LETTRE À LA RÉDACTION

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Réplique à l’article de Wolfgang W. Riedel, intitulé « L’Armée canadienne a besoin d’un changement de paradigme Â», Revue militaire canadienne, vol. 20, nº 2, printemps 2020, p. 19 Ã  34.

Bonjour,

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article du colonel Wolfgang W. Riedel intitulé « L’Armée canadienne a besoin d’un changement de paradigme Â», paru dans le numéro du printemps 2020 de la Revue militaire canadienne. Je remercie l’auteur d’avoir pris le temps d’examiner les problèmes qui se posent à l’Armée canadienne et ceux qui concernent la structure de sa Force de réserve, et d’avoir composé un texte provocateur qui incite à l’introspection. L’auteur a accompli un véritable tour de force en cernant la situation de l’Armée de terre et en fournissant des points de vue sur l’histoire récente, la politique de défense, la structure et l’emploi des forces ainsi que des facteurs liés aux ressources humaines, tout en faisant des comparaisons avec les forces de réserve des ÉtatsUnis et du RoyaumeUni – et, bien sûr, en précisant comment tout cela s’imbrique dans l’environnement de sécurité international contemporain et futur. Cependant, bien que je souscrive à certains aspects de son analyse, je ne peux sanctionner ses conclusions sur la réorganisation de l’Armée canadienne – tant en ce qui concerne la Force régulière que la Force de réserve – car elles reposent sur des hypothèses invalides.

Page couverture du vol. 20, no. 2, numéro du printemps

Tout d’abord, l’article met l’accent sur les dilemmes que pose l’environnement de sécurité en évolution, pour contextualiser et illustrer les lacunes de la structure actuelle de l’Armée canadienne. Afin d’appuyer la nécessité d’une réorganisation, il évoque aussi les efforts évolutifs de nos alliés américains et britanniques. Il aborde des aspects de l’histoire militaire canadienne, bien que ses propos ne soient pas toujours exhaustifs ou entièrement exacts, afin de fournir un contexte et de justifier la nécessité du changement. Malgré cela, il ne répond vraiment jamais à la question la plus fondamentale : quel type de forces armées les Canadiens veulent-ils? Dans son introduction, l’auteur mentionne le document intitulé Protection, Sécurité, Engagement – La politique de défense du Canada de 2017, puis il l’écarte de son propos en le déclarant inadéquat. Quoi qu’il en soit, cette politique de défense a été formulée après un minutieux examen public et politique et elle a obtenu le consensus de la population. La politique Protection, Sécurité, Engagement offre une vision de la Force de réserve qui a évolué depuis des modèles fondés sur la mobilisation ou la production de renforts jusqu’à l’intégration dans une structure des Forces armées canadiennes (FAC). Elle présente une Force régulière et une Force de réserve qui peuvent être soutenues et maintenues en puissance et qui répondent aux besoins du Canada dans le cadre des accords de défense multilatéraux et bilatéraux qu’il a signés.

Ensuite, quand l’auteur parle des alliés et des partenaires, il résume la question de la guerre « contributive Â» et celle des opérations pangouvernementales ou exhaustives à l’objectif de la mise sur pied de forces autonomes de l’Armée de terre qui pourraient combattre au sein d’une formation américaine au cours d’opérations multidomaines d’intensité moyenne à élevée. En outre, à l’exception de quelques réflexions hétéroclites formulées vers la fin de son article, l’auteur passe sous silence le caractère intégré ou interarmées des FAC. Le développement des forces ne se fait pas isolément, les autres armées étant superposées à l’Armée de terre. Le lecteur est privé de réponse à des questions telles que les suivantes : Comment combattonsnous au sein de la force totale? Comment d’autres éléments de la Réserve fonctionnent-ils dans cette vision évoluée? C’est là une lacune grave de l’analyse, étant donné que l’Armée canadienne ne participe pas seule à des combats ou à des opérations, que ce soit au pays ou à l’étranger. L’hypothèse selon laquelle l’Armée canadienne agit seule dans des endroits tels que l’Europe de l’Est passe outre à la planification opérationnelle actuelle de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) relativement aux forces de deuxième échelon fournies par nos alliés membres de cette dernière. Par ailleurs, l’expression « opérations multidomaines Â» est employée plusieurs fois dans l’article, mais le concept évoqué par là suppose la présence de forces interarmées, et non pas simplement celle de forces terrestres. Cette notion, qui continue d’évoluer, n’est jamais expliquée à fond et a pour effet de faire reposer sur des fondements doctrinaux fragiles les résultats escomptés de la structure des forces proposée par le colonel Riedel. Bref, l’article souffre d’un biais de confirmation.

Enfin, l’auteur erre en disant que la Réserve de l’Armée canadienne possède la capacité et le désir d’être organisée en des formations mécanisées crédibles et que les réservistes seraient prêts à s’engager à fournir le temps que cela exigerait. L’auteur pose cette hypothèse sans données probantes, hormis une certaine discussion sur l’expérience américaine, laquelle, dans la collectivité internationale des forces de réserve, fait exception. Un certain examen d’autres modèles de forces de réserve aurait éclairé davantage ce volet de la discussion. Les réservistes à temps partiel ont souvent une carrière civile et une famille; par conséquent, ils doivent trouver un équilibre entre leurs engagements envers la Réserve et les besoins inhérents à leur vie civile. Même si les structures proposées dans cet article étaient « dotées Â» dans les secteurs nécessaires par du personnel à temps plein, le temps que les réservistes à temps partiel devraient alors investir serait énorme. À l’heure actuelle, ils ont parfois du mal à respecter leurs obligations. Cela a été exposé clairement aux leaders supérieurs de la Réserve de l’Armée de terre qui ont cherché à modifier les exigences liées à l’instruction individuelle et collective afin de réduire le temps actuellement exigé des réservistes. Les autorités ont déjà envisagé l’adoption d’une loi sur la protection de l’emploi ou des calendriers d’études des réservistes, mais l’auteur n’aborde pas cette question*.

Dans l’ensemble, l’article du colonel Wolfgang W. Riedel intitulé « L’Armée canadienne a besoin d’un changement de paradigme Â» suscite la réflexion, mais ne prend pas en compte les dimensions pratiques de la défense canadienne. C’est un modèle de mobilisation qui rappelle le legs national et les situations critiques du milieu du XXe siècle. En outre, bien que la pandémie de COVID19 n’eût pas d’àpropos au moment de la rédaction de l’article, ses conséquences économiques auront sans doute, pendant de nombreuses années, un effet considérable sur la volonté des Canadiens d’investir dans la défense. L’article du colonel Riedel ne mentionne aucunement l’excellent travail accompli par les FAC et l’Armée canadienne pour réaliser certains des objectifs liés à l’intégration qui sont formulés au sujet de la Force de réserve dans la politique de défense de 2017. Il tait également les aspects du travail exécuté – notamment du point de vue des politiques – pour concrétiser l’intégration de la Force régulière et de la Force de réserve à l’échelle des FAC. Bref, l’auteur n’a aucunement évoqué les besoins militaires d’une force qui, au XXIe siècle, doit agir dans un environnement multinational et interorganisationnel complexe qui pose de nombreux défis difficiles à cerner et se situant sous le seuil des conflits déclarés. Par conséquent, cet article ferait l’objet d’une discussion intéressante, mais il n’aborde pas les dimensions pratiques des besoins de l’Armée canadienne d’aujourd’hui et de demain.

~ Howard G. Coombs

Le colonel Howard G. Coombs, OMM, CD, Ph.D., est un officier d’infanterie très expérimenté qui a servi dans la Force régulière et dans la Réserve. Il est actuellement affecté auprès du bureau du Chef – Réserves et il est également professeur adjoint au Collège militaire royal du Canada.

* Voir Howard G. Coombs, Enabling NATO for Twenty-First Century Operations: Fielding Agile, Responsive and Innovative Reserve Forces, Institut canadien des affaires mondiales, Ottawa, novembre 2019.

Photo du MDN CB09-2018-0068-014 par l’aviateur Caitlin Paterson

Des réservistes du Queen's Own Rifles of Canada participent à l’exercice Pegasus Strike conjointement avec le 32e Groupe brigade du Canada, le 436e Escadron de transport et le 450e Escadron tactique d’hélicoptères, le 26 novembre 2018, à la Base des Forces canadiennes Borden, en Ontario.