LES ENGAGEMENTS MONDIAUX

Carte par MC Chartrand.

Soudan du Sud et les environs.

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Le Canada et le Soudan du Sud : reprendre l’initiative des efforts1

par Chris Young

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Le major Chris Young, CD, MA, est officier des blindĂ©s. Il appartient au Lord Strathcona’s Horse (Royal Canadians) et compte plus de 40 ans de service dans la force terrestre. Ayant dĂ©jĂ  Ă©tĂ© rĂ©dacteur en chef du Journal de l’ArmĂ©e du Canada, il est aujourd’hui par affectation chef des opĂ©rations d’information dans l’unitĂ© des communications stratĂ©giques de la Force opĂ©rationnelle en Lettonie (FO-Lettonie) Ă  Riga. En dĂ©cembre 2019, il dĂ©fendait avec succès sa thèse de doctorat en histoire Ă  l’UniversitĂ© Concordia, Ă  MontrĂ©al. PrĂ©sentement, il termine la rĂ©vision de la version dĂ©finitive de son mĂ©moire. Le prĂ©sent article est fondĂ© sur sa pĂ©riode de dĂ©ploiement de 2016 au Soudan du Sud pour le compte des Nations Unies.

Introduction

La Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) se heurte Ă  de nombreux problèmes, dont beaucoup ont favorisĂ© l’émergence d’un degrĂ© de dysfonctionnement qui menace de devenir permanent. Il n’y a rien d’étonnant Ă  ce que bon nombre de participants de la MINUSS finissent par ĂŞtre exaspĂ©rĂ©s et dĂ©moralisĂ©s. Ils sont incapables d’apporter des changements Ă  une mission qui, aux yeux de beaucoup, est entrĂ©e dans une phase d’inutilitĂ©, Ă  supposer qu’elle ait vraiment eu de meilleurs jours. Pourquoi en est-il ainsi? La rĂ©ponse est simple : la MINUSS a perdu l’initiative des efforts au Soudan du Sud et, comme organisation, elle a acceptĂ© que son approche du rĂ©tablissement de la paix soit rĂ©actionnelle plutĂ´t que proactive.

Dans le prĂ©sent article, je tenterai d’abord d’explorer, Ă  la lumière de mon expĂ©rience personnelle, pourquoi les Nations Unies ont perdu l’initiative des efforts au Soudan du Sud et comment la mentalitĂ© dysfonctionnelle s’est dĂ©veloppĂ©e. J’exprimerai ensuite mes rĂ©flexions sur la façon dont la MINUSS pourrait reprendre l’initiative des efforts (et rĂ©tablir sa crĂ©dibilitĂ©), en me fondant sur ma propre expĂ©rience Ă  titre d’officier de liaison militaire (OLM) travaillant depuis la capitale, Djouba, entre novembre 2016 et mai 2017. Dans cette deuxième partie, j’inclurai aussi mes pensĂ©es sur le rĂ´le que le Canada pourrait jouer dans l’avenir.

Photo numérique de l’ONU no 114862.

Un soldat canadien affecté à la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU) en ex‑Yougoslavie monte la garde devant des ruines en Croatie, le 1er septembre 1993.

J’insère ici quelques mots sur mes antĂ©cĂ©dents : j’ai acquis mon expĂ©rience antĂ©rieure de ce type de mission dans la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU), dĂ©ployĂ©e dans l’ancienne Yougoslavie entre juillet 1993 et juillet 19942. J’ai eu la chance de retourner en Bosnie en 1996, avec la Force de stabilisation de l’Organisation du TraitĂ© de l’Atlantique Nord (OTAN); j’ai alors Ă©tĂ© officier des opĂ©rations (faction) sein du Groupement tactique Strathcona, et j’ai pu constater ce qu’il est possible d’accomplir quand les responsables d’une mission ont la volontĂ© et les moyens voulus pour forcer le changement. Selon moi, les responsables de la MINUSS n’ont ni la volontĂ© ni les moyens de changer les choses au Soudan du Sud.

Eric Lafforgue/Alamy Stock Photo/2AH0PWB.

Des vaches dans un camp de la tribu des Mundari de l’Équatoria central, à Terekeka au Soudan du Sud.

Contexte

Au Soudan du Sud, le matin est une pĂ©riode très apaisante de la journĂ©e. La tempĂ©rature est agrĂ©able, le brĂ»lage nocturne des ordures et excrĂ©ments a presque cessĂ©, et la fumĂ©e et les odeurs occasionnĂ©es se sont essentiellement dissipĂ©es. De plus, le spectacle donnĂ© par les oiseaux est extraordinaire avant que les gens ne commencent Ă  se lever et Ă  circuler en grand nombre. Pourtant, dans ce pays, une nausĂ©e matinale peut aussi nous assaillir. En effet, se rĂ©veiller au Soudan du Sud, c’est Ă  bien des Ă©gards ĂŞtre pris au piège comme le personnage incarnĂ© par Bill Murray dans le film Groundhog Day [Le jour de la marmotte]. Au Soudan du Sud, les conflits sont une constante quotidienne, et les Nations Unies sont aussi impuissantes le matin venu qu’elles l’étaient la veille. La pauvretĂ© impitoyable, l’incapacitĂ© des dirigeants de faire avancer le processus de paix et l’absence de toute avancĂ©e digne de ce nom vers l’amĂ©lioration de la situation du pays rendent chaque jour semblable Ă  celui qui l’a prĂ©cĂ©dĂ©.

Or, les choses n’ont pas toujours Ă©tĂ© de la sorte… Le 9 juillet 2011, l’avenir du Soudan du Sud semblait bien prometteur, et le pays bĂ©nĂ©ficiait d’un grand appui de la part de la collectivitĂ© internationale et des Nations Unies quand il est devenu le 54e Ă‰tat indĂ©pendant de l’Afrique, après 20 ans de guerre civile. Ce conflit avait fait environ trois millions de morts avant que l’Accord de paix global (APG) conclu avec le Soudan y mette fin. Comme il arrive trop souvent, l’optimisme prĂ©liminaire allait rapidement s’anĂ©antir : problèmes de gouvernance et difficultĂ©s Ă©conomiques, conjuguĂ©s avec divisions tribales dans le nouvel État, ont entraĂ®nĂ© la dislocation de la coalition avĂ©rĂ©e fructueuse sur le chemin de l’indĂ©pendance. En 2013, Ă  peine deux ans après la DĂ©claration d’indĂ©pendance, le Soudan du Sud Ă©tait dĂ©chirĂ© par des dissensions intestines, puis par une guerre civile qui avait paru inĂ©vitable, du moins aux Canadiens qui Ă©taient dans le théâtre Ă  ce moment-lĂ .

L’intervention Ă©trangère dans le nouveau pays s’est poursuivie initialement par l’intermĂ©diaire d’une organisation de l’Union africaine (UA) appelĂ©e AutoritĂ© intergouvernementale pour le dĂ©veloppement (AIGD). Celle-ci agissait dans le contexte du conflit soudanais depuis les annĂ©es 1990. Ses activitĂ©s englobaient une mĂ©diation rĂ©ussie qui a abouti Ă  l’APG de 2005, ce qui a menĂ© ultimement Ă  la DĂ©claration d’indĂ©pendance du Soudan du Sud. L’AIGD mène encore aujourd’hui ses activitĂ©s de mĂ©diation et de surveillance. Les Nations Unies sont intervenues dans le conflit soudanais en juin 2004 par l’instauration d’une mission spĂ©cialisĂ©e, la « Mission prĂ©paratoire des Nations Unies au Soudan Â» (MIPRENUS), qui visait essentiellement Ă  nĂ©gocier le dĂ©ploiement d’une mission onusienne de soutien de la paix.

Après que l’AIGD et la MIPRENUS eurent facilitĂ© l’adoption de l’APG, la Mission des Nations Unies au Soudan (MINUS) fut instaurĂ©e en mars 2005; son mandat : appuyer la mise en Ĺ“uvre de l’APG. La MINUS disposait d’un effectif de 10 000 personnes, dont approximativement 700 agents de police civils en plus d’une composante civile. La MINUS n’a pu se dĂ©ployer au Darfour Ă  cause de la rĂ©sistance du gouvernement soudanais. Par consĂ©quent, en juillet 2006, les Nations Unies ont convaincu les Soudanais d’accepter, plutĂ´t, une initiative mise sur pied par elles et l’UA, soit la Mission conjointe des Nations Unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD)3. Cette dernière, constituĂ©e en vertu du chapitre VII de la Charte, est chargĂ©e d’appuyer la mise en Ĺ“uvre de l’Accord de paix de 2006 au Darfour4. Elle visait Ă  mettre en lumière les capacitĂ©s de l’Afrique relativement au règlement des conflits rĂ©gionaux. La rĂ©solution du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations Unies (RCSNU) prĂ©cisait expressĂ©ment ceci : « […] l’opĂ©ration hybride devrait avoir un caractère essentiellement africain, et les effectifs nĂ©cessaires pour cette opĂ©ration devraient, dans la mesure du possible, ĂŞtre fournis par les pays d’Afrique5 Â».

Newscom/Alamy Stock Photo/JNXRNH.

Des marcheurs sur une route naturelle de Djouba, la capitale du Soudan du Sud, le 14 janvier 2012. Le Soudan du Sud a obtenu son indépendance en juillet 2011.

L’indĂ©pendance du Soudan du Sud, dĂ©clarĂ©e en 2011, s’est accompagnĂ©e du dĂ©ploiement d’une mission subsĂ©quente Ă  la MINUS, Ă  savoir la MINUSS, crĂ©Ă©e en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies et ayant pour mandat de « [...] consolider la paix et la sĂ©curitĂ© et aider Ă  Ă©tablir les conditions d’un dĂ©veloppement en vue de renforcer la capacitĂ© du Gouvernement de la RĂ©publique du Soudan du Sud (RSS) Ă  se gouverner efficacement et dĂ©mocratiquement et Ă  Ă©tablir de bonnes relations avec ses voisins6 [Traduction de la citation originale (TCO)]. Â» En 2013, la guerre civile a Ă©clatĂ© au Soudan du Sud et a entraĂ®nĂ© la dislocation de la coalition qui avait acquis l’indĂ©pendance du pays. En dĂ©cembre, en riposte aux combats dans la rĂ©gion de Djouba, les effectifs militaires de la MINUSS ont Ă©tĂ© portĂ©s Ă  12 500 membres auxquels s’est ajoutĂ©e une composante de forces policières de 1 323 personnes7. Cependant, ces effectifs de renfort provenaient surtout d’entitĂ©s prenant dĂ©jĂ  part Ă  des missions rĂ©gionales existantes telles que la MINUAD.

Photo du MDN, IS2012-0004-03 par le sergent Norm McLean.

Le commandant Paul Earnshaw, officier canadien de liaison militaire affecté à la mission des Nations Unies au Soudan du Sud, s’entretient avec des représentants de l’Inde à leur arrivée à Yambio, au Soudan du Sud, dans le cadre de la mission, le 3 décembre 2012.

En 2014, le mandat de la MINUSS a Ă©tĂ© Ă©largi pour inclure la protection des civils Ă  titre de prioritĂ©. En janvier, afin d’appuyer l’Accord de cessation des hostilitĂ©s entre le gouvernement et l’opposition [le Mouvement populaire de libĂ©ration du Soudan/l’ArmĂ©e populaire de libĂ©ration du Soudan dans l’opposition (MPLS/APLS-DO], les Nations Unies ont autorisĂ© l’AIGD Ă  dĂ©ployer une Ă©quipe de surveillance et de vĂ©rification pour garantir l’observation de l’accord. Malheureusement, la MINUSS a perdu de la crĂ©dibilitĂ© Ă©tant donnĂ© que l’ArmĂ©e populaire de libĂ©ration du Soudan (APLS) se livrait frĂ©quemment Ă  des massacres dans les zones manifestement sous contrĂ´le onusien. Lors du plus rĂ©cent massacre, survenu en juillet 2016, les deux parties au conflit, Ă  savoir l’APLS et l’APLS-DO, ont commencĂ© Ă  s’affronter dans la capitale, Djouba. Il y eut notamment une attaque menĂ©e par les troupes gouvernementales dans le camp des personnes dĂ©placĂ©es Ă  l’intĂ©rieur du pays (PDIP), lequel Ă©tait situĂ© Ă  proximitĂ© du camp de la MINUSS. La riposte des troupes de la MINUSS pendant l’attaque a Ă©tĂ© qualifiĂ©e de « honteuse Â». Ainsi, le bataillon chinois en poste aurait abandonnĂ© ses positions dĂ©fensives le long du pĂ©rimètre du camp des Nations Unies Ă  deux occasions, et l’UnitĂ© de police nĂ©palaise n’aurait pas rĂ©pondu aux appels Ă  l’aide des travailleurs des Nations Unies alors qu’ils se trouvaient en dehors de leurs principaux camps et qu’ils Ă©taient menacĂ©s par les troupes gouvernementales.

Fait Ă  remarquer : comme la rĂ©gion d’AbiyĂ© fait toujours l’objet d’un diffĂ©rend entre le Soudan et le Soudan du Sud, une mission distincte [celle de la Force intĂ©rimaire de sĂ©curitĂ© des Nations Unies pour AbiyĂ© (FISNUA)] a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e pour s’occuper de cette rĂ©gion contestĂ©e. Cependant, cette mission se situe en dehors du cadre du prĂ©sent article.

Pacific Press Agency/Alamy Stock Photo/GD9BKN.

Un exposé du Conseil de Sécurité de l’ONU par le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous, concernant la crise au Soudan du Sud et, notamment, la possibilité d’imposer un embargo sur les armes ainsi que de renforcer la mission des Nations Unies au Soudan du Sud, le 13 juillet 2016.

Comprendre le dysfonctionnement de la MINUSS

J’emploie le terme dysfonctionnement, plutôt que le mot échec, plus dur, en grande partie parce que je crois que, si la collectivité internationale manifeste la volonté nécessaire et fournit les moyens voulus, elle peut remettre la MINUSS sur les rails et la faire agir convenablement dans le cadre de la consolidation de la paix. Mon intention dans la présente partie de l’article est de cerner les éléments de la MINUSS qui contribuent à son dysfonctionnement et de formuler quelques idées sur les moyens à prendre pour transformer ces éléments.

Le principal problème de la MINUSS rĂ©side dans le fait que c’est une mission qui a Ă©tĂ© Ă©tablie en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, mais qui est menĂ©e comme s’il s’agissait d’une mission crĂ©Ă©e aux termes du chapitre VI8. Je veux dire par lĂ  que les chefs de la MINUSS ont comme mentalitĂ© d’obliger les belligĂ©rants Ă  se conformer Ă  l’accord, mais sans recourir Ă  la force. En effet, le recours Ă  la force a Ă©tĂ© activement dĂ©couragĂ©, mĂŞme dans les cas oĂą l’emploi de la force aurait Ă©tĂ© logique. Certes, il convient de prĂ©coniser la mĂ©diation et la nĂ©gociation pour apaiser les tensions et Ă©viter un conflit, mais il faut Ă©tayer cette position avec l’usage de la force quand l’autre partie fait preuve d’intransigeance. Comme j’en parlerai plus loin dans cet article, les forces du gouvernement du Soudan du Sud ont rĂ©gulièrement restreint la libertĂ© de mouvement de la MINUSS dans tout le théâtre et l’en ont mĂŞme privĂ©.

Le centre de gravitĂ© de la MINUSS est la libertĂ© de mouvement : sans elle, la mission est incapable d’influer sur les Ă©vĂ©nements, soit en faisant des comptes rendus ou des enquĂŞtes, en exĂ©cutant des dĂ©ploiements de dissuasion, ou en menant des opĂ©rations humanitaires. Cependant, Ă  cause de l’institutionnalisation de ce que j’appelle les « processus fondĂ©s sur la bonne foi Â», les opĂ©rations de la MINUSS ont Ă©tĂ© grandement compromises. Les deux processus sont connus comme Ă©tant le partage des renseignements (PR) et le mĂ©canisme mixte de vĂ©rification et de surveillance (MMVS).

Le PR a reposĂ© Ă  l’origine sur un principe assez simple : les Nations Unies croient qu’elles doivent faire preuve de transparence dans toutes leurs opĂ©rations. Ce concept de transparence Ă©tait axĂ© sur des raisons affĂ©rentes Ă  la sĂ©curitĂ© et Ă  la sĂ»retĂ© et visait Ă  appuyer la campagne de relations publiques de la MINUSS, car il s’agissait de dĂ©montrer, concrètement, l’appui opĂ©rationnel offert par les Nations Unies Ă  la population du Soudan du Sud. Dans la pratique, cependant, la transparence est devenue une arme employĂ©e contre les Nations Unies. En fournissant des dĂ©tails sur les opĂ©rations que la MINUSS comptait mener, y compris le nombre de soldats qui y participeraient, leurs vĂ©hicules et leurs armes, les responsables de la MINUSS ont procurĂ© au gouvernement du Soudan du Sud (GSS) et Ă  l’APLS les moyens voulus pour tirer parti de la convention sur le statut des forces (SOFA9).

Plus prĂ©cisĂ©ment, le paragraphe 48 de la Convention sur le statut des forces contient la disposition suivante :

[…] le gouvernement [du Soudan du Sud] prendra toutes les mesures appropriées pour garantir la sécurité, la sûreté et la liberté de mouvement de la MINUSS, de ses membres et du personnel qui lui est associé et pour protéger ainsi leurs équipements et leurs installations. Il prendra toutes les mesures voulues pour protéger les membres de la MINUSS, son personnel ainsi que l’équipement et les installations contre toute attaque ou mesure qui les empêcheraient de remplir leur mandat. [TCO]

Très habilement, le GSS a fait valoir que la convention sur le statut des forces lui confiait la responsabilitĂ© de veiller sur la sĂ©curitĂ© et la sĂ»retĂ© du personnel et des opĂ©rations de la MINUSS. Cela l’autorisait donc Ă  dicter quand et oĂą les mouvements de la MINUSS devaient ĂŞtre autorisĂ©s. Quand la MINUS proposait de mener des activitĂ©s dans les zones que le GSS avait dĂ©signĂ©es « zones d’opĂ©rations Â», ce dernier y interdisait essentiellement les mouvements de la MINUSS en dĂ©clarant que c’était des zones dangereuses et que, par consĂ©quent, la sĂ©curitĂ© de la MINUSS y serait menacĂ©e. Il m’a rapidement semblĂ©, pendant le temps oĂą j’ai servi dans le cadre de la MINUSS, que les zones d’opĂ©rations Ă©taient plus ou moins toutes celles que le GSS considĂ©rait comme Ă©tant dĂ©licates, y compris, en particulier, celles oĂą il se livrait Ă  des tueries ou Ă  des activitĂ©s gĂ©nocidaires dans le territoire occupĂ© par l’ALPS-DO.

L’autre processus manifestement instituĂ© de bonne foi, dans ce cas-ci par le GSS, Ă©tait le MMVS. CrĂ©Ă© par le GSS pour constituer un lien (ou un filtre) bureaucratique, le MMVS avait Ă©tĂ© judicieusement insĂ©rĂ© entre la MINUSS et l’APLS comme moyen par lequel tous les documents concernant les consignes opĂ©rationnelles sur les transmissions (COT) Ă©taient gĂ©rĂ©s. Le MMVS traitait avec la MINUSS aux niveaux tactique, opĂ©rationnel et stratĂ©gique; si l’on communiquait directement avec la chaĂ®ne de commandement de l’APLS, on Ă©tait habituellement dirigĂ© vers l’interlocuteur compĂ©tent du MMVS. Au niveau tactique, l’OLM local traitait avec le bureau local du MMVS et, d’habitude, avec des membres de ce dernier dont le grade allait de lieutenant Ă  lieutenant-colonel : la plupart de ceux qui se situaient au niveau de major ou de lieutenant-colonel Ă©taient des membres supĂ©rieurs en raison de la durĂ©e de leur service. L’OLM supĂ©rieur (OLMS) Ă©tait un colonel et il Ă©tait responsable de l’unitĂ© locale des OLM. L’OLMS traitait, quand il le fallait, avec le chef du bureau local du MMVS. L’adjoint de l’OLM en chef (AOLMC) de la MINUSS, au QG de la Force, coordonnait toutes les activitĂ©s des OLM dans le théâtre et traitait avec le chef du bureau global du MMVS. Seul l’OLM en chef (OLMC), qui Ă©tait aussi commandant adjoint de la Force, pouvait communiquer directement avec le QG APLS.

ZUMA Press, Inc./Alamy Stock Photo/FTFXCA.

Des soldats de l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) de l’opposition arrivent à l’aéroport de Djouba, le 28 mars 2016, après la signature d’un accord de paix entre les forces rebelles et le gouvernement en août 2015.

En réalité, le MMVS a fini par devenir une organisation indépendante par le biais de laquelle la MINUSS était censée communiquer avec l’APLS, ce qui en faisait effectivement un instrument des opérations d’information qui permettait à l’APLS de dissimuler et de protéger sa structure de commandement. Le personnel du MMVS était composé d’officiers de l’ALPS, de sorte que le MMVS est devenu le moyen par lequel l’ALPS empêchait la MINUSS de communiquer directement avec les chefs de l’ALPS. Si on ajoute à cela le processus des COT, on peut dire que le MMVS est devenu un moyen de plus en plus perfectionné d’entraver ou de restreindre presque à volonté les opérations de la MINUSS, et ce moyen était utilisé régulièrement.

Voici comment étaient appliqués ces deux processus. D’abord, les responsables de la MINUSS décidaient de mener des activités dans une zone donnée. Ils demandaient alors à leur unité d’OLM chargée de cette zone de rédiger les documents nécessaires de COT. Ces documents décrivaient la nature des activités envisagées, ils précisaient la date d’exécution de celles-ci de même que les troupes des Nations Unies participantes, y compris les informations sur les organismes civils, les armes et le nombre de militaires, et ils indiquaient aussi les itinéraires qui seraient suivis pour entrer dans la zone en question et en sortir. Les COT étaient ensuite envoyées au bureau local du MMVS, puis, en théorie, transmises au chef d’état-major (CEM) chargé des opérations des forces de l’APLS. Une fois que l’APLS avait examiné les opérations envisagées et décidé si la zone concernée était délicate ou non, les documents concernant les COT étaient renvoyés aux OLM par l’intermédiaire du bureau local du MMVS. Les documents comprenaient alors la déclaration selon laquelle l’opération en question était approuvée, ou qu’elle ne l’était pas (mais qu’elle pouvait aller de l’avant, bien entendu que les Nations Unies acceptaient les risques que cela comportait). En réalité, l’APLS se lavait les mains des opérations qu’elle ne voulait pas voir les Nations Unies entreprendre, car elle ne pouvait pas empêcher la MINUSS de mener des opérations, sans violer les conditions de la convention sur le statut des forces. Dans la pratique, l’équipe d’OLM qui accompagnait les forces des Nations Unies entreprenant l’opération constatait habituellement que les documents sur les COT n’avaient jamais été transmis aux unités tactiques. La plupart du temps, les postes de contrôle locaux n’avaient pas été mis au courant des opérations planifiées par les Nations Unies et ils devaient régulièrement communiquer avec leur QG supérieur pour confirmer l’authenticité des documents avant que les forces des Nations Unies puissent poursuivre leur mouvement10.

Les documents sur les COT sont devenus pour l’APLS un moyen par lequel elle pouvait exercer sa souverainetĂ© dans la pratique en autorisant ou en interdisant les mouvements de la MINUSS. Comme le GSS et l’APLS ne pouvaient pas directement interdire ces mouvements (cela aurait Ă©quivalu Ă  une violation de la convention sur le statut des forces et aurait entraĂ®nĂ© une rĂ©action des Nations Unies, probablement sous la forme de sanctions ou d’une mesure juridique contre des individus en particulier), ils rĂ©pondaient plutĂ´t aux COT en dĂ©clarant qu’ils approuvaient l’activitĂ© en question, ou qu’ils la dĂ©sapprouvaient, mais qu’ils autorisaient la MINUSS Ă  l’entreprendre Ă  ses risques. En d’autres mots, malgrĂ© les obligations Ă©noncĂ©es au paragraphe 48 de la convention sur le statut des forces, le GSS et l’APLS s’affranchissaient de toute responsabilitĂ© Ă  l’égard des activitĂ©s de la MINUSS quand cela Ă©tait prĂ©cisĂ© dans les documents sur les COT. Ce refus d’assumer la responsabilitĂ© de la sĂ©curitĂ© de la MINUSS Ă©tait renforcĂ© par les refus opposĂ©s Ă  chaque poste de contrĂ´le local le long de l’itinĂ©raire suivi. Tout effort qui visait Ă  renverser une telle interdiction des mouvements Ă©tait extrĂŞmement pĂ©nible et long, et le processus favorisait fortement les tactiques de retardement de l’APLS.

Par exemple, pour aller de Djouba Ă  Kajo Keji pendant la saison sèche, il fallait effectuer un voyage d’une dizaine d’heures, car il n’y avait qu’une seule route principale entre les deux endroits. Si le dĂ©placement Ă©tait retardĂ© ne serait-ce que de quelques heures, la patrouille de la MINUSS Ă©tait forcĂ©e d’arriver Ă  Kajo Keji après le crĂ©puscule, ce qui l’obligeait Ă  avancer de nuit et Ă  demander par consĂ©quent l’approbation du commandant de la Force, ou encore Ă  trouver un « lieu de laager Â» le long de la route pour y passer la nuit. Quand nous Ă©tions retardĂ©s, nous cherchions d’habitude Ă  faire reporter l’opĂ©ration par le commandant de secteur de la MINUSS. Les chefs de la MINUSS, au QG de la Force, ne favorisaient pas toujours cette solution! En effet, le report de ma patrouille en mars 2017 n’avait pas Ă©tĂ© autorisĂ©, de sorte que nous sommes arrivĂ©s Ă  Kajo Keji après la tombĂ©e de la nuit et avons dĂ» faire face lĂ  Ă  une milice armĂ©e sur un pied d’alerte et très nerveuse, car elle avait subi pendant la journĂ©e une attaque des forces locales de l’APLS-DO contre la prison locale!

L’exemple sans doute le plus dĂ©plorable illustrant la perte de l’initiative et de la libertĂ© de mouvement par la MINUSS, et ce, au niveau stratĂ©gique, a rĂ©sidĂ© dans la lutte continue menĂ©e pour dĂ©ployer la Force de protection rĂ©gionale (FPR) au Soudan du Sud. La FPR a Ă©tĂ© constituĂ©e par suite de la crise de juillet 2016 et elle avait pour but de fournir au reprĂ©sentant spĂ©cial du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral (RSSG), par l’intermĂ©diaire du commandant de la Force chargĂ©e de la MINUSS, une force de rĂ©serve exclusive qui pourrait riposter et riposterait effectivement face aux menaces qui pèseraient sur la sĂ©curitĂ© dans la zone de Djouba. L’idĂ©e Ă©tait de dĂ©ployer la FPR rapidement, de stabiliser l’état de la sĂ©curitĂ© et de mener la mission Ă  bien avant dĂ©cembre 2016, date oĂą la FPR serait retirĂ©e. Cependant, bien que le GSS ait ostensiblement consenti au dĂ©ploiement de cette force, la FPR s’est heurtĂ©e Ă  de nombreux ennuis et reports : des problèmes liĂ©s Ă  la saison des pluies et l’absence d’un espace convenable en ont expliquĂ© quelques-uns, mais la plupart ont Ă©tĂ© dus Ă  l’intransigeance du GSS Ă  cet Ă©gard.

Newscom/Alamy Stock Photo/JPDD0H.

Base de l’ONU consacrée aux opérations de maintien de la paix au Soudan du Sud à Djouba, la capitale, le 11 décembre 2016.

Parce que la mission a Ă©tĂ© dirigĂ©e comme s’il s’agissait d’une opĂ©ration mise sur pied aux termes du chapitre VI de la Charte, le GSS a eu le pouvoir de dĂ©cider du type et de l’identitĂ© nationale des contingents militaires dĂ©ployĂ©s dans le pays. Cela lui a permis de refuser l’inclusion d’unitĂ©s de combat occidentales dans la FPR et d’exiger plutĂ´t celle de troupes provenant exclusivement de pays africains de la rĂ©gion. Le GSS a fait pression pour que les troupes comprennent surtout des unitĂ©s du gĂ©nie, car il cherchait de la sorte Ă  leur faire exĂ©cuter des travaux de dĂ©veloppement. Comme la MINUSS a insistĂ© pour se doter d’unitĂ©s aptes Ă  combattre, le GSS a opposĂ© des obstacles quant au type de matĂ©riels lourds qui seraient autorisĂ©s Ă  faire partie de la FPR.

Par consĂ©quent, en date d’aoĂ»t 2017, seulement 350 soldats (deux compagnies d’infanterie et une compagnie du gĂ©nie) avaient Ă©tĂ© envoyĂ©s Ă  Djouba sur les 4 000 dont la participation avait Ă©tĂ© autorisĂ©e dans la RCSNU 2304 (2016). Pire encore, en vertu des ententes nĂ©gociĂ©es sur le dĂ©ploiement de la FPR, celui-ci a Ă©tĂ© retreint Ă  des opĂ©rations dans les limites de la ville de Djouba. Certes, le dĂ©ploiement des troupes de la FPR dans Djouba a libĂ©rĂ© d’autres contingents en poste Ă  Djouba qui ont dès lors pu intervenir ailleurs dans le théâtre, mais la FPR Ă©tait essentiellement conçue pour devenir la rĂ©serve de la MINUSS. Au lieu de se doter de la latitude voulue pour dĂ©placer les troupes de la MINUSS lĂ  et quand ils le souhaitaient, les chefs de la MINUSS ont laissĂ© les nĂ©gociateurs la priver encore une fois de l’initiative (et, en mĂŞme temps, de sa libertĂ© de mouvement stratĂ©gique).

Par ailleurs, la FPR se heurte Ă  plusieurs difficultĂ©s autres que celles liĂ©es aux reports du dĂ©ploiement. Bon nombre des pays de la rĂ©gion fournissant des troupes Ă  la FPR et enclins Ă  le faire participent dĂ©jĂ  beaucoup Ă  d’autres missions rĂ©gionales. La qualitĂ© des troupes disponibles n’est pas celle qu’il faudrait pour les opĂ©rations de la rĂ©serve de la Mission11. Aspect plus inquiĂ©tant, le GSS a aussi imposĂ© le niveau des capacitĂ©s offensives des forces affectĂ©es Ă  la MINUSS, de sorte que l’APLS conserve un « avantage offensif Â» sur les Nations Unies. La prĂ©sence d’armes lourdes n’est en gĂ©nĂ©ral pas autorisĂ©e, selon les directives du GSS. Enfin, on ne sait toujours pas au juste si, dans le cadre de ses opĂ©rations Ă  Djouba, la FPR conserve la possibilitĂ© essentielle de se dĂ©ployer pour protĂ©ger l’aĂ©roport international et en garder la maĂ®trise, car cette installation vitale constitue le centre de gravitĂ© de la MINUSS12.

Un autre problème a rĂ©sidĂ© dans l’expansion du mandat de la MINUSS, Ă  laquelle a ainsi Ă©tĂ© confiĂ©e la tâche nĂ©buleuse d’assurer la protection des civils*. L’adoption de la RCSNU 2252 (2015) a eu une consĂ©quence pratique : partout oĂą la MINUSS Ă©tablissait un camp armĂ© pour les troupes de maintien de la paix, des PDIP et des rĂ©fugiĂ©s venaient y chercher protection, ce qui a obligĂ© les Nations Unies Ă  mettre sur pied et Ă  doter en personnel des camps permanents destinĂ©s Ă  ces personnes et Ă  y exercer une surveillance policière. Cet ajout considĂ©rable au mandat de la Mission s’est fait sans augmentation parallèle des effectifs du contingent.

* J’ai employĂ© le mot « nĂ©buleux » avec l’expression « protection des civils » pour dĂ©crire le caractère ambigu de cette expansion du mandat de la Mission. Par exemple, les organismes civils semblaient croire que ce mandat visait tous les civils au Soudan du Sud, tandis que d’autres, y compris des chefs militaires supĂ©rieurs avec qui je me suis entretenu, pensaient que l’expression dĂ©signait uniquement les civils des camps de protection des civils (p. ex. les camps de Malakal, de Bentiu et de Djouba). D’autres rĂ©alitĂ©s compliquaient les choses : il y a avait de toute Ă©vidence des rĂ©fugiĂ©s Ă©conomiques (personnes qui fuyaient la famine et la pauvretĂ©) qui se servaient des camps pour obtenir de la nourriture, une Ă©ducation, ou des soins de santĂ©, ou les trois. Il n’y avait aucun moyen de faire la distinction entre ceux qui fuyaient la persĂ©cution et ceux qui cherchaient Ă  Ă©chapper Ă  la pauvretĂ© et aux piètres conditions Ă©conomiques. Il n’était pas clair non plus qu’une telle distinction fĂ»t nĂ©cessaire. Quoi qu’il en soit, le nombre de personnes prĂ©sentes dans ces camps Ă©tait considĂ©rable et dĂ©passait les capacitĂ©s des Nations Unies et de la MINUSS : les diverses attaques contre les camps de protection des civils l’ont montrĂ© hors de tout doute.

Le manque de coordination entre les éléments militaires et les organismes civils n’est pas nouveau, mais il a atteint un nouveau paroxysme dans le cadre de la MINUSS. Pendant ma période de service, nous avons régulièrement vu des organismes d’aide circuler en Équatoria central sans protection et sans avoir informé le commandant de secteur de la MINUSS de leurs activités. Dans au moins un cas, neuf travailleurs humanitaires qui circulaient sans avoir communiqué avec la MINUSS sont tombés dans une embuscade et ont été tués le long d’une route connue de bandits et fréquentée par eux (selon la rumeur, ceux-ci bénéficiaient de l’appui de forces militaires locales). La MINUSS a été chargée de récupérer les corps et de mener une enquête post-mortem pour savoir qui était responsable de ces meurtres.

Le manque de coordination ne se limitait pas aux ONG : lors de ma première patrouille Ă  Kajo Keji, en dĂ©cembre 2016, ma rĂ©union avec les aĂ®nĂ©s locaux a Ă©tĂ© interrompue par l’arrivĂ©e d’un vol des Nations Unies Ă  la garnison locale. L’avion amenait des reprĂ©sentants du Programme alimentaire mondial (PAM) dans la rĂ©gion pour des entretiens avec les autoritĂ©s locales. Cela n’avait rien de très surprenant, sauf que ma patrouille avait au dĂ©part pour tâche d’appuyer une demande du PAM : ce dernier a ultĂ©rieurement dĂ©cidĂ© d’annuler sa participation et dĂ©clarĂ© que sa mission aurait lieu Ă  une autre date. Cependant, le commandant du Secteur sud, mon supĂ©rieur, a dĂ©cidĂ© que ma patrouille se poursuivrait sans la participation de l’organisme d’aide humanitaire et que ce serait donc une patrouille strictement militaire. Imaginez mon Ă©tonnement tandis que j’expliquais que cette patrouille revĂŞtait un caractère militaire uniquement, pendant qu’un vol amenant des travailleurs humanitaires Ă©tait en train d’atterrir! Malheureusement, cela n’a pas Ă©tĂ© le seul cas de ce genre.

Dans une autre situation, et celle-ci a eu de graves consĂ©quences stratĂ©giques, des organismes d’aide travaillaient pour amĂ©liorer l’état de la route reliant Djouba Ă  Kajo Keji. Le long de ce qui avait Ă©tĂ© une route de terre battue Ă  peine assez large Ă  certains endroits pour que deux vĂ©hicules s’y rencontrent, ces organismes se sont mis Ă  amĂ©liorer les ponts. Cela a d’abord paru admirable, et les travaux ont Ă©tĂ© faits dans le but manifeste de favoriser l’acheminement de l’aide humanitaire sur la route entre Djouba et Kajo Keji, mais un grave problème stratĂ©gique s’est alors posĂ©. Premièrement, la route en question n’était pas le principal axe empruntĂ© pour apporter l’aide humanitaire Ă  Kajo Keji. La plupart des habitants de la rĂ©gion de cette ville avaient Ă©tĂ© chassĂ©s de lĂ  en dĂ©cembre 2016 dans le cadre d’un nettoyage ethnique : ils se trouvaient soit en Ouganda, de l’autre cĂ´tĂ© de la frontière, soit dans des camps de PDIP près de la frontière ougandaise, dans des zones occupĂ©es par l’APLS-DO. L’acheminement d’une aide humanitaire entre Djouba et Kajo Keji n’était pas nĂ©cessaire. Fait surprenant, cependant, l’amĂ©lioration de la route s’est poursuivie mĂŞme après le dĂ©but de l’épuration ethnique et l’amorce par la MINUSS de son enquĂŞte Ă  cet Ă©gard.

Cependant, et c’est là un élément plus grave, vu qu’il n’y avait pas de ponts convenables le long de la route, seuls les petits véhicules et camions pouvaient l’emprunter, contrairement aux gros camions et aux véhicules blindés. Les forces blindées de l’APLS avaient essentiellement été dans l’impossibilité de se déplacer sur cette route, vu sa lenteur et parce que les chars risquaient de subir des avaries sur ce terrain extrêmement accidenté. Une fois terminés les travaux d’amélioration de la route et des ponts, les forces de l’APLS ont pu s’en servir pour opérer leurs mouvements si elles le voulaient. Comme toutes les conséquences n’avaient pas été prises en compte, les travaux d’aide mal harmonisés risquaient maintenant de déséquilibrer pour le pire les rapports de force dans la région, surtout si l’on y prenait en considération le récent comportement génocidaire du GSS. Une ignorance semblable de la situation tactique et opérationnelle a été manifeste dans d’autres régions du Soudan du Sud pendant toute ma période de service.

Joerg Boethling/Alamy Stock Photo/CEJDFX.

Vue aérienne de la capitale du Soudan du Sud, Djouba, le 28 octobre 2011.

Autres enjeux opérationnels

Sur le plan opĂ©rationnel, la MINUSS avait Ă©tabli certaines modalitĂ©s très bizarres, notamment en ce qui concernait le commandement et le contrĂ´le militaires dans la mesure oĂą ils rapportaient aux officiers de liaison militaires. La MINUSS menait d’autres activitĂ©s, y compris par exemple les enquĂŞtes sur les droits de la personne et certains travaux de dĂ©veloppement, mais je dois souligner que je me fonde ici sur mon expĂ©rience dans le contexte de trois types particuliers de patrouilles de la MINUSS en Équatoria central, dans la cellule des OLM de Djouba : les patrouilles de ravitaillement de la MINUSS sur terre ou au moyen de barge circulant sur le Nil; les patrouilles destinĂ©es Ă  affirmer la prĂ©sence des Nations Unies; les patrouilles d’enquĂŞte chargĂ©es d'Ă©valuer la sĂ©curitĂ© dans des zones de conflit particulières (les patrouilles de ces deux derniers types Ă©taient souvent combinĂ©es). Les patrouilles d’enquĂŞte et d’affirmation de la prĂ©sence se subdivisaient en Ă©quipes militaires ou en Ă©quipes intĂ©grĂ©es, ces dernières comprenant une composante militaire et une composante civile formĂ©e de reprĂ©sentants de divers organismes des Nations Unies tels que le Haut Commissariat pour les rĂ©fugiĂ©s (HCR des Nations Unies) ou le Bureau de la coordination des affaires humanitaires.

Les patrouilles se composaient en gĂ©nĂ©ral de trois volets : l’élĂ©ment de protection de la force, qui avait typiquement la taille d’une compagnie fournie par un pays donnĂ© et placĂ©e sous le commandement d’un capitaine peu expĂ©rimentĂ© ou d’un officier d’un grade Ă©quivalent Ă  celui de major; l’équipe d’OLM formĂ©e de deux officiers (d’habitude, des majors expĂ©rimentĂ©s ou des lieutenants-colonels); la composante civile [soit des chauffeurs des Nations Unies ou des chauffeurs fournis par un entrepreneur et exĂ©cutant surtout les missions de ravitaillement des Nations Unies, soit une Ă©quipe intĂ©grĂ©e (voir plus haut), s’il s’agissait d’une patrouille d’enquĂŞte ou d’affirmation de la prĂ©sence]. Normalement, l’élĂ©ment de protection de la force Ă©tait une compagnie d’infanterie Ă  l’effectif incomplet; cette compagnie Ă©tait embarquĂ©e dans des camions et munie de mitrailleuses lourdes montĂ©es sur un ou deux vĂ©hicules Ă  roues Ă  blindage lĂ©ger.

Je me suis immédiatement rendu compte qu’en matière de commandement et de contrôle, la relation entre l’OLM et le commandant de l’élément de protection de la force en particulier serait problématique. Presque sans exception, les membres de l’équipe des OLM avaient plus d’expérience et possédaient un grade plus élevé que le commandant de l’élément de protection de la force, mais c’était à lui que le commandement de la mission était confié. Les OLM devenaient de facto des conseillers dont les conseils étaient souvent balayés du revers de la main ou laissés de côté. Souvent, mais pas toujours, le commandant de l’élément de protection de la force se rendait compte qu’il était dans son intérêt de demander conseils et directives à l’OLM, plus expérimenté que lui. Cependant, il y avait trop souvent de tels commandants qui cherchaient à exercer un contrôle complet sur l’exécution de la patrouille et qui refusaient d’écouter les conseils fournis par l’OLM, voire ceux offerts par les membres de l’organisme civil. Je dois mentionner qu’officiellement, les OLM sont désignés par les Nations Unies comme étant des experts militaires, car ils doivent être mieux entraînés et mieux informés sur la mission et ses buts que leurs pairs membres des contingents fournissant des troupes. Malgré cela, un OLM n’a jamais été chargé de commander une mission pendant toute ma période de service.

Du point de vue du contrôle, les civils de l’équipe représentaient eux aussi un problème. Il arrivait régulièrement que les chauffeurs des Nations Unies et chauffeurs civils participant aux missions de ravitaillement passent outre aux protocoles des convois et mettent ainsi en danger les membres de ces derniers. Dans au moins un cas, j’ai vu un civil au volant d’un camion de ravitaillement décider de quitter notre convoi et d’essayer de me doubler dans un virage sans visibilité, sur une route ascendante achalandée, pendant le week-end de Pâques. À titre d’OLM, le seul recours dont je disposais, après l’avoir réprimandé et lui avoir rappelé la nécessité de respecter la discipline des convois, a consisté à déposer une plainte auprès de son employeur et à recommander à ce dernier de ne plus jamais l’affecter à la conduite de véhicules des Nations Unies.

D’autres problèmes liés aux missions de ravitaillement prenaient la forme de pannes fréquentes et longues des camions, surtout quand il s’agissait de camions obtenus auprès d’entités civiles (c’était moins le cas des véhicules des Nations Unies). Une crevaison, par exemple, faisait perdre au moins une heure et demie. La patrouille était obligée d’attendre pour s’assurer que les camions ne seraient pas ciblés par des pillards. Il était rare qu’une de nos patrouilles fût dotée d’un véhicule qui aurait pu s’apparenter à une dépanneuse convenable; la démarche habituelle consistait à avoir dans le convoi un camion d’une tonne muni de cordes et de chaînes et transportant aussi des pneus de rechange. Ironiquement, au cours d’une patrouille, c’est ce véhicule qui est tombé en panne deux fois en cours de route, ce qui a entraîné un retard d’environ quatre heures en tout. Le seul recours de l’OLM consistait à inspecter tous les camions avant le départ de la patrouille et à refuser à tout véhicule dans un mauvais état évident d’accompagner cette dernière. Nous ne savions pas au juste si, en notre qualité d’officier de liaison militaire, nous avions le droit d’opposer un tel refus, mais certains d’entre nous l’ont fait à l’occasion13.

Warmodo/Alamy Stock Photo/CE8BJH.

Enfants soldats de l’Armée populaire de libération du Soudan, au Soudan du Sud.

Les civils d’autres organismes des Nations Unies posaient aussi un problème. Souvent, ils s’éloignaient seuls et tenaient des rĂ©unions sans informer le reste de la patrouille, ou ils s’aventuraient en dehors du pĂ©rimètre de sĂ©curitĂ© très nĂ©cessaire de la patrouille. J’ai eu de la chance Ă  cet Ă©gard, en ce sens que la plupart de mes patrouilles ont Ă©tĂ© exclusivement militaires. D’autres OLM n’ont pas eu cette chance. Dans un cas, pendant ma pĂ©riode de service (il ne s’agissait pas d’une de mes patrouilles), les civils qui accompagnaient la patrouille ont conclu que les logements offerts et utilisĂ©s par les Ă©lĂ©ments de protection de la force ne leur convenaient pas; ils ont donc dĂ©cidĂ© d’aller se loger dans un camp local du HCR installĂ© Ă  deux kilomètres plus loin sur la route. Le chef local du personnel du HCR refusait d’admettre des militaires dans son camp; par consĂ©quent, quand l’enceinte du HCR a Ă©tĂ© attaquĂ©e plus tard ce soir-lĂ , l’équipe des OLM est partie Ă  la rescousse des membres civils de la patrouille et les a ramenĂ©s dans ses vĂ©hicules blindĂ©s de transport de troupes jusqu’au camp de l’élĂ©ment de protection de la force. D’autres difficultĂ©s liĂ©es aux civils se rapportaient Ă  la sĂ©curitĂ©, car un certain nombre d’organismes des Nations Unies interdisaient Ă  leur personnel de quitter la zone de Djouba Ă  moins de le faire Ă  bord d’un vĂ©hicule blindĂ©. En ma qualitĂ© d’OLM, je circulais rĂ©gulièrement Ă  bord d’un vĂ©hicule non blindĂ©, mais les civils se dĂ©plaçaient presque toujours Ă  bord de camions de patrouille « Ă  blindage renforcĂ© Â» plus lents, dans les zones de conflit.

Il ne faut pas en dĂ©duire que les OLM Ă©taient parfaits. En au moins une occasion, une Ă©quipe d’OLM de Djouba a dĂ©cidĂ© que la patrouille avançait trop lentement. Par consĂ©quent, au lieu de s’installer pour la nuit, Ă  quinze kilomètres du camp principal de Djouba, l’équipe a dĂ©cidĂ© de quitter la patrouille et de rentrer seule Ă  Djouba. Certains chauffeurs de camion civils, qui rentraient Ă  vide, souhaitaient eux aussi passer la nuit dans leur camp et ont abandonnĂ© le convoi eux aussi. Les deux OLM de l’équipe Ă©taient des capitaines peu expĂ©rimentĂ©s, et leur conduite leur a valu des remontrances de la part de l’officier de liaison militaire supĂ©rieur intĂ©rimaire Ă  ce moment-lĂ 14. Pourtant, le bureau des OLM a en mĂŞme temps rĂ©digĂ© une note de service pour dĂ©fendre les deux capitaines et Ă©viter ainsi que leur dĂ©sertion ternisse la rĂ©putation du bureau. Ce ne fut pas notre meilleur moment!

Chris/Alamy Stock Photo/MTF34C.

Un soldat britannique du 39 Engineer Regiment, Corps of Royal Engineers, exerçant des fonctions dans le cadre du mandat des Nations Unies à Malakal, au Soudan du Sud, le 9 mai 2017.

Réflexions sur la façon pour la MINUSS de reprendre l’initiative et de rétablir sa crédibilité

Malheureusement, à la lecture de ce qui précède, il est tout à fait évident que plusieurs problèmes fondamentaux doivent être réglés pour que la MINUSS reprenne l’initiative et rétablisse la crédibilité des Nations Unies dans la région. À mon avis, la première mesure évidente à prendre consisterait à démanteler le processus de partage des renseignements (PR) et à se détacher du Mécanisme mixte de vérification et de surveillance (MMVS). Ces deux éléments donnent de facto au GSS et à l’APLS la possibilité d’approuver ou non les mouvements des Nations Unies, et c’est là quelque chose que les dirigeants de la MINUSS ont permis. En outre, ces processus restreignent la liberté d’action des Nations Unies; or, elles doivent en priorité recouvrer cette liberté d’action pour retrouver respectabilité et crédibilité. Bref, mettre fin au processus du PR (au diable la transparence!) et insister sur le droit de la MINUSS de se déplacer où et quand elle le veut. Un point, c’est tout!

Cela nous amène au deuxième problème : la MINUSS a contribuĂ©, du moins en partie, Ă  mettre en lumière les capacitĂ©s de l’Union africaine (UA) intervenant en tant qu’organisme rĂ©gional dans des opĂ©rations de paix et de stabilitĂ©. Malheureusement, l’UA n’est pas Ă  la hauteur. Non seulement les capacitĂ©s opĂ©rationnelles de ses forces sont limitĂ©es, mais de graves partis pris rĂ©gionaux et des conflits d’intĂ©rĂŞts nationaux sont entrĂ©s en jeu relativement Ă  la MINUSS. Ce qu’il faut, si l’on se reporte au modèle de l’IFOR/la SFOR appliquĂ© en Bosnie, c’est une force dotĂ©e des moyens nĂ©cessaires pour dominer l’APLS et l’APLS-DO; cette supĂ©rioritĂ© est essentielle pour imposer le respect des accords et des rĂ©solutions : ce sera peut-ĂŞtre un respect manifestĂ© Ă  contrecĹ“ur, mais il sera portĂ© nĂ©anmoins. Le fait est que l’Occident doit intervenir dans le Soudan du Sud s’il veut que cette mission rĂ©ussisse. Le recours aux capacitĂ©s de combat opĂ©rationnelles dont les armĂ©es occidentales disposent et que l’Union africaine ne possède pas est nĂ©cessaire.

Il importe aussi de clarifier en quoi consiste le travail de la MINUSS relativement Ă  la protection des civils (PC), de manière qu’à cet Ă©gard, non seulement la mission soit comprise de tous, mais aussi qu’elle en soit une que la MINUSS soit capable de remplir. Les exigences actuelles liĂ©es aux emplacements oĂą les civils sont protĂ©gĂ©s surchargent la MINUSS Ă  l’excès : cette rĂ©alitĂ© a en outre empĂŞchĂ© l’établissement de camps permanents des Nations Unies dans les zones faisant problème (p. ex. Yei ou Kajo Keji), Ă  cause des besoins opĂ©rationnels qui sont liĂ©s Ă  ces camps et qui s’ensuivent inĂ©vitablement. Il faut appuyer l’application de la politique avec les forces et les ressources requises pour en garantir le succès. Autrement, la crĂ©dibilitĂ© de la MINUSS continuera d’être mise Ă  mal.

Il importe de mieux superviser et coordonner l’action humanitaire au Soudan du Sud. Les organismes des Nations Unies qui collaborent avec les ONG n’en coordonnent pas suffisamment les efforts. Pendant la mission de la Force de stabilisation (SFOR) en Bosnie-Herzégovine, des cellules de coordination ont été créées au niveau du groupement tactique (GT) et ont reçu pour mission d’établir des rapports avec les ONG dans la zone d’opérations du GT et de veiller à en coordonner les activités pour éviter qu’elles minent la vision globale pour cette zone. Une coordination de ce genre n’existe pas au sein de la MINUSS, ou elle est inefficace. Dans de trop nombreux cas, les opérations ont souffert du fait que la coordination était mauvaise ou inexistante.

La MINUSS, le Canada et l’avenir?

Ă€ l’heure actuelle, le Canada fournit dix militaires Ă  la mission des Nations Unies; certains sont officiers d’état-major, et les autres, officiers de liaison. Le commandant de la force opĂ©rationnelle, qui est un lieutenant-colonel, remplit une fonction au Centre de soutien de la Mission. D’un point de vue stratĂ©gique, les Canadiens occupent Ă  mon avis des postes d’influence intermĂ©diaires Ă  l’égard de la MINUSS. Aucun Canadien n’exerce une grande influence, hormis peut-ĂŞtre le commandant de la force opĂ©rationnelle, et mĂŞme son poste est de niveau intermĂ©diaire. On aurait, dit-on, offert un poste de haut niveau au Canada au sein de la MINUSS (le poste de conseiller politique auprès du RSSG MINUSS), mais le Canada l’aurait refusĂ©. Aucun Canadien n’occupe un poste supĂ©rieur d’officier de liaison militaire ni un poste d’influence dans les divers commandements de la MINUSS. Sans m’aventurer trop loin dans le domaine des politiques, je dirais que cette dernière est une mission qui pourrait assez facilement ĂŞtre revigorĂ©e si le Canada lui accordait une attention accrue. L’ampleur de l’aide Ă©trangère que notre pays fournit au Soudan du Sud devrait Ă  coup sĂ»r lui procurer une certaine influence pour rĂ©clamer des postes plus Ă©levĂ©s et plus influents dans le cadre de cette mission.

Des points de vue pratique et opérationnel, un domaine qu’il conviendrait d’examiner éventuellement est celui de la formation donnée par les Nations Unies aux OLM dans le théâtre. Celle qui est actuellement fournie est lamentable et incohérente. Elle est confiée à l’Ouganda, pour ce qui est de l’instruction préalable au déploiement, et à Djouba, en ce qui a trait aux aspects propres au théâtre. Dans la réalité, il existe un grand chevauchement entre les deux et des différences dans la qualité des instructeurs. Il faut donc sur ce plan élaborer et mettre en œuvre un programme de meilleure qualité et plus exhaustif; or, c’est là un domaine où l’Armée canadienne possède une vaste expérience. En acceptant les tâches de ce genre, le Canada pourrait réorienter sa contribution à la MINUSS dans un domaine bien précis qui pourrait lui permettre d’exercer une influence. L’Armée indienne a fait quelque chose de semblable en se chargeant de tout le secteur des transmissions au sein de la MINUSS. En assumant la responsabilité de cette activité spécialisée, elle a grandement influé sur la mission.

À moins qu’il soit remédié à bon nombre des faiblesses structurelles évidentes liées à la MINUSS, celle-ci, telle qu’elle existe, est condamnée à rester dysfonctionnelle et à subir les activités d’influence du gouvernement de la République du Soudan du Sud. Si elle ne change pas de cap, elle demeurera marginale et réactionnelle et elle continuera d’assister à des massacres périodiques. Le Canada peut réorienter sa contribution vers d’autres domaines d’influence et aider ainsi à redresser la barre de la mission – si le pays a la volonté voulue et manifeste l’intérêt nécessaire.

Enfin, d’un point de vue tactique, je crois que, comme Canadiens, nous avons un effet immédiat sur l’organisation de la MINUSS plus que sur l’APLS/APLS-DO, le MPLS-DO ou le GSS. À mon avis, cet effet se produit lorsqu’il s’agit de remettre en question des normes culturelles et sociales désuètes. Sans m’engager dans le domaine du néo-colonialisme (trop tard?), je crois que l’introduction de considérations sexospécifiques dans la planification opérationnelle, par exemple, représenterait un changement progressif qui se fait attendre depuis longtemps dans les opérations des Nations Unies. Ce seul changement a suscité de nombreuses discussions pendant ma période de service et en envoyant des femmes OLM en déploiement, le Canada pourrait être à la fine pointe d’une évolution de ce genre.

Photo du MDN IS07‑2019‑0002‑011 par le caporal-chef Jordan Lobb.

Un membre de la mission des Nations Unies au Soudan du Sud attend le déchargement de fournitures à l’aérodrome de Djouba, le 21 août 2019.

Notes

  1. Le titre anglais contient l’expression « Juba good Â», laquelle signifie en français « bon selon les critères de Djouba Â»; cette expression anglaise revenait sans cesse pendant la mission, dans les moments les plus surprenants. Dans le cas qui nous occupe, elle met de l’avant quelque chose qui n’est pas tellement bon, mais au vu des conditions qui prĂ©valaient dans le secteur de la mission (et Ă  Djouba en particulier), on peut dire que la situation Ă©tait « bonne selon les critères de Djouba ». L’expression servait aussi Ă  montrer de la surprise (souvent en lien avec de la nourriture) quand quelque chose Ă©tait meilleur que ce Ă  quoi on s’attendait.
  2. Tout comme la MINUSS, la FORPRONU s’est révélée problématique, et elle nécessitait aussi des améliorations considérables. En dépit de cela, les auteurs d’études savantes récentes ont soutenu que la FORPRONU a atténué les pires conséquences de la violence qui a eu cours pendant la longue et sanglante guerre civile en Bosnie. Que vous soyez d’accord ou non, je ne crois pas que l’on puisse affirmer la même chose au sujet de la MINUSS et de son travail dans le Soudan du Sud.
  3. Le gouvernement du Soudan a finalement accepté la présence de la mission, mais il a fait tout ce qu’il pouvait pour empêcher tout pays occidental de déployer des troupes dans ce contexte. La mission hybride qui en est éventuellement résultée allait s’avérer faible, inefficace et désorganisée, ce qui annonçait l’impuissance de la MINUSS également.
  4. La MINUAD devait aligner environ 19 555 militaires (dont 360 observateurs et officiers de liaison militaires), 3 772 policiers observateurs, une composante civile et 19 unitĂ©s de police spĂ©ciales comptant au maximum 2 660 agents.
  5. RCSNU 1769 (2007)
  6. RCSNU 1996 (2011)
  7. Les accroissements des troupes ont Ă©tĂ© autorisĂ©s par la RCSNU 2132 (2013) et devaient ĂŞtre temporaires. La rĂ©solution a par ailleurs modifiĂ© le mandat de la mission en l’axant sur la protection des civils (PCIV), ce qui a entraĂ®nĂ© la crĂ©ation de camps Ă  cet effet et la nĂ©cessitĂ© d’une importante infrastructure Ă  maintenir et Ă  protĂ©ger. Fait ironique, en dĂ©pit d’un mandat Ă©largi, l’augmentation des troupes n’était pas encore terminĂ©e au dĂ©but de 2017.
  8. Une mission des Nations Unies Ă©tablie en vertu du chapitre VI de la Charte a pour objet le « règlement pacifique des diffĂ©rends Â» par la nĂ©gociation, la mĂ©diation et des moyens pacifiques semblables. En revanche, les missions constituĂ©es aux termes du chapitre VII de la Charte visent des diffĂ©rends ne pouvant ĂŞtre rĂ©glĂ©s par des moyens pacifiques et qui nĂ©cessitent dès lors une intervention plus ferme, y compris le recours Ă  la force pour maintenir ou rĂ©tablir la paix et la sĂ©curitĂ© internationales.
  9. La convention sur le statut des forces est un accord négocié entre les Nations Unies et le pays hôte; elle décrit les obligations, droits et paramètres de la conduite des deux parties. En théorie, elle procure sécurité et sûreté aux membres des forces onusiennes par le biais de la protection juridique internationale.
  10. Ă€ titre d’OLM « de premier contact Â», essayer de nĂ©gocier un passage avec deux jeunes soldats Ă  un poste de contrĂ´le Ă©loignĂ© Ă©tait en gĂ©nĂ©ral futile. C’était presque aussi exaspĂ©rant que d’essayer de le faire auprès d’un supĂ©rieur anonyme avec qui l’on communiquait au moyen d’un tĂ©lĂ©phone cellulaire peu fiable.
  11. Ironiquement, les pays fournissant les contingents les plus nombreux à la MINUSS sont des pays de l’Asie, y compris l’Inde, au premier rang, le Népal et du Bangladesh, aux troisième et quatrième rangs, puis de la Chine, au sixième rang. Le Rwanda et l’Éthiopie, aux deuxième et cinquième rangs respectivement, sont les deux seuls pays d’Afrique parmi les six pays fournissant les plus gros contingents.
  12. D’après les conversations que j’ai eues avec des officiers supérieurs du MMVS, ils croyaient que cela ne serait jamais autorisé.
  13. En fait, ce fut un Canadien, nommĂ©ment le lieutenant-colonel Martin Ouellet (transmissions), qui a Ă©tĂ© le premier Ă  recourir Ă  cette pratique, au bureau des OLM de Djouba, pendant ma pĂ©riode de service. Rien n’indiquait dans les rares comptes rendus de patrouille antĂ©rieurs, du moins dans notre bureau des OLM, qu’un tel refus eut Ă©tĂ© opposĂ© avant ma pĂ©riode de service.
  14. Je ne comprends toujours pas pourquoi la MINUSS a accepté que des capitaines peu expérimentés soient nommés OLM, alors que la doctrine des Nations Unies précisait clairement qu’il fallait au moins des majors dans ces postes. En revanche, à titre de principal gestionnaire des opérations dans l’équipe de Djouba à ce moment-là, j’ai pu faire un exposé et dirigé une discussion sur la raison pour laquelle ce n’était vraiment pas une bonne idée d’abandonner son élément de protection de la force. Ce comportement ne s’est pas reproduit dans notre équipe, mais il a effectivement été observé dans d’autres.