiques à partir du « journal de guerre » (War Diary) de l'unité disponible aux Archives nationales du Canada et aux Archives du Royal 22e Régiment. http://www.ameriquefrancaise.org/media-3716/cimetiere_quebec_annexe1.pdf
  6. Commandant du 22e Bataillon de février 1916 à août 1918, le lieutenant-colonel Thomas-Louis Tremblay avait été promu brigadier-général et avait pris officiellement le commandement de la 5e Brigade deux semaines avant la bataille de Chérisy.
  7. Archives du Royal 22e Régiment, War Diary. 22nd Bataillon. CEF. D'après le journal de marche du 22e Bataillon, le chiffre exact des pertes pour les journées du 8 au 10 août 1918 s'élève à 234 hommes de tous grades.
  8. Alan Gordon, « Lest We Forget: Two Solitudes in War and Memory », dans Norman Hillmer et Adam Chapnick (dir.), Canadas of the Mind: The Making and Unmaking of Canadian Nationalisms of the Twentieth Century, Montréal et Toronto, McGill-Queen's University Press, 2007, p. 162.
  9. Bill Rawling, Surviving Trench Warfare: Technology and the Canadian Corps, 1914-1918, Toronto, Toronto University Press, 1992, p. 217.
  10. Pour une analyse en profondeur des problèmes tactiques d'appui-feu au sein du Corps canadien à l'été de 1918, nous renvoyons à l'étude de Bill Rawling, ibid., pp. 205-208.
  11. Sur le perfectionnement du tir de contre-batterie de l'artillerie canadienne pendant la bataille de Vimy, voir Tim Cook, « The Gunners at Vimy: "We are Hammering Fritz to Pieces" » dans Geoffrey Hayes, Andrew Iarocci et Mike Bechthold, Vimy Ridge: A Canadian Reassessment, Waterloo (Ontario), Wilfrid Laurier University Press, 2007, pp. 105-124.
  12. Rawling, p. 205-208.
  13. Sur la citation de la Croix de Victoria attribuée au lieutenant-colonel William Hew Clark-Kennedy, voir http://www.cmp-cpm.forces.gc.ca/dhh-dhp/gal/vcg-gcv/bio/clark-kennedy-wh-eng.asp. Site consulté le 22 octobre 2013.
  14. Tremblay, Thomas-Louis (major-général). Journal de guerre (1915-1918), Montréal, Athéna éditions, coll. « Histoire militaire », 2006, p. 329. Texte inédit, établi et annoté par Marcelle Cinq-Mars.
  15. G.W.L.Nicholson, (colonel), Official History of the Canadian Army in the First World War. Canadian Expeditionary Force. 1914-1919, Ottawa, Imprimeur de la Reiner, 1962, p. 432.