Critiques de Livres

Couverture de livre « Engineers of Victory – The problem solvers who turned the tide in the Second World War »

Engineers of Victory – The problem solvers who turned the tide in the Second World War

par Paul Kennedy
Toronto, Harper Collins Publishers Inc., 2013
435 pages et 16 planches, 34,99 $
ISBN 978-1-55468-305-5

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Critique de Mark Tunnicliffe

La Deuxième Guerre mondiale était en tous points une entreprise colossale : la géographie, les combattants, les pertes, la portée et les ressources. Les historiens qui veulent l’étudier s’attellent à une tâche monumentale, et la plupart adoptent l’une des deux approches suivantes : la perspective « descendante », qui part d’un récit général ou d’une grande optique stratégique ou économique; ou la perspective « ascendante », qui se fonde sur l’expérience d’une personne ou d’une unité en particulier, sur une campagne ou bataille clé, ou sur l’influence d’une technologie donnée. Le professeur d’histoire Paul Kennedy de la Yale University, auteur du livre Rise and Fall of the Great Powers, qui a été couvert d’éloges, a quant à lui adopté une autre approche – il a commencé par le milieu. Dans Engineers of Victory, Kennedy s’interroge quant à la façon dont les institutions alliées ont mis en commun les personnes, les organisations, la doctrine et la technologie dont elles étaient dotées pour riposter de façon concluante aux succès des forces de l’Axe dans les premières années de la guerre. Il définit ses « ingénieurs » comme des personnes qui mènent à bien une entreprise à l’aide de stratagèmes habiles et savants, et non selon la définition technologique et universitaire qu’on en fait usuellement. Dans cet ouvrage illustré à l’aide de cartes (mettant en évidence les concepts) et de planches (représentant des personnes et des technologies), Kennedy affine cette définition dans le contexte de la guerre en y incluant les concepts, idées, personnes et technologies qui ont aidé à résoudre des problèmes militaires fondamentaux.

Dans cette logique, Kennedy restreint son étude au milieu de la guerre, et examine, comme autant d’études de cas, cinq problèmes clés auxquels étaient confrontés les alliés à cette époque – gagner la bataille contre les sous-marins allemands dans l’Atlantique, dominer l’espace aérien en Europe, mettre fin à la blitzkrieg, diriger des opérations amphibies et exécuter des opérations à longues distances dans le Pacifique – tous présentés comme des défis pratiques d’ingénierie. Kennedy analyse les décisions et processus radicaux qui ont fait appel à quelques personnes et équipes motivées, à une doctrine ou un concept fondamental, et à une ou des technologies clés qui ont assuré le succès de ces décisions. En d’autres mots, il adopte une approche systémique intrigante pour la résolution de problèmes de fond à l’égard de l’un des plus grands défis du XXe siècle : la victoire de la Deuxième Guerre mondiale. Comme Kennedy le souligne dans son introduction, le poids relatif des ressources dont disposaient les alliés les destinaient à la victoire, mais en repérant les problèmes clés et en trouvant une solution technique, ils y sont probablement parvenus plus tôt et à moindre coût.

Kennedy se fonde sur des sources secondaires, dont des histoires officielles, des examens de cas typiques, des histoires de campagne, des récits personnels, et des études technologiques. Il explore aussi les sources Internet (plus particulièrement Wikipedia) et des publications centrées sur la technologie, comme les livrets d’Osprey Press. Il assume pleinement cette sélection de sources éclectique, car elle lui permet de développer une thèse fondée sur un examen approfondi, tant au niveau personnel qu’au niveau des campagnes.

La méthode adoptée pour chacune de ces études de cas est d’examiner des exemples précédents d’une campagne semblable et d’en dégager les éléments de succès et d’échec afin d’introduire le problème donné de la Deuxième Guerre mondiale. Certains de ces brefs contre-exemples proviennent d’époques anciennes (les opérations anti-piratage dans la Méditerranée à l’époque romaine comme préface aux convois de l’Atlantique, par exemple), mais des exemples plus détaillés sont tirés d’affrontements qui ont eu lieu plus tôt durant la guerre. Ainsi, la tentative infructueuse des Allemands pour s’arroger la maîtrise des airs lors de la bataille d’Angleterre est le prélude à la campagne aérienne des alliés trois années plus tard, et, naturellement, Dieppe est un exemple instructif de ce qu’il faut éviter de faire en prévision d’un débarquement amphibie.

De temps à autre, Kennedy semble dévier de son sujet. Dans le segment concernant la façon de mettre fin à la blitzkrieg, par exemple, il semble régler le problème dès les premières pages (soit la nécessité d’une couverture géographique et d’une profondeur stratégique suffisantes). Il consacre la suite de l’examen de cette campagne terrestre à une question différente : comment recouvrer le terrain perdu à la blitzkrieg. De plus, il achoppe parfois sur les détails, ce qui peut être frustrant par moment. Ainsi, lorsqu’il qualifie le Junkers Ju52 (un aéronef de transport) et le Messerschmitt Bf110 de bombardiers moyens ayant joué un rôle clé dans la bataille d’Angleterre, par exemple, il laisse le lecteur perplexe quant à la rigueur de sa recherche. L’erreur d’identification du Bf110 est tout particulièrement regrettable, car elle gâche l’occasion de souligner l’incidence du développement réussi du P51 Mustang comme chasseur d’escorte à long rayon d’action pour la poursuite de la guerre aérienne en Allemagne. Il existait une variante chasseur-bombardier du Bf110, mais cet aéronef avait d’abord été conçu comme chasseur à long rayon d’action. D’ailleurs, son utilisation comme escorte de bombardiers au-dessus de l’Angleterre s’est soldée par un échec, en raison des limites inhérentes à sa conception, adaptée au combat aérien dans ce théâtre. Une comparaison des projets d’élaboration des deux aéronefs serait venue appuyer la thèse de Kennedy selon laquelle l’agencement judicieux des personnes, des concepts et de la technologie a joué un rôle clé pour faire pencher la balance de l’issue de la guerre.

Le style de Kennedy se lit facilement et est franchement souple : il passe de l’analytique au familier, en passant presque par le sentimental parfois (lorsqu’il décrit les derniers jours de certains des acteurs principaux). Ces différents styles sont probablement un rappel approprié de la diversité des questions que l’auteur inclut dans son étude. On pourrait ergoter quant à son usage de la terminologie et à certains points de vue (ses critiques visant le char T34 comme technologie semblent se fonder sur l’utilisation qui en a été faite plutôt que sur la conception elle-même). N’empêche la caractérisation que fait Kennedy du problème général que présentait la Deuxième Guerre mondiale, soit la gestion de la distance, et de « l’ingénierie » comme solution à ce problème, mérite réflexion. C’est aussi le cas de sa proposition selon laquelle ce type d’ingénierie pourrait être utile dans d’autres entreprises humaines.

En définitive, n’est-ce pas là ce qu’on attend d’un livre, qu’il donne au lecteur matière à réflexion?

Le capitaine de frégate (retraité) Mark Tunnicliffe, CD, est scientifique de la Défense pour Recherche et développement pour la défense Canada (RDDC), au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa.