OPINIONS

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Lord Trenchard, à droite, après la pose de la première pierre d’un nouveau collège de la RAF à Cranwell en juillet 1935.

La « guerre en parallèle » dans les conflits aux objectifs politiques limités

par Andrew McNaughton

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Introduction

Dès que des appareils plus lourds que l’air ont pu voler dans le ciel, nombre d’individus, de planificateurs stratégiques et de forces armées ont entrevu un avenir où les dévastations causées par la guerre terrestre seraient évitées grâce aux activités menées du haut des airs. Or, les aéronefs et la théorie sur la puissance aérienne n’ont pas entièrement satisfait aux attentes. Ce n’est qu’en 1991 que la technologie a rattrapé la théorie. La précision rêvée par Douhet puis par Trenchard a finalement été montrée durant la première guerre du Golfe. La théorie sur la puissance aérienne a également été perfectionnée, notamment la notion de guerre en parallèle, dans le cadre de laquelle les forces militaires pouvaient remporter la victoire avant même que l’ennemi ne comprenne ce qui lui arrive. Malgré la coalescence de la théorie et de la technologie, la nature de ce concept pose plusieurs problèmes, en particulier récemment, étant donné que les objectifs politiques limités sont devenus la norme convenue dans le cadre des interventions.

Après avoir défini les concepts théoriques, je tenterai de déterminer si la guerre en parallèle et la paralysie stratégique sont des moyens prometteurs, en me fondant sur trois opérations limitées durant lesquelles la puissance aérienne a été mise en œuvre de façon décisive : l’opération Desert Storm en Iraq, l’opération Allied Force au Kosovo et l’opération Unified Protector au-dessus de la Libye. Alors que les États occidentaux cherchent à éviter les engagements terrestres, la puissance aérienne, quant à elle, continue d’être l’arme de choix dans le cadre des interventions à l’étranger. La portée de ces opérations est presque toujours limitée; par conséquent, les considérations politiques rendent le concept de la guerre en parallèle moins souhaitable comparativement à une campagne de coercition progressive.

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John A. Warden III.

Concepts théoriques

Comme ses prédécesseurs partisans de la puissance aérienne, le Colonel américain John Warden a été inspiré par la possibilité de passer outre la ligne de front et de frapper au cœur de l’ennemi. Il s’est intéressé au fait que la puissance aérienne indépendante puisse atteindre de meilleurs résultats que ceux des campagnes de bombardements stratégiques du XXe siècle1. Cette « nouvelle » façon de faire la guerre serait d’abord exécutée en considérant l’ennemi comme un système, puis comme une structure de ciblage comprenant cinq anneaux2. Au centre de ce système se situent les leaders ennemis. Non seulement ces derniers dirigent le conflit, mais ils représentent également le seul groupe qui puisse faire des concessions, ce qui fait de lui l’objectif principal3. Lorsque ce n’est pas possible de cibler ce groupe, l’accent se déplace d’anneau en anneau vers l’extérieur, à partir de l’anneau des leaders vers celui des éléments organiques essentiels, puis vers ceux de l’infrastructure critique, de la population, et enfin des forces sur le terrain. Le centre de gravité de l’ennemi doit être déterminé pour chaque anneau, puis tous les centres doivent être attaqués en même temps (donc, en parallèle) de l’intérieur vers l’extérieur. Le Colonel Warden a fermement fait valoir que si les planificateurs militaires et leurs forces aériennes suivaient le modèle, les forces ennemies seraient paralysées4.

Le concept de la guerre en parallèle a été défini comme l’application simultanée de la force aux trois niveaux de la guerre contre les systèmes clés, en vue d’entraîner la paralysie stratégique de l’ennemi5. Cela diffère à trois égards de la forme plus conventionnelle de la guerre en série. D’abord, les forces militaires peuvent maintenant attaquer un plus grand nombre d’objectifs en moins de temps. Ensuite, la distance ne constitue plus une défense efficace étant donné que la technologie permet d’attaquer des objectifs, quel que soit l’endroit où ils se trouvent. Enfin, on avance que dans la guerre en série, les effets tactiques prennent du temps à se transformer en résultats stratégiques, alors que la guerre en parallèle peut entraîner des effets simultanément aux trois niveaux d’un conflit6. Le modèle de Warden fournit une méthode qui permet de hiérarchiser les centres de gravité de l’ennemi. Une fois ceux-ci établis, on les fixe comme objectifs et on les détruit tous en même temps. Ainsi, l’ennemi n’est pas en mesure de récupérer ou de réaffecter ses ressources, et ultimement, son appareil de commandement est paralysé7. Selon la théorie de Warden, une fois que les leaders ennemis sont coupés du reste du réseau, l’ensemble du système devient inefficace. Si la puissance aérienne pouvait permettre d’obtenir cela rapidement, on pourrait éviter un conflit terrestre sanglant par la même occasion.

À l’opposé de la paralysie stratégique se trouve le concept de coercition. Plutôt que de paralyser le processus décisionnel de l’ennemi, la coercition permet d’« influencer le calcul de l’adversaire » afin de « forcer l’adversaire à changer de comportement8 ». M. Robert Pape, Ph. D., éminent scientifique politique américain et professeur à l’Université de Chicago, divise la coercition en deux stratégies : le châtiment et le déni. La coercition par châtiment consiste à « élever le prix » qu’auront à payer les civils, alors que la coercition par déni a pour but de contrecarrer les objectifs de l’ennemi9. Cette dernière stratégie, la plus solide des deux, nécessite qu’il y ait des leaders ennemis efficaces afin de faire des concessions. Les deux stratégies visent à élever le prix d’une politique continue au fil du temps au moyen d’une escalade de la force.

Il convient de souligner les critiques liées à ces approches, car chacune de ces dernières comporte des lacunes. Des trois concepts, la guerre en parallèle fait l’objet du moins grand nombre de critiques. Prise à part, l’idée de transcender les niveaux de la guerre par une attaque efficace et dévastatrice est tentante pour un commandant. Cependant, des problèmes surviennent en situation de conflits limités. La destruction de plusieurs objectifs dans l’ensemble du système constitue le fondement de cette méthode. Or, dans certains cas, il manquera tout un volet du conflit (industries entières, bases); sans ces objectifs l’effet souhaité est très limité.

En outre, la paralysie stratégique fait l’objet de certaines critiques dignes de mention. D’abord, plusieurs experts affirment que l’expression « paralysie stratégique » n’est pas appropriée. Un auteur soutient que la méthode choisie pour atteindre cette paralysie est de nature hautement tactique et opérationnelle, ce qui « n’en fait pas une conduite de la guerre, mais une façon de combattre10 » [TCO]. Un autre auteur pousse la réflexion et souligne que la destruction d’un ensemble d’objectifs tactiques ne correspond pas nécessairement à un effet stratégique11. Qui plus est, selon cette théorie, l’ennemi serait un « ensemble passif d’objectifs » [TCO] et on ne tiendrait pas compte de la langue de cet ennemi, de sa culture et de son environnement politique12.

Le deuxième aspect concernant la paralysie stratégique faisant l’objet de critiques est sa légalité. Une stricte adhésion à la paralysie stratégique conformément au modèle de Warden pourrait mener au ciblage illégal des leaders ennemis. Les leaders politiques sont protégés par plusieurs articles du droit international, et des considérations strictes s’appliquent à ces personnes participant directement aux hostilités13. Le fait qu’il soit possible qu’un État ennemi totalement paralysé ne puisse pas être en mesure de mettre fin légalement au conflit et que ses forces militaires puissent continuer à combattre constitue une conséquence légale, ce qui annulerait l’entreprise14.

La coercition dépend grandement du renseignement et d’une parfaite compréhension des motivations de l’ennemi15. Un autre inconvénient est que les commandants doivent être prêts à entendre les « contre-offres » de l’ennemi et à prendre le risque que le conflit devienne une guerre totale16. Le plus grand inconvénient demeure toutefois le temps. M. Pape soutient qu’il faut beaucoup de temps pour contraindre un gouvernement antagoniste. En effet, les gouvernements tiennent bon en raison des répercussions qu’une défaite pourrait avoir, de même qu’en raison d’une mauvaise évaluation du rendement de leurs propres forces militaires17. Ensemble, ces éléments peuvent s’avérer des inconvénients considérables pour les gouvernements occidentaux qui préfèrent que les engagements internationaux auxquels ils participent soient de courte durée.

Campagnes aériennes décisives

Ces concepts ont été partiellement appliqués dans les trois campagnes aériennes suivantes, dans lesquelles la puissance aérienne a joué un rôle décisif. Ces campagnes étaient assujetties à des objectifs politiques limités; par conséquent, il s’agit de sujets pertinents pour mettre à l’essai les théories.

Photo du MDN ISC91-5112 par le sergent C. Colombe

Des pilotes canadiens de CF-18 sur le tarmac au Qatar pendant l’opération Friction (Desert Storm), en janvier 1991.

Opération Desert Storm

Alors que les tensions diplomatiques s’exacerbaient après l’invasion du Koweït par l’Iraq en 1990, une cellule de planification de la force aérienne américaine appelée Checkmate a commencé à planifier les représailles militaires contre l’Iraq18. Sous la direction du Colonel Warden, on a mis sur pied un plan de campagne aérienne intitulé Instant Thunder. Cette opération était fondée sur le modèle des cinq anneaux de Warden. En 6 jours, les aéronefs frapperaient 84 objectifs en vue de neutraliser les capacités militaires et les leaders clés19. Bien que le Colonel Warden ait promis que cette campagne suffirait, plus la planification progressait, plus on soulevait d’oppositions importantes liées au fait que le plan ne tenait pas compte des forces iraquiennes déjà en place au Koweït20. Au mois d’août 1990, le plan Instant Thunder était plus ou moins intégré à un plan plus exhaustif comprenant quatre phases : des objectifs stratégiques révisés liés au plan Instant Thunder, la suppression des défenses aériennes ennemies au Koweït, la préparation du champ de bataille et l’appui aérien durant l’assaut au sol21.

Everett Collection Inc/Alamy Stock Photo/C6153N

General Norman Schwarzkopf

Bien qu’ils se conforment à l’accent clausewitzien mis sur les centres de gravité de l’ennemi, le Colonel Warden et le General Norman Schwarzkopf, commandant de la coalition, avaient tous deux une perception différente de la situation dans le golfe Persique. Le Colonel Warden croyait que la solution consistait à bombarder des objectifs en Iraq, alors que le General Schwarzkopf et son état-major ont correctement cerné le centre de gravité de Saddam Hussein dans le cadre du conflit, c’est-à-dire ses forces militaires au Koweït22. En raison de l’abondance d’aéronefs de combat disponibles quand la campagne aérienne a commencé le 17 janvier 1991, les trois premières phases ont été lancées simultanément. À cet égard, le concept de guerre en parallèle a été utilisé. Les forces de défense iraquiennes ont été attaquées simultanément. Le commandement et le contrôle iraquiens ont été neutralisés au cours des 8 premières heures, et le système de défense aérienne a été démantelé en 36 heures23.

World History Archive/Alamy Stock Photo/KHW516

Saddam Hussein, cinquième président de l’Iraq.

Quelques jours après les premiers bombardements sur Bagdad, le régime de Saddam Hussein et ses forces étaient effectivement paralysés au niveau stratégique. Or, les combats se sont poursuivis. En raison de la progression des bombardements et des nouvelles tactiques, la destruction des forces iraquiennes par la coalition au Koweït a commencé à faire des ravages. Bien que l’objectif de Schwarzkopf visant une attrition de 50 p. 100 n’ait pas été atteint, les forces iraquiennes ont été attaquées jour et nuit et ont subi des pertes toujours plus grandes. On visait particulièrement les chars, l’artillerie et les véhicules blindés. Ainsi, des aéronefs effectuaient des « tirs au hasard sur des chars » dignes d’intérêt, et les forces blindées iraquiennes ont été détruites par des bombes de précision24. Cette insistance sur le champ de bataille s’est avérée décisive pour contraindre Saddam Hussein à désengager ses forces du Koweït25. À la mi-février, Saddam Hussein a accepté les conditions négociées par les Soviétiques en vue du « retrait complet et inconditionnel de l’Irak du Koweït », en laissant tomber sa liste de conditions26. L’ordre des événements démontre que si un centre de gravité est correctement cerné et que les objectifs à l’appui sont attaqués, le concept de la guerre en parallèle a son utilité. De plus, les négociations et l’annonce du désengagement sont survenues longtemps après la destruction des objectifs stratégiques du Colonel Warden, ce qui remet en cause l’utilité d’avoir recours à une campagne de paralysie stratégique pour remporter la victoire27.

Photo du MDN CKD99-2029 par le caporal-chef Danielle Bernier

Un CF-18 attendant de décoller à Aviano, en Italie, dans le cadre de l’opération Echo et de l’opération Allied Force.

Opération Allied Force

La puissance aérienne a joué un certain rôle dans de nombreux conflits à la suite de la dissolution de la Yougoslavie. Cependant, c’est au cours de la guerre du Kosovo que la puissance aérienne s’est avérée décisive. Des affrontements armés entre l’Armée de libération du Kosovo, formée de Kosovars oppressés d’origine albanaise, et les forces militaires de l’Ex-Yougoslavie (Serbie) ont commencé concrètement en 1998, et les troupes serbes sont arrivées en force au Kosovo l’année suivante28.

À répétition, les forces serbes ont violé les droits de la personne au Kosovo, ce qui a entraîné de multiples efforts diplomatiques de coercition tant de la part des États-Unis que de l’OTAN, y compris des sanctions économiques et diplomatiques, de même qu’une présence militaire coercitive29. Ces efforts ont été vains, et il est devenu évident qu’ils seraient inefficaces à moins de combiner les efforts diplomatiques aux forces militaires30. En février 1999, les autorités américaines ont présenté une campagne de bombardement conçue pour contraindre Slobodan Milosevic, président de la Serbie, à cesser le nettoyage ethnique et elles ont ouvert la voie au déploiement des forces de maintien de la paix de l’ONU31. La campagne comprenait trois phases : réduire la capacité du système de défense aérienne et la structure de commandement; frapper les objectifs militaires au sud de Belgrade; mener des attaques contre des objectifs dans la ville de Belgrade32. Non seulement on estimait qu’une opération terrestre entraînerait de plus grandes pertes, mais selon l’expérience vécue en Bosnie et durant la guerre du Golfe, on croyait que la puissance aérienne pouvait assurer une victoire franche pour l’OTAN33. En outre, au début, le déploiement des forces terrestres avait été complètement écarté, ce qui a entraîné des contraintes supplémentaires pour les commandants et les planificateurs militaires de l’OTAN34.

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Président Slobodan Milosevic

Les forces de défense aérienne serbes étaient considérables. Les militaires étaient bien entraînés et ont constitué une solide défense lorsque les opérations aériennes ont débuté le 24 mars 1999. Malgré d’importants dommages infligés aux objectifs visés par la première phase, il n’y a pas eu d’effet remarquable sur les actions du président Milosevic. En vérité, les atrocités commises se sont accrues, et il est devenu clair que le président Milosevic cherchait à gagner du temps35. Durant la deuxième phase, on a attaqué les passages obligés, les zones de regroupement et les lignes de communication, de même que les zones de concentration de chars36. Fait intéressant, en raison de l’absence de menace terrestre, les chars serbes étaient bien dissimulés en terrain montagneux et étaient rarement à découvert, ce qui les rendait très difficiles à repérer et à détruire37. Quatre semaines après le début de la campagne, l’OTAN a commencé à bombarder Belgrade, en mettant l’accent sur les éléments qui appuyaient le maintien au pouvoir du président Milosevic : l’appareil politique, les médias étatiques, les forces de sécurité et le système économique. Après des semaines passées à craindre une escalade, la campagne a enfin menacé les moyens de subsistance des amis du président Milosevic qui faisaient partie de l’élite politique et médiatique38. Les opérations de bombardement intense se sont poursuivies, et l’OTAN a annoncé l’atteinte de la supériorité aérienne à la fin du mois d’avril. Le 8 juin, le président Milosevic a enfin accepté l’ensemble des exigences de l’OTAN concernant le retrait des troupes39. Malgré ce progrès, il a été difficile de déterminer le centre de gravité yougoslave. Certains auteurs ont même déclaré que le centre n’a jamais été cerné de toute la campagne40.

De nombreux experts soutiennent qu’une campagne aérienne fondée sur le modèle de Warden plutôt que sur celui de coercition aurait permis d’obtenir davantage de résultats. Le fait d’avoir ciblé directement le président Milosevic aurait entraîné des effets dès le début de la campagne, et non un mois après. L’un des principaux éléments dissuasifs de l’utilisation du modèle de Warden dans ce conflit est que ce modèle repose sur une action unilatérale et ne tient pas compte des nombreuses subtilités des interventions alliées. En outre, il était nécessaire que l’État yougoslave demeure intact durant ce conflit afin que soient évitées des retombées sur les autres pays instables41. L’avantage d’une campagne coercitive repose sur le fait que même si cela ne fonctionne pas toujours, le principe de l’escalade est l’approche la plus humaine en toutes circonstances à part la guerre totale42. Il n’en demeure pas moins qu’il n’y avait aucune réelle menace d’invasion terrestre dans la campagne de 78 jours de l’OTAN, et que celle-ci a remporté du succès.

Photo du MDN GD2011-0887-09 par le caporal Laura Brophy

Un CP-140 Aurora typique de ceux qui ont été très actifs et productifs pendant l’opération Unified Protector et l’opération Mobile.

Opération Unified Protector

La troisième campagne aérienne décisive est l’opération Unified Protector, l’intervention de l’OTAN dans la guerre civile libyenne de 2011 contre Mouammar Kadhafi. Les manifestations non violentes qui ont marqué des soulèvements semblables durant le Printemps arabe dans le nord de l’Afrique sont devenues violentes à la fin du mois de février 2011, lorsque Kadhafi a ordonné à ses forces d’étouffer la rébellion plutôt que de capituler43. Il est devenu évident que les civils devenaient rapidement la cible des mesures de répression. Au sein de l’ONU, les États-Unis ont dirigé l’intervention au moyen de l’initiative de la « responsabilité de protéger » comme élément moteur. Le 17 mars 2011, la résolution donnait l’autorisation de « prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils44 » [TCO]. On a mis en œuvre des sanctions internationales et un embargo sur les armes et on a établi une zone d’exclusion aérienne. Les États-Unis ont rapidement mis sur pied une force opérationnelle pour mettre en œuvre la résolution et ont entrepris de mener des frappes aériennes le 19 mars. Ces frappes ont détruit le système de défense aérienne de la Libye, de même que des articulations concentrées de véhicules blindés qui ont assiégé Benghazi45. Afin d’obtenir un soutien international plus important pour intervenir dans ce qui était devenu une guerre civile, les États-Unis ont travaillé avec diligence pour transférer le contrôle à une organisation internationale dès que possible. À cette fin, le 31 mars, l’OTAN a assumé le contrôle opérationnel46.

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Mouammar Kadhafi à Tripoli en 2010.

L’accent de la campagne consistait à soutenir les rebelles et à déterminer le centre de gravité de l’ennemi, c’est-à-dire les forces libyennes sur le terrain47. Cette approche a fait l’objet de nombreuses critiques selon lesquelles on diminuait la véritable valeur de la puissance aérienne en évitant de cibler Kadhafi et son état-major conformément à l’approche de Warden. Ces critiques n’ont pas réalisé l’importance du fait que la population libyenne décide elle-même du résultat (et n’oublions pas le rôle du bombardement de précision de la part de l’OTAN). De plus, les frappes aériennes ont laissé le temps aux forces rebelles de s’organiser et de s’entraîner, ce qui a permis d’éviter une intervention concertée de la Libye qui aurait rapidement écrasé la rébellion48. Le 24 mars, on avait détruit les forces de défense aérienne de la Libye, y compris la force aérienne libyenne, ou on les avait rendues inefficaces, et la campagne visait maintenant à interdire les mouvements de l’armée de terre libyenne49.

À mesure que les rebelles acquéraient des compétences, ils se sont mis à diffuser des renseignements tactiques sur les frappes sur Twitter à l’intention de l’OTAN. Tribune improbable, Twitter s’est avéré essentiel pour aider l’OTAN à distinguer les rebelles des forces régulières qui utilisaient les mêmes véhicules, de même qu’à coordonner les frappes qui aideraient les rebelles à progresser50. L’envoi de l’aéronef de surveillance et de ciblage de l’OTAN y a également contribué, en fournissant un lien de données clés entre le quartier général qui surveillait Twitter et les aéronefs en mission dans l’ensemble du pays51. Après 223 jours de frappes à l’appui de la progression rebelle vers Tripoli, les attaques aériennes ont arrêté un convoi à bord duquel se trouvait Kadhafi, qui a rapidement été pris par les combattants rebelles, ce qui a mis fin à la guerre civile52.

Dans le cadre d’une campagne très différente de l’opération Desert Storm et de l’opération Allied Force, l’opération Unified Protector a permis une intervention aérienne décisive à l’appui d’une rébellion. L’adoption d’une approche progressive en soutien à une force non entraînée, qui a permis de niveler le terrain en éliminant la lourde puissance de feu de l’agresseur, a fait toute la différence pour réussir un transfert de pouvoir et ne pas laisser un vide de pouvoir politique dans une région déjà instable53. Une attaque contre des objectifs stratégiques conventionnels aurait pu véritablement paralyser la Libye, en particulier au regard des avantages écrasants que possédait l’OTAN. La pertinence de cette approche est toutefois remise en question lorsque le protagoniste ne souhaite pas engager les forces terrestres à occuper le territoire et à assurer la reconstruction après la destruction.

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Un CF-18 Hornet également très actif durant l’opération Unified Protector.

Conclusion

La puissance aérienne et ses capacités de remporter la victoire étaient très prometteuses. La portée qu’ont obtenue les commandants a permis de paralyser stratégiquement leurs ennemis au moyen d’attaques dévastatrices sur des objectifs parallèles. Regroupées dans le modèle de Warden, ces théories ont incité de nombreux spécialistes de la puissance aérienne à utiliser ces concepts en tant que méthodes concernant les conflits en aval. Depuis que le modèle de Warden a gagné du terrain, trois campagnes aériennes décisives ont eu lieu. L’opération Desert Storm a revêtu un caractère unique étant donné que l’invasion terrestre a d’abord été une menace puis elle a été exécutée. Étant donné que l’Occident a refusé d’engager des forces terrestres en vue de combats au cours des années 1990 et qu’il a grandement tenu compte des coûts d’une occupation et d’une reconstruction, la destruction visée par la guerre en parallèle et la paralysie stratégique a perdu sa pertinence pour ce niveau de conflit. Au lieu de cela, des campagnes coercitives telles que l’opération Allied Force et l’opération Unified Protector ont gagné en popularité, ce qui a limité les engagements initiaux et a permis la mise en œuvre d’opérations à multiples facettes visant des objectifs complexes. L’utilisation de munitions à guidage de précision offre une plus grande précision, comme il a été démontré au cours des trois campagnes aériennes. Néanmoins, leur efficacité est à la mesure de la stratégie qui y est associée. En conclusion, ces campagnes aériennes décisives tendent à montrer que le concept de guerre en parallèle n’est pas la méthode de conduite de la guerre la plus efficace qui pourrait être employée dans le cadre de futures interventions limitées.

Le capitaine Andrew D. McNaughton est pilote de CH-147F Chinook au sein du 450e Escadron à Petawawa. Il a obtenu un diplôme en études militaires et stratégiques du Collège militaire royal du Canada en 2015. Il termine actuellement une maîtrise en puissance aérienne au King’s College, à Londres.

Notes

  1. Adrian Reeve, « The Expectations of Strategic Air Power », Australian Defence Force Journal 190, mars-avril 2013, p. 54.
  2. John Warden, « The Enemy as a System », Airpower Journal IX, no 1, printemps 1995, p. 42.
  3. Ibid, p. 47.
  4. John Warden, « Strategy and Airpower », Air & Space Power Journal 25, no 1, printemps 2011) p. 71.
  5. Steven M. Schneider, Parallel Warfare: A Strategy for the Future, MA dissertation, U.S. Army Command and General Staff College, 1998, p. 1.
  6. Michael N. Schmitt, « Effects-Based Operations and the Law of Aerial Warfare », Washington University Global Studies Law Review 5, no 2, 2006, p. 271.
  7. Schneider, « Parallel Warfare », p. 2.
  8. Robert A. Pape, Bombarder pour vaincre : puissance aérienne et coercition dans la guerre, Paris, Centre d’études stratégiques aérospatiales : Documentation française, 2011, p. 18.
  9. Ibid, p. 27.
  10. Adam Elkus, « The Rise and Decline of Strategic Paralysis », Small Wars Journal, consulté à l’adresse suivante : https://smallwarsjournal.com/jrnl/art/the-rise-and-decline-of-strategic-paralysis.
  11. Ibid.
  12. David S. Fadok, « John Boyd and John Warden: Airpower’s Quest for Strategic Paralysis », The Paths of Heaven: The Evolution of Airpower Theory, Phillip S. Meinlinger (dir.), Maxwell AFB, Air University Press, 1997, p. 376.
  13. Gary M. Jackson, Warden’s Five Ring System Theory: Legitimate Wartime Military Targeting or an Increased Potential to Violate the Law and Norms of Expected Behavior?, Maxwell AFB, Air University Press, 2000, p. 15.
  14. Richard Szafranski, « Twelve Principles Emerging from Ten Propositions », Airpower Journal 10, no 1, printemps 1996, p. 2.
  15. Alan J. Stephenson, Shades of Gray: Gradual Escalation and Coercive Diplomacy, Maxwell AFB, Air University Press, 2002, p. 25.
  16. Ibid, p. 7.
  17. Pape, Bombarder pour vaincre, p. 48.
  18. Thomas A. Keaney and Elliot A. Cohen, Gulf War Air Power Survey Summary Report, Washington, D.C., 1993, p. 36.
  19. Ibid.
  20. Benjamin Lambeth, The Transformation of American Air Power, Ithaca, New York, Cornell University Press, 2000, p. 106.
  21. Ibid.
  22. Andrew D. McNaughton, What reasons are there for claiming that the Coalition’s focus on the battlefield proved strategic in Operation Desert Storm?, dissertation, King’s College, Londres, 2018, p. 3.
  23. Lambeth, Transformation, p. 113.
  24. William F. Andrews, Airpower against an Army: Challenge and Response in CENTAF’s Duel with the Republican Guard, CADRE Paper, Air University, 1998, p. 59.
  25. Pape, Bombarder pour vaincre, p. 246.
  26. Ibid, p. 250.
  27. McNaughton, Coalition’s focus, p. 6.
  28. Lon O. Nordeen, Air Warfare in the Missile Age, Washington, D.C., Smithsonian Books, 2002, p. 250.
  29. Stephenson, Shades of Gray: Gradual Escalation and Coercive Diplomacy, p. 4.
  30. Sebastian Ritchie, « Air Power Victorious? Britain and NATO Strategy during the Kosovo Conflict », Air Power History: Turning Points from Kitty Hawk to Kosovo, Sebastian Cox et Peter Gray (dir.), Londres, Frank Cass Publishers, 2002, p. 318.
  31. Lambeth, Transformation, p. 182.
  32. Ibid.
  33. Ritchie, Air Power Victorious, p. 320.
  34. Jessica Lecroy, Centre of Gravity Schizophrenia over Kosovo: An “Eccentric” War in Need of a True Clausewitzian Analysis, dissertation, National Defense University, 1999, p. 12.
  35. Lambeth, Transformation, 184.
  36. Ibid.
  37. Ibid.
  38. Ibid, p. 187.
  39. Nordeen, Air Warfare, p. 256.
  40. Lecroy, « Centre of Gravity », p. 8.
  41. Ibid, p. 4.
  42. Stephenson, « Shades of Grey », p. 6.
  43. Ivo H. Daadler et James G. Stavridis, « NATO’s Victory in Libya: The Right Way to Run an Intervention », Foreign Affairs 91, no 2, mars-avril 2012, p. 2.
  44. Ibid.
  45. Ibid, p. 3.
  46. Jason R. Greenleaf, « The Air War in Libya », Air & Space Power Journal 27, no 2, mars-avril 2013, p. 30.
  47. Christian F. Anrig, « Allied Air Power over Libya », Air Power in UN Operations: Wings for Peace, A. Walter Dorn (dir.), Surrey, Royaume-Uni, Ashgate Publishing Limited, 2014, p. 305.
  48. Douglas Barrie, « Libya’s Lessons: The Air Campaign », Survival 54, no 6, décembre 2012 – janvier 2013), p. 59.
  49. Robert H. Gregory, Clean Bombs and Dirty Wars: Air Power in Kosovo and Libya, Lincoln, Nebraska, University of Nebraska Press, 2015, p. 181.
  50. Ibid, p. 187.
  51. Ibid, p. 183.
  52. Ibid, p. 200.
  53. Greenleaf, « The Air War », p. 46.
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